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Traduit de l’anglais (US) par Adrien Tournier, Paul Fabié et Benjamin Gizard.
Dans le cadre du séminaire Plantations, qui se tient épisodiquement au Café Librairie Michèle Firk de la Parole Errante à Montreuil1, nous proposons cette traduction d’un entretien de 2019 avec Donna Haraway et Anna Tsing sur la notion de Plantationocène. L’entretien a été réalisé en 2019 par Gregg Mitman et publié par Edge Effects2.
Comme l’indique l’introduction à cet entretien : « En tachant d’explorer et d’approfondir le concept de Plantationocène, le séminaire s’interroge sur le passé et le présent des plantations, leurs matérialités, les transformations économiques, écologiques et politiques qu’elles ont entraînées, et leur importance pour la fabrication des corps humains, le capitalisme et la terre au cours de quatre siècles. ». Les chercheuses Donna Haraway et Anna Tsing partagent ici une analyse critique du capitalisme qu’il nous paraissait pertinent de rendre disponible en langue française, malgré le caractère parfois oral du texte. Pour en faciliter la lecture, nous avons choisi de couper certains passages et périphrases dont l’absence ne modifie pas le cœur du propos.
Présentation des autrices par Gregg Mitman :
Peu de chercheur·se·s ont eu autant d’influence que Donna Haraway et Anna Tsing pour imaginer de nouvelles façons d’être dans un monde multi-espèces au bord de l’extinction.
Donna Haraway, Professeur émérite du département d’histoire de la conscience et du département d’études féministes de l’université de Californie, Santa Cruz, a continuellement poussé les études sur les sciences et les technologies dans de nouvelles directions, traversant et tissant ensemble des travaux sur la primatologie (Primate visions, Routledge, 1990), le féminisme et l’histoire des sciences (Manifeste cyborg : et autres essais : sciences, fictions, féminismes, Exils, 2007 – paru 1984 en langue anglaise), l’écologie (Manifeste des espèces compagnes : chiens, humains et autres partenaires, Climats, 2019) la science-fiction (Vivre avec le trouble, les éditions des Mondes à Faire, 2020) et la biologie du développement entre autres (Quand les espèces se rencontrent, les empêcheurs de penser en rond, 2021). Haraway est une voix unique, engagée dans l’épanouissement de la vie humaine et non humaine, à la recherche d’un monde plus équitable et plus juste.
Anna Tsing est professeur d’anthropologie à l’université de Californie à Santa Cruz. Entre 2013 à 2018, elle a été professeure Niels Bohr à l’université d’Aarhus, où elle a dirigé le groupe Aarhus University Research on the Anthropocene (AURA). Elle apporte à son travail une ouverture et une curiosité pour les multiples enchevêtrements de la vie humaine et non humaine et, grâce à sa maîtrise des arts de l’observation et ses talents de conteuse, elle nous ouvre les yeux sur les nombreuses possibilités de vivre sur une planète endommagée. Elle est notamment connue pour son livre Le champignon de la fin du monde : sur les possibilités de vie dans les ruines du capitalisme (2015, 2017 pour la version française).
Gregg Mitman : Je voudrais commencer par ce concept d’Anthropocène, cette idée d’une période de l’histoire de l’humanité, qui affirme que nous vivons maintenant dans une ère géologique où les humains seraient la principale force géomorphique sur la planète. Vous avez toutes les deux des relations différentes avec ce concept, pourriez-vous nous parler des possibilités qu’il offre, des limites qu’il pose, et pourquoi il vous met particulièrement en colère, Donna Haraway ?
Anna Tsing : J’utilise le concept d’Anthropocène sans toutefois ignorer l’importance de nombreuses critiques, dont celle de Donna Haraway, concernant la façon dont ce mot peut nous induire en erreur. Il y a deux raisons pour lesquelles j’utilise malgré tout ce terme. Une troisième raison est peut-être de l’ordre d’un penchant plus général pour essayer d’ajouter des significations aux mots plutôt que d’en retrancher. Tout d’abord, c’est qu’il s’agit d’un terme qui favorise une conversation interdisciplinaire entre les spécialistes des sciences naturelles et ceux des humanités, et je pense que cette conversation est de nos jours essentielle pour apprendre quoi que ce soit sur ce qui se passe sur notre planète.
La deuxième raison fait ressurgir certains aspects néfastes de l’héritage des Lumières. Le terme d’Anthropocène a pour socle ce faux universel homogène de « l’Homme », l’homme blanc, chrétien et hétérosexuel. Prêter attention à cet héritage peut pourtant nous aider à comprendre ce qui se passe sur Terre. Il rend perceptible pourquoi tant de projets de transformations environnementales ont été menés sans aucune réflexion quant à leurs effets potentiels sur les habitants-tes ou sur les conditions écologiques locales. Convoquer cet héritage c’est dès lors immédiatement insister sur les inégalités intrinsèques aux questions environnementales à l’échelle planétaire.
Donna Haraway : Je partage la tendance à travailler par addition plutôt que par soustraction, en multipliant les termes qui peuvent jouer le rôle de points saillants ou se faire l’arrière-plan de nouvelles perspectives, chaque fois situées. Quoiqu’il en soit, le terme Anthropocène a tout simplement été adopté. Il est trop tard pour débattre de la pertinence de ce terme, il s’agit maintenant de prêter attention aux alliances qu’il favorise. J’ai moi aussi l’impression que nos collègues des sciences naturelles entendent le terme Anthropocène et peuvent en discuter, alors que d’autres termes – comme Capitalocène, par exemple – les rebutent. Mais cette force est aussi une limite. Mes collègues des sciences naturelles – et je m’y inclus d’ailleurs – ont tendance à penser que les schémas conceptuels et les terminologies comme, par exemple, le changement climatique peuvent être traduits dans le monde entier, quand bien même les phénomènes en question sont vécus très différemment.
Par exemple, les peuples du Nord circumpolaire ont astucieusement développé leurs propres expressions, dans des registres à la fois conceptuels et vécus pour désigner des changements de la glace et des eaux, des variations dans la position des étoiles quand la glace de mer et le brouillard se réfractent différemment, etc3. Ces gens, qui ne vivent pas moins sur la terre que nous, pourraient percevoir la notion de changement climatique comme une autre importation du Sud qui tend, encore une fois, à rendre quasiment impossible la prise en compte de termes locaux et situés dans le travail théorique. Je veux entretenir – quitte à forcer si besoin – les sites d’attachement et les zones de contact afin que tous les acteurs·ices soient tenu·es d’apprendre les idiomes des autres d’une manière qui transforme tout le monde, de sorte que personne ne soit le même qu’au départ et que l’on puisse peut-être trouver des moyens plus partagés et décolonisés de faire face aux problèmes les plus urgents. Souvent, les autochtones sont obligés d’apprendre les langues venues de « leur Sud » (ici l’ensemble des pays du Nord), mais l’inverse est beaucoup moins vrai. C’est intolérable.
La puissance et la centralité du terme Anthropocène est éminemment problématique. Je suis moins encline qu’Anna quant à la possibilité de se souvenir de la dimension héritée des Lumières des termes “Anthropos” et “Homme”. De fait, je constate tant parmi mes collègues du monde militant que du monde académique, une tendance à penser l’Anthropocène comme l’action d’une espèce. En conséquence, le problème serait vraiment l’humanité, pas “l’homme” au sens des Lumières, mais l’humanité dans son histoire sociale et évolutive sur cette planète – l’augmentation du nombre d’humains et de leurs exigences notamment. Cela renforce l’illusion que transformer tout ce qui est sur Terre en ressources pour l’humanité est inévitable, même si cela s’avère tragique. Il y a donc une manière de considérer l’Anthropocène comme un acte de l’espèce elle-même, alors qu’il s’agit d’un ensemble de conjonctures historiques et situées qui ne peuvent être comprises comme des actions perpétrées par l’espèce humaine en tant que telle. La plupart des peuples de cette planète n’ont précisément pas vécu et mis en branle les types de processus qui brisent la succession des générations, qui simplifient radicalement les écologies, qui étendent tout aussi radicalement le travail forcé et qui créent une forme de transformation globale au nom de la croissance qui est en soi génocidaire et “extinctionniste”. Cette trajectoire n’est pas l’œuvre d’une espèce, c’est un ensemble de conjonctures historiques situées et situables. À ce jour, le terme Anthropocène complique la compréhension de ces processus au lieu de la simplifier pour la plupart des gens.
Gregg Mitman : Vous parlez régulièrement de l’importance de la prolifération des termes pour une pensée de l’engendrement4. Vous-même vous nous avez vraiment aidé à cet égard en générant d’autres “cènes” au-delà du Capitalocène. Lors d’une conversation autour de l’Anthropocène que vous avez eue avec Anna à Aarhus il y a quelques années, vous avez dit : “Et pourquoi pas le Plantationocène ?” Alors, qu’est-ce que selon vous le Plantationocène ? Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’introduire ce terme ? Commençons par cette question : qu’est-ce qu’une plantation ?
Donna Haraway : Nous aussi, nous nous sommes débattues avec cette définition. Dans une séance précédente, une conversation à Aarhus, nous écoutions un anthropologue qui étudiait les plantations d’huile de palme et d’autres modes d’agriculture extractive provoquant l’élimination de la diversité des forêts le long des rivières de Malaisie. Nous avions un historien du paysage qui était très attentif à la manière dont les multiples enclosures en Grande-Bretagne et en Europe ont modifié les formes du paysage et, par conséquent, les modes de vie des espèces. Anna Tsing a participé aux travaux menés en Asie du Sud-Est avec les Dayak Meratus sur les transformations de Bornéo résultant de l’implantation de la forêt industrielle favorisant l’élimination de divers types de pratiques agricoles et forestières qui relevaient de systèmes bien installés de subsistances et d’échanges commerciaux. Nous avions toutes une série de préoccupations, y compris le sentiment qu’il fallait penser aux plantes, se soucier réellement des plantes et de leurs compagnons, humains ou non.
D’une certaine manière, la notion de Plantationocène nous force à prêter attention aux cultures qui se sont constituées autour de la nourriture et de la plantation en tant que système de travail forcé multi-espèces. Le système de la plantation accélère la temporalité même des générations. La plantation perturbe en effet les successions de génération pour tous les acteurs·trices humains·es et non humains·nes. Elle simplifie radicalement leur nombre et met en place des situations favorisant la vaste prolifération de certain·es et l’élimination d’autres. Cette façon de réorganiser la vie des espèces favorise en retour les épidémies. Ce système dépend d’un certain type de travail humain forcé, car si jamais la main-d’œuvre peut s’échapper, elle s’enfuiera de la plantation.
Le système de la plantation nécessite donc soit un génocide ou l’exil forcé d’une population, ou encore un certain mode d’enfermement et de remplacement de la force de travail locale par une main d’œuvre contrainte venant d’ailleurs. Cela peut être mis en place par des contrats bilatéraux mais quoiqu’il en soit asymétriques, soit par de l’esclavage pur et simple. La plantation dépend ainsi par définition de formes très intenses de travail forcé, s’appuyant aussi sur la sur-exploitation du travail mécanique, la construction de machines pour l’exploitation et l’extraction des êtres terrestres. Je pense d’ailleurs qu’il est essentiel d’inclure le travail forcé des non-humains – plantes, animaux et microbes – dans notre réflexion.
Dès lors, lorsque je réfléchis à la question de savoir ce qu’est une plantation, il me semble qu’une combinaison de ces éléments est presque toujours présente sur les cinq derniers siècles : simplification radicale ; remplacement de peuples, de cultures, de microbes et de formes de vie ; travail forcé. Plus encore peut-être que ces éléments, la plantation repose en outre sur le bouleversement des temporalités qui rendent possible la succession des générations, la transmission et le passage d’une génération à l’autre pour chaque espèce, y compris pour les êtres humains. J’évite le mot reproduction à cause de son aspect productiviste, mais je veux souligner l’interruption radicale de la possibilité de prendre soin des générations et, comme Anna me l’a appris, la rupture du lien avec le lieu – la capacité d’aimer et de prendre soin des localités est radicalement incompatible avec la plantation. En pensant à la plantation, toutes ces dimensions semblent être constamment présentes à travers diverses configurations.
Anna Tsing : J’ajouterai brièvement que le terme plantation m’évoque l’héritage d’un ensemble bien particulier d’histoires convoquant ce qui s’est passé après l’invasion européenne du Nouveau Monde, notamment la capture d’Africain·es comme main-d’œuvre asservie et la simplification des cultures pour forcer les travailleurs·euses asservi·es à devenir des travailleurs·euses agricoles. Dans de nombreuses petites exploitations agricoles indépendantes, des dizaines de cultures agricoles différentes peuvent être pratiquées et exiger du soin de la part des agriculteurs-trices qui se préoccupent de chacune d’elles. En concevant à l’inverse des systèmes reposant sur du travail forcé et contraint, l’agriculture en est venue à reposer sur des simplifications écologiques.
La plantation a précisément constitué cette conjonction entre les simplifications écologiques, la discipline des plantes en particulier et la discipline exercée sur les humains soumis au travail forcé. Cet héritage, encore très présent aujourd’hui, est tellement naturalisé qu’il paraît devenir la signification même du terme agriculture. Nous en oublions qu’il existe d’autres manières de cultiver. La plantation nous enferme dans cette conjoncture spécifique entre discipline-des-personnes et discipline-des-plantes.
Gregg Mitman : Vous avez mentionné que le travail forcé était au fondement de la plantation. Toutefois, nous voyons aujourd’hui, par exemple dans les plantations de palmiers à huile, très problématiques dans de nombreuses régions du monde, que le travail réalisé dépend d’emplois salariés. Ce n’est pas du travail forcé, et pourtant il y a bien simplification écologique. Dans le contexte, par exemple, des plantations de caoutchouc au Liberia, plus de 15 000 personnes travaillaient dans une plantation moderne et industrielle à la main, sans machines. Devons-nous penser à la plantation dans un tel contexte de travail forcé ? Ou devons-nous plus précisément y réfléchir dans des contextes de travail manuel à grande échelle ?
Donna Haraway : Je ne mettrai pas un seul instant sur un pied d’égalité l’esclavage humain héréditaire et le travail salarié. Il y a une violence énorme et évidente dans la simple énonciation d’une telle équation. D’un autre côté, le fait de discipliner le travail humain de manière à réduire la liberté du travailleur·euse à faire autre chose que le travail exigé fait partie de ce que j’entends par le terme forcé. Ce terme implique une réduction radicale des degrés de liberté pour déterminer les modes de vie, les pratiques alimentaires, où vos enfants vont travailler et à quel âge, où vous allez vivre, etc.
Cela existait dès les plus anciens systèmes de plantations qui ne reposaient pas directement sur l’esclavage héréditaire, mais sur d’autres modalités – par exemple, différents types de systèmes fiscaux et des formes de travail salarié contraint. L’agriculture de plantation à Hawaï, par exemple, n’a jamais été directement esclavagiste, mais elle s’appuyait sur des distinctions par groupe racial. Cette agriculture dépendait de contrats à long terme avec des personnes déplacées dans l’espace, équivalent à du travail forcé. Elle a produit et reproduit des catégories raciales très marquées qui hantent encore les îles hawaïennes aujourd’hui. Ce n’était absolument pas du travail libre.
On peut également considérer l’élevage moderne de poulets comme un système de plantation. Les entrepreneurs modernes de cet élevage ont beau être des “entrepreneurs indépendants”, la nature de leurs contrats est telle qu’ils n’ont en pratique aucune marge de liberté. Ils doivent acheter des poussins d’une composition génétique et d’un âge bien déterminé et ils ne peuvent les nourrir qu’avec une formule alimentaire définie en amont. Ce type d’élevage de poulets nécessite de constantes mises à niveau technologiques pour la gestion de la circulation de l’air, de l’élimination des déchets, etc., dans un dispositif hautement réglementé dépendant d’investissements massifs et produisant une forme d’agriculture d’endettement. Cela engendre des formes de captivités par l’hypothèque.
C’est également vrai pour la monoculture céréalière du Midwest où la capture hypothécaire des agriculteurs, même ceux qui sont censés être riches, est bien connue. Ensuite, ces éleveurs de poulets doivent vendre les poussins ; ces derniers doivent prendre du poids à tel ou tel rythme prédéfini, être vendus à tel ou tel âge, et ainsi de suite. Ce n’est pas de l’esclavage héréditaire ni du travail salarié. C’est un travail contractuel indépendant. Mais cela reste un système de réduction radicale de la possibilité de ce que Marx pouvait appeler le travail vivant. C’est même l’élimination du travail vivant ou, du moins, une réduction radicale de ce travail. Or, cette désorganisation permanente et active du travail vivant est une affaire multi-espèces.
Anna Tsing : J’ajouterai deux choses. La première consiste à rappeler l’argument de l’anthropologue Sidney Mintz5 selon lequel le travail asservi dans les plantations a été une source d’inspiration pour le travail salarié en usine par son modèle de discipline et d’aliénation. Ainsi, au cœur même du travail salarié, nous vivons dans cet héritage de la plantation. La deuxième chose est l’importance, que Donna a déjà mentionnée, du déplacement et de la dépossession. Dans toutes les situations auxquelles je peux penser, les plantations dépossèdent aussi bien les populations autochtones que les milieux écologiques, en forçant au déplacement tout autant des personnes que des plantes. Les plantations de palmiers à huile que je connais bien en Indonésie, par exemple, ont fait venir des travailleurs javanais transmigrants tout en expulsant les populations locales qui vivaient là auparavant. Bien que ces personnes ne fassent pas partie d’un système de servitude, elles sont là parce qu’elles ont été déplacées de leur lieu d’habitation et envoyées dans un autre endroit pour travailler dans ces plantations. Dans le même temps, on exige des populations locales l’abandon des lieux où elles ont vécu pendant des millénaires.
Gregg Mitman : Il me semble – et c’est peut-être à cela que vous pensiez lorsque vous avez introduit le terme – que l’acte de dépossession qui se produit dans n’importe quelle plantation, n’importe où sur la planète, témoigne des profondes inégalités environnementales et sociales qui émergent et permettent à certains êtres humains de s’épanouir, comme beaucoup d’entre nous dans cette salle, et à d’autres de souffrir dans ce processus d’une manière que le terme Anthropocène ne saisit pas, parce qu’il y a ce “nous” universel.
Donna Haraway : Prendre la plantation comme point de départ – ou le Plantationocène comme catégorie à partir desquelles penser, sans exclure les autres – encourage à se souvenir de ce point avec force. Je pense à la Central Valley de Californie ou aux cultures de fraises autour de la baie de Monterey et à l’importance radicale de la main-d’œuvre immigrée qui est exilée de son lieu d’origine. On assiste actuellement à une importante migration climatique à travers la frontière sud des États-Unis, au Texas et en Californie. Les habitant·es du Guatemala, du Salvador et du Honduras – qui continuent de perdre leurs terres pour les mêmes raisons que celles qui les ont dépossédés dans les inégalités propres à la société centraméricaine – abandonnent leurs fermes car il devient impossible d’obtenir une récolte fiable en raison du changement climatique. Il y a cette perte radicale de tout foyer.
De plus, la main-d’œuvre requise pour les cultures de la vallée centrale, qui dépendent à leur tour d’un système d’ingénierie hydrique qui transforme l’eau en une ressource minière, produisant l’épuisement des nappes phréatiques, l’affaissement des sols et la désertification de toute cette région, est composée d’une force de travail essentiellement contrainte, très vulnérable et maintenue dans cette vulnérabilité par la loi et par la pratique – maintenue littéralement illégale et donc expulsable. Ce type de vulnérabilité va de pair avec ce type d’agriculture ; ce n’est pas de l’esclavage, mais c’est un type de traitement de la main-d’œuvre associé aux conditions mêmes des plantations.
De plus, un autre aspect de la transformation des réalités locales par les plantations n’est pas seulement la non-durabilité, mais l’extermination pure et simple. Je pense là encore à la désertification de la Central Valley où les plantations détruisent leurs propres fondements, épuisent les sols, épuisent les gens, épuisent les plantes et les animaux et font proliférer les entités pathogènes. Il existe de nombreux types d’agriculture qui s’avèrent destructeurs, mais je pense que si l’on cherche un diagnostic des plantations, elles ont un rapport à l’extermination bien plus déterminant.
Lire sur Terrestres Sophie Chao, « La plantation comme monde : l’ère des monocultures », novembre 2023.
Anna Tsing : Sur le thème de la dépossession, je voulais juste ajouter une image saisissante de l’époque où se multipliaient les plantations de palmiers à huile là quand j’y ai fait mes recherches à Kalimantan, sur l’île de Bornéo en Indonésie. À cette époque, ils ne se débarrassaient pas seulement des villageois locaux, mais aussi de la forêt tropicale dans laquelle ces personnes vivaient et des animaux fuyaient chaque jour de cette forêt en voie de disparition. Je n’avais jamais vu autant d’animaux de toute ma vie. Les animaux savent très bien se cacher dans la forêt tropicale, donc quand on se promène dans cette forêt, on ne les voit pas . Mais je n’ai vu tous ces animaux exotiques que parce qu’ils n’avaient plus nulle part où aller et qu’ils fuyaient, déplacés de la forêt. C’est pour moi une image marquante du déplacement des non-humains. Et puisque Donna en a déjà parlé, je vais dire un mot sur les agents pathogènes, qui sont à mon avis extrêmement importants. Les plantations cultivent, si l’on peut dire, les parasites et les pathogènes, de plusieurs manières différentes.
L’une d’entre elles tient au fait que les plantations rassemblent les entités pathogènes et modifient leurs stratégies de reproduction en raison de la disponibilité, dans le contexte de la monoculture, d’énormes quantités de ressources alimentaires qui deviennent accessibles pour elles. Une zone peut être ainsi rapidement envahie par des ravageurs et des entités pathogènes. Deuxièmement, les plantations permettent des transformations parfois assez rapides des ravageurs et des pathogènes dotés de formes de virulence inexistantes auparavant. Les entités pathogènes trouvent de nouvelles manières d’exploiter les situations d’abondance que leur offre la plantation.
Dans le même temps, les plantations sont liées au commerce mondial. Elles font souvent circuler les mêmes matériaux d’un bout à l’autre du globe, ce qui permet l’hybridation d’espèces de pathogènes étroitement apparentées mais géographiquement séparées. Ces hybridations produisent en retour des entités pathogènes qui acquièrent la capacité d’attaquer de nouveaux hôtes. Nous assistons donc à une prolifération d’entités pathogènes à la virulence renforcée qui, pour autant que je sache, n’a jamais été observée dans le monde auparavant. Bien entendu, ces entités ne restent pas dans les plantations. Elles rendent d’autres types d’agriculture, comme la culture paysanne à petite échelle, beaucoup plus difficiles qu’elles ne l’étaient jusqu’alors.
Gregg Mitman : Évoquons à présent les écosystèmes industriels de la plantation et la façon dont la technoscience est mobilisée pour la soutenir et la reproduire. Une grande partie de votre travail à toutes les deux n’a rien à voir avec la simplification écologique, mais consiste plutôt à souligner l’épanouissement de plusieurs espèces, même dans les plantations et les paysages très perturbés. Donna, vous avez reçu une formation en biologie et avez travaillé avec l’un des plus grands écologistes du XXe siècle, George Evelyn Hutchinson, si je ne me trompe pas. Et Anna, vous fréquentez en permanence des mycologues, des écologistes et des forestiers. Je me demande pourquoi vous pensez qu’il est important de réfléchir et de penser avec d’autres formes de vie avec lesquelles nous, les êtres humains, sommes en relation ? Quelles possibilités cela crée-t-il pour penser à des futurs alternatifs ? Qu’en est-il des sciences humaines lorsque nous commençons à penser à d’autres formes de vie qui vivent de manière très, très différente de celle des humains ?
Donna Haraway : Je suis étonnée que ce ne soit pas tout simplement le point de départ de toute pensée. Gregg, votre question est particulièrement riche. Je pense à votre premier livre6, qui était un traitement merveilleux de l’écologie communautaire de l’école de Chicago et du travail de W.C. Allee. Il s’agissait d’une écologie qui mettait l’accent sur les interactions mutuelles et les métabolismes biologiques coopératifs. Je pense qu’avec Anna nous avons toutes les deux partagé, tout au long de notre vie de penseuses, une énorme loyauté envers les biologistes, les sociologues, les activistes, les agriculteus·trices et les autres pratiques qui comprennent l’interdépendance, la dimension relationnelle de tout ce qui existe.
Aujourd’hui, même les chercheuses spécialistes des questions de colonisation – dont nous faisons partie – n’ont aucune excuse pour ne pas prendre connaissance des incroyables travaux contemporains et de la recherche effectuée par des auteurs·trices indigènes sur les relations constitutives de toutes sortes. Je pense, par exemple, aux travaux de Zoe Todd sur la fabrique des liens de parenté avec la pluralité des espèces poissons7. Comme l’a dit Scott Gilbert8, nous sommes tou·te·s des lichens. Anne Pringle9 est peut-être dans le public et apprécie particulièrement cette vérité décisive de notre monde : la compréhension du fait que les créatures du monde sont des compositions qui se tiennent suffisamment bien ensemble pour endurer chaque journée, et qu’en vivant et en mourant de concert les unes avec les autres, en se construisant et en se décomposant, en catabolisme et en anomalie ou quel que soit le nom que les physiologistes du 19e siècle voulaient donner à tout cela, nous sommes en définitive des terrien·nes, vivant·es et mourant·es les un·es avec les autres.
Cette façon d’affirmer que nous sommes des terrien·nes est une sorte de contrepoids à toute transcendance philosophique, de la science et de la politique, ainsi qu’aux diverses tendances qui, dans le fond, voudraient s’affranchir de la mort et des effets du temps. Je pense que l’un des aspects de l’engagement dans la biologie relève d’un engagement vers la mortalité, la finitude, la reconnaissance que nous vivons dans les domaines spatio-temporels des vivants et des mourants. À ce titre, je ne suis pas et n’ai jamais été une militante pro-vie, y compris dans ma pratique de la biologie.
Je voudrais dire un mot à propos de George Evelyn Hutchinson, qui était effectivement mon directeur de thèse, et envers qui je suis très reconnaissante. C’était un privilège extraordinaire de travailler avec lui, en grande partie parce que c’était une homme qui s’était engagé dans la biogéochimie, avait lu les Russes, qui était attentif aux métabolismes de la planète bien avant que Lovelock et Margulis n’inventent le terme Gaïa. Hutchinson était profondément intéressé par la systématicité des échanges et des multiples métabolismes à l’échelle de la planète. Il était un penseur systémique, matérialiste et mathématiquement astucieux. C’est lui qui m’a parlé pour la première fois du réchauffement climatique lorsque j’étais étudiante en premier cycle, à la fin des années 1960, parce qu’il était conscient de ce que les données indiquaient déjà.
Le mot Anthropocène, bien sûr, n’existait pas, mais il s’inquiétait déjà de ce qui allait se passer, car le lien reproductif entre les pollinisateurs et les fleurs allait se désynchroniser en raison des différentes périodes d’éclosion des insectes par rapport aux périodes de floraison. Il était déjà profondément inquiet de la perturbation de la synchronisation temporelle des générations parmi les organismes qui avaient pourtant besoin les uns des autres et il pensait toujours aussi bien en termes de roches que de créatures, d’eaux et de grands cycles métaboliques qui font de la terre ce qu’elle est dans les zones où la vie peut exister. En outre, il passait ses étés à étudier les manuscrits italiens enluminés parce qu’il était passionné par les oiseaux dans les marginalia des livres de prières italiens du 13e siècle, etc. Il avait une forme de curiosité pour les métabolismes du monde dont j’ai hérité. C’était un travail centré sur les liens de parentés entre les générations.
Anna Tsing : Ramenons la conversation à la question : pourquoi travailler avec des biologistes ? Une de mes collègues, Shiho Satsuka, est en train d’écrire un livre intitulé Undoing the 20th Century (Défaire le 20e siècle), et rien que le titre suggère qu’une partie du problème est due à un état de fait plutôt étrange : nous n’avons pas travaillé avec les biologistes. Je ne sais pas combien d’entre vous sont des spécialistes des sciences sociales comme moi, mais qu’est-ce qui a pu nous donner l’idée complètement folle que la socialité se limitait aux êtres humains ? C’est tellement extraordinaire, quand on y repense aujourd’hui, que nous ayons pu inventer toute une série de disciplines dans lesquelles seuls les humains comptaient. C’était une grande partie de tout ce programme de progrès humain du XXe siècle, qui n’impliquait personne d’autre que nous.
On le voit encore très bien aujourd’hui dans tous ces programmes qui veulent envoyer des gens sur Mars et ailleurs pour créer une nouvelle planète. Il se trouve que nous ne pouvons pas vivre par nous-mêmes. Toutes les sortes d’interdépendances à travers les espèces, à travers de nombreux types d’organismes, sont absolument essentielles à la vie, et nous ne pouvons pas le faire seul.es. En ce sens, rien que pour décrire le monde tel qu’il est aujourd’hui, il me semble que nous devons vraiment connaître les dynamiques relationnelles humaines et non humaines, en révisant toutes nos idées sur les relations sociales dans une acception beaucoup plus large de ce terme. Il est grand temps, je pense, que nous commencions toutes et tous à penser à notre situation d’une manière qui inclut les plantes, les animaux, les microbes, et plus encore, avant de les détruire tou·tes10.
Gregg Mitman : Inévitablement, dans ces séminaires que nous avons organisés, dans ces tables rondes, la question de l’espoir revient – et du cœur. Anna, vous avez parlé de l’espoir de penser à la vie dans les ruines. Et Donna, vous avez parlé de l’espoir et du fait de rester dans le trouble. Je me demande si vous pouvez en dire plus à ce sujet. Qu’est-ce que cela signifie d’espérer en vivant sur une planète en ruines ?
Anna Tsing : Je pense que nous n’avons pas d’autre choix que d’essayer de faire de notre mieux pour vivre avec les autres et aller de l’avant. Je pense que nous avons besoin de toutes sortes de récits et de formes de reconnaissance, dans les sciences mais aussi dans tous les autres genres imaginables, pour y parvenir. Je dirais également que l’une des réactions à mon livre sur les champignons a été de dire “oh, tout va bien se passer parce que vous êtes si optimiste”, ce qui m’a vraiment poussé vers le Plantationocène pour dire “je ne pense pas que ce soit vrai”. Nous ne pouvons pas nous asseoir et penser que tout va s’arranger.
Pour moi, aller de l’avant signifie en partie raconter des histoires vraiment terribles sur ce qui se passe dans le monde. J’ai l’impression que les chercheurs en sciences humaines et sociales ne savent plus restituer ces histoires. Nous sommes parfois tellement occupé·es à produire des histoires d’espoir, et je m’implique dans ce nous, que nous devons réapprendre des arts de la narration pour raconter les choses terribles que nous nous devons de connaître. Ces arts de faire sont nécessaires pour réussir à bien travailler avec les autres.
Donna Haraway : Je pense que nous devons cultiver les pratiques qui nous donnent du cœur à l’ouvrage, nous donnent la force de nous lever le matin avec cette vitalité pleine de jeu et de joie. Ce n’est pas simple, et cela exige de multiples attentions sensibles, en particulier en ces temps de crise accélérée, d’extinction massive et bien d’autres choses. Pour moi, ce qui aide ici en partie est la ferme conviction que nous avons vraiment besoin des sensibilités des un·es et des autres ici, y compris celles qui insistent en disant “no so fast with your happy story, lady”. Nous avons besoin des sensibilités des un·es et des autres pour rassembler la variété de compétences, d’affects et d’engagements qui nous permettront de vivre dans un présent épais. Je n’ai d’autre espoir que celui qui vient du cœur, car j’essaie de cultiver une manière de penser qui n’est pas futuriste mais qui considère plutôt le présent comme un enchevêtrement épais et complexe de temps et de lieux dans lequel il importe de cultiver des façons de répondre, des capacités à répondre. Aller de l’avant signifie notamment… raconter des histoires vraiment terribles sur ce qui se passe dans le monde.
J’ai été instruite dans ce domaine par Deborah Bird Rose11 et son travail avec des enseignant·es aborigènes australien·nes de la communauté Yarralin, dans le Territoire du Nord de l’Australie. Ses enseignant·es lui ont parlé de la manière dont une personne adulte sérieuse prend soin du pays – la traduction anglophone de cet extraordinaire complexe d’ancêtres, d’êtres vivants à la fois humains et plus qu’humains, de paysages et autres qui constituent le pays. Les personnes vivantes contemporaines sont chargées de prendre soin du pays, ce qui signifie faire face à celle·ux qui sont venu·es avant afin de laisser à celle·ux qui viennent après un pays moins violent, moins abîmé. On ne regarde pas en avant vers celle·ux qui viennent après.
Il faut savoir que les personnes qui racontent cela à Deborah Bird Rose ont vécu la disparition d’environ 80 à 90 % de leurs propres lignées généalogiques, de leurs lignées de rêve et de leurs traces. Ce sont des gens qui ont été soumis à la fin du monde d’une manière extrêmement radicale, qui lui parlent de continuer à prendre soin du pays et de continuer à prendre soin des générations qui existent encore, tout en étant quelque peu ouvert·es à la construction de nouvelles pistes de rêve et de nouvelles lignées dans le pays, pour créer des liens de parentèles de manière aussi nouvelle qu’ancienne. C’est tout un ensemble extrêmement complexe de relations.
Mais ce type de présent, d’actuel – cette dimension du mot anglais pour désigner le temps où l’on se préoccupe très sérieusement du pays – dure environ cent ans. C’est le temps de la possibilité de raconter des histoires sur des êtres nommés, des personnes dont vous vous souvenez du nom ou dont quelqu’un se souvient, ou un animal que vous avez rencontré. La narration a la qualité d’une histoire de vie, c’est un présent épais. J’aime cette façon de penser à la manière dont nous rassemblons en quelque sorte la capacité de mettre en œuvre les réparations qui peuvent être faites, d’interrompre les catastrophes en cours, d’affirmer notre finitude, de refuser les diverses sortes de techno-optimisme ou de techno-pessimisme et de fermement s’opposer à la transcendance sous toutes ses formes, ce qui exige de comprendre qu’il n’y aura pas de statu quo ante. Il n’y aura pas de retour à un espace et un temps pleinement réparé. Ce n’est pas la même chose que de dire qu’il ne peut pas y avoir de réparation, de restauration, de restitution, de reconstruction, et d’inclusion de nouvelles choses, d’êtres qui arrivent dans le monde, de manières de vivre dans le monde qui n’existaient pas auparavant sur cette planète.
Je pense que chaque fois que des créatures jouent entre elles, un couple de chiens, par exemple, elles mobilisent un répertoire hérité. Elles font une chorégraphie d’une manière biologiquement pré-saturée, et dans tout combat ludique digne de ce nom, elles prennent cet ensemble de capacités héritées et en font quelque chose qui n’a littéralement jamais existé sur cette planète auparavant. Le jeu, c’est exactement cela. C’est la reprise de l’héritage dans des chorégraphies et des interactions qui produisent ce qui n’a jamais existé auparavant sur cette planète. Le jeu est soutenu par la joie. Personne ne va rester dans une partie de jeu à moins qu’elle ne soit soutenue par la joie. D’abord, c’est trop dangereux. Le jeu n’est jamais sûr. Il y a quelque chose à ce sujet qui me semble vraiment fondamental pour la vie d’un organisme.
Question du public sur la joie qui soutient le travail de Tsing, Haraway et de ceux qui veulent parler dans un monde en train de disparaître…
Donna Haraway : Je veux faire appel à nouveau à Deborah Bird Rose pour répondre. Elle est morte il y a quelques mois, et j’ai beaucoup pensé à elle parce qu’elle m’a donné, nous a donné, tant de choses. Ces dernières années, elle a écrit sur le chatoiement, le chatoiement du monde vivant et le bling, l’éclat du monde vivant. Elle a fait des études très intéressantes sur les renards volants, les roussettes – des chauves-souris, des grandes chauves-souris. Les relations des chauve-souris aux fleurs sont très menacées, très vulnérables, et Deborah était vraiment à l’écoute des peuples autochtones qui se souciaient le plus des relations particulières de pollinisation de ces êtres. Elle était profondément engagée dans le bien-être des fleurs, des renards volants et de leurs mondes. Elle a raconté comment, lorsqu’elle s’est engagée à travailler sur ces questions très troublantes mais importantes, elle a ressenti le scintillement, le pur éclat de la vie, en observant l’une de ces roussettes. Les choses auxquelles nous tenons nous soutiennent grâce à leur éclat.
Ce n’est pas si difficile de jouer. Il n’est en effet pas si difficile d’entretenir la joie si nous nous laissons faire. La joie n’est pas l’innocence ; c’est l’ouverture à la sollicitude. Si nous laissons entrer le plaisir, si nous laissons entrer la lumière, si nous la laissons s’infiltrer, il y a des sortes d’apparition furtives de l’éclat et de la joie du monde. Nous vivons vraiment sur une planète étonnante, et nous pouvons tout aussi bien laisser entrer l’étonnement.
Photo de couverture : joakimbkk.
Notes
- http://www.michelefirk.org/programme/cycle-sur-les-plantations/[↩]
- La conversation s’est déroulée sur le campus de l’Université du Wisconsin-Madison, sur les terres ancestrales des peuples Peoria, Miami, Meskwaki, Sauk et Ho-Chunk, qui ont été déplacés de force de leur région d’origine par des actes de violence et de dépossession. Ce séminaire John E. Sawyer, financé par la Fondation Andrew W. Mellon, comprenait une série de conférences publiques, de tables rondes, ateliers, projections de films et expositions dans les bibliothèques et les musées de février 2019 à mai 2020.[↩]
- Cf. Keith Basso, L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert, Zones Sensibles, 2016.[↩]
- Donna Haraway insiste sur l’engendrement, qu’elle oppose à la production. La notion de production se concentre sur la reproduction du même, et standardise et simplifie les milieux pour mieux maitriser cette reproduction. La production ne se soucie pas des conditions de possibilités qui favorisent ou non la possibilité d’une succession des générations et des relations qui les font tenir.[↩]
- Cf. en langue française Sidney W.Mintz, La douceur et le pouvoir. La place du sucre dans l’histoire moderne, Éditions de l’université de Bruxelles, 2014.[↩]
- Gregg Mitman, The State of Nature: Ecology, Community and American Social Thought, 1900-1950, University of Chicago Press, 1992.[↩]
- Todd, Z. (2014). ‘Fish pluralities: Human-animal relations and sites of engagement in Paulatuuq, Arctic Canada’. Etudes/Inuit/Studies 38(1-2): 217–238.[↩]
- Jan Sapp, Scott F. Gilbert, Alfred I. Tauber, « A Symbiotic View of Life : We have Never Been Individuals », The Quarterly Review of Biology, vol. 87, n° 4, 2012.[↩]
- Botaniste spécialiste des champignons, http://pringlelab.botany.wisc.edu/index.php#[↩]
- Dans le texte original, les paragraphes suivants sont consacrés à des théories systémiques dans le champ de la biologie. Nous ne les avons pas retenus dans la traduction pour faciliter la lecture.[↩]
- Deborah Bird Rose (1946-2018) est anthropologue, elle a consacré sa vie à l’entrecroisement des questions de justice sociale et de justice écologique, à partir d’un long travail de terrain avec les peuples aborigènes d’Australie. Avec Thom Van Dooren elle a fondé la revue Environmental Humanities. Elle est l’autrice de Rêve du chien sauvage (La Découverte, 2020) ainsi que Vers des Humanités écologiques, (WildProject, 2019) avec Libby Robin.[↩]