Extrait de Greenwashing. Manuel pour dépolluer le débat public, ouvrage collectif dirigé par Aurélien Berlan, Guillaume Carbou, Laure Teulières et paru récemment aux éditions du Seuil (avril 2022).
À mesure que l’aggravation des problèmes écologiques les rend incontournables dans le débat public, le terme de « greenwashing » s’est également imposé, diffusé, et finalement popularisé. S’il est apparu pour dénoncer la simple récupération publicitaire de l’argument écologique par certaines entreprises ou institutions, on l’emploie aujourd’hui de manière bien plus large. Il est utilisé pour alerter sur les impasses de pratiques, de technologies ou de politiques publiques pourtant présentées ou perçues, parfois au sein des mouvements écologistes eux‑mêmes, comme des solutions aux problèmes environnementaux. Le greenwashing semble donc dépasser largement le champ de la communication d’entreprise pour apparaître comme une tendance plus générale à « mal penser » les problématiques écologiques dans notre société. Or, si l’on veut rendre nos modes de vie, de production et d’organisation sociale compatibles avec le maintien d’une planète habitable, il faut commencer par dépolluer le débat public des discours et des fausses promesses qui, en masquant ou en travestissant la réalité, nous empêchent d’être lucides sur le désastre en cours et sur les mesures nécessaires pour le limiter.
Tel est l’objectif de ce manuel d’autodéfense intellectuelle. Il se présente comme un dictionnaire passant en revue les principaux domaines et concepts où le greenwashing est à l’œuvre de nos jours. En retraçant l’histoire des mots et des idées, en analysant les simplifications et les impensés qui y sont logés, en mettant en évidence leurs présupposés douteux et leurs écueils pratiques, les vingt‑cinq entrées de cet ouvrage entendent être utiles à toutes celles et tous ceux qui souhaitent naviguer dans le brouillard du greenwashing contemporain.
Ce projet a pris forme dans le vivier de l’Atelier d’écologie politique (Atécopol) de Toulouse1, collectif de chercheurs et de chercheuses de toutes disciplines, engagés dans la réflexion sur les bouleversements écologiques en cours. En sont membres la coordinatrice et les coordinateurs de l’ouvrage, ainsi qu’une bonne part des 37 spécialistes qui y ont contribué. Les autres sont des scientifiques issus d’autres régions ou collectifs, des journalistes, des activistes ou des professionnels engagés. En faisant collaborer toutes ces plumes, nous avons tenu à rappeler que l’analyse des impasses écologiques de notre société n’est pas seulement issue, loin s’en faut, des cénacles académiques.
Si les contributions réunies ici analysent chacune indépendamment une expression particulière du greenwashing, cette introduction l’aborde, pour sa part, comme un phénomène général. La diversité des acteurs qui l’alimentent et le renouvellement constant de ses formes suggèrent qu’il remplit des fonctions majeures dans la reproduction de notre société : bien plus qu’un simple verdissement de façade, le greenwashing contemporain apparaît comme une manière de nous enfermer dans une trajectoire socioécologique insoutenable. Voilà pourquoi il est urgent d’en déjouer les pièges.
Les grosses ficelles de la « communication verte »
Dans son usage le plus fréquent, le terme greenwashing désigne toute forme de communication fallacieuse ou frauduleuse en ce qui concerne les performances écologiques d’un produit ou d’une entreprise – ce sont les deux niveaux couramment identifiés dans les recherches sur le sujet : product-level et firm-level. Depuis près de trois décennies, toutes sortes d’associations, de militants et d’intellectuels tentent d’en dévoiler les recettes. Sans entrer dans le détail, rappelons‑en quelques‑unes. Il y a d’abord des moyens rhétoriques, comme l’emploi de termes flous évoquant l’écologie (eco-friendly, 100 % naturel, etc.), d’euphémismes permettant d’atténuer certaines réalités (produits phytosanitaires plutôt que pesticides) ou d’expressions consistant à associer une notion « écologique » à un terme ou une activité contestée (biocarburants, gaz naturel) quitte à créer de véritables oxymores2 (développement durable, écologie industrielle, etc.). Le greenwashing peut aussi passer par des déclarations invérifiables ou de simples promesses permettant de remettre à plus tard les actions concrètes. En association étroite avec ces procédés discursifs, il y a des moyens plus subliminaux, comme des images ou des sons (décors naturels, chants d’oiseau, etc.) afin d’associer au produit ou à la firme l’idée de respect de la nature ou d’éco‑compatibilité (McDonald’s qui repeint ses enseignes en vert…).
La communication ne passe pas seulement par du discours ou de l’image, mais aussi par des actions qui permettent d’attirer le regard sur ce que l’on veut montrer pour le détourner de ce que l’on veut masquer – cette captation de l’attention est au cœur de bien des formes de greenwashing. Un procédé très répandu consiste par exemple à mettre en avant un aspect ou une action écologique réelle mais mineure (on repense l’emballage d’un produit, alors que c’est le produit lui‑même qui pose problème). Les entreprises peuvent également soutenir des causes environnementales, sponsoriser des associations ou des fondations écologistes – ces dernières servant alors de « couverture » ou de « paravent » pour verdir l’image des firmes sans qu’elles aient à revoir leurs pratiques.
En anglais, la notion incorpore un double ou triple jeu de mots que ne restitue pas sa traduction française par « éco‑blanchiment », qui joue sur d’autres connotations. Il s’agit d’abord d’un décalque du mot whitewashing qui désigne au sens propre le blanchiment à la chaux (technique permettant de donner, à peu de frais, un coup de « propre » à un mur) et au sens figuré tout procédé de dissimulation. De même, le greenwashing consiste à ravaler la façade d’industries « sales » car polluantes, à couvrir de peinture verte leurs dégâts environnementaux. Mais ce néologisme fait aussi penser à une autre notion, celle de brainwashing (« lavage de cerveaux »), couramment utilisée pour désigner la visée de la propagande, notamment publicitaire : influencer les opinions de quelqu’un au point de lui faire penser autre chose que ce qu’il pensait, comme si on était parvenu à faire « table rase » de ses idées propres, à lui « nettoyer le cerveau ». Cette association d’idées ajoute quelque chose de plus : le greenwashing ne consiste pas seulement à recouvrir et occulter certaines réalités désagréables, il désigne en même temps une forme de manipulation mentale visant, comme bien des formes de « relations publiques », à fabriquer l’adhésion et le consentement3. Enfin, cette notion rappelle aussi le terme hogwash, qui désigne au sens propre la « bouillie pour les cochons » et au sens figuré une ineptie proférée pour tromper. Et de fait, c’est bien à une série de non‑sens écologiques que se ramènent la plupart des formes de greenwashing, qui ne peuvent paraître sensées que parce qu’elles font l’objet d’un matraquage médiatique qui façonne le sens commun.
En première approche, le greenwashing consiste donc simplement à jouer sur les apparences, pour berner et désorienter les consommateurs en leur faisant croire que l’organisation qui y recourt est plus propre qu’elle ne l’est en réalité. En quelque sorte, il s’agit d’un hommage que le vice rend à la vertu, et l’on peut y voir la tartufferie de notre époque industrielle, ou sa sophistique – en référence aux sophistes qui, dans la Grèce antique, enseignaient à convaincre un auditoire, quitte à user des moyens rhétoriques les plus malhonnêtes.
Un contre-feu face à la critique écologique
En ce sens, le greenwashing émerge en réaction aux préoccupations écologiques qui se diffusent largement depuis les années 1960 et 1970. De plus en plus pointées du doigt en ce qui concerne leurs méfaits, les grandes entreprises ont d’abord réagi en balayant les critiques : soit en se retranchant dans la dénégation pure et simple (nier la réalité des problèmes écologiques ou leur responsabilité en la matière), soit en tentant de discréditer la pensée et le mouvement écologistes, ce qu’on a appelé le green backlash4. Mais à partir des années 1980, certaines multinationales ont compris que cette stratégie allait à terme les acculer dans une impasse. Elles ont alors élaboré une autre manière d’affronter la critique, en tentant de la récupérer. En verdissant leur image, elles ont voulu suggérer qu’elles avaient pris conscience des problèmes et les prenaient en charge : c’est l’essor de « l’écologisme d’entreprise5 ». L’accusation de greenwashing, qui est une riposte de la société civile face à cette nouvelle stratégie, surgit alors : le terme apparaît en 1987 dans le contexte de la critique du nucléaire et se popularise rapidement, notamment par le biais d’un article de 1991 sur le greenwash dans le magazine états‑unien engagé Mother Jones, puis du premier « guide du greenwashing » publié par Greenpeace en 1992.
Si, sur la scène médiatique, dénigrement (greenbashing) et récupération (greenwashing) de la critique écologique semblent s’opposer, ils sont en fait complémentaires. Sur le plan stratégique, ce double mouvement permet en effet de délimiter le « corridor du discours » en matière environnementale dans notre espace public. D’un côté, il est possible de dénigrer par tous les moyens l’écologie politique (en affirmant qu’elle prône le « retour à la bougie », qu’elle « recycle des idées qui puent » réactionnaires ou anti‑humanistes, ou qu’elle est portée par des fanatiques « khmers » ou des « ayatollahs verts », etc.) ; de l’autre, on peut en désamorcer le potentiel critique sur le mode du consensus, en gommant toute conflictualité derrière l’engagement prétendu de tous (le business fait partie de la solution, chacun fait sa part, etc.). Dans les deux cas, il s’agit d’aller dans le même sens : exclure du débat « sérieux » les projets de transformation sociale remettant en cause les modes de vie, les technologies ou plus généralement le fonctionnement du capitalisme industriel.
Loin de seulement le remplacer, le greenwashing alimente le greenbashing. L’omniprésence des prétentions écologiques dans la communication institutionnelle conduit en effet à ce que l’historien Michael Bess a appelé la « société vert clair6 » : un monde où le souci de l’environnement semble être à la fois partout et nulle part, produisant un sentiment de saturation chez bien des gens. Le malaise s’accentue encore quand ce prétendu souci est invoqué pour justifier des dispositifs réglementaires compliquant la vie quotidienne des populations, en particulier des moins favorisées, pour un résultat environnemental dérisoire. C’est par exemple le cas de tout un ensemble de normes qui pèsent sur la profession agricole : loin de remettre en cause le modèle productiviste, elles le renforcent en favorisant l’élimination des petites exploitations au profit des plus industrielles. Ainsi, le greenwashing peut‑il aussi favoriser le ressentiment des populations contre l’écologie.
Plus que des mots : des dispositifs faisant illusion
La définition standard du greenwashing dont nous sommes partis est néanmoins trop restrictive. Dans bien des cas, ses manifestations débordent le champ de la com’ d’entreprise, et même de la com’ au sens courant. À mesure que les États ont été perçus comme des acteurs majeurs de la trajectoire insoutenable de nos sociétés, ils se sont eux aussi lancés dans le greenwashing pour couper l’herbe sous le pied d’une critique qui appelle à « changer le système, pas le climat ». À ce niveau, le greenwashing va bien au‑delà des « beaux discours » et se matérialise par des politiques très concrètes : édiction de lois prétendument écologiques ; financement de technologies (voiture électrique, transition numérique, etc.) dont les effets sur le climat sont moins certains que sur le compte en banque des grands actionnaires ; ou encore mise au point de dispositifs réglementaires impulsant des pratiques qui donnent l’impression que les autorités publiques prennent les problèmes à bras‑le‑corps alors qu’elles ne remettent pas en question leurs causes fondamentales.
Prenons l’exemple de la « lutte contre les passoires thermiques », qui fait généralement l’unanimité comme action écologique : telle que mise en œuvre aujourd’hui, avec des matériaux industriels fortement émissifs ainsi que des entreprises contraintes par des impératifs de rentabilité plutôt que de qualité, elle permet en fait d’alimenter la croissance du BTP et menace d’être contre‑productive7. De même, la méthanisation passe pour fournir une énergie « verte » ou « propre » puisque issue de ressources renouvelables : un mix de déchets végétaux et de déjections animales dont la fermentation dégage du méthane, brûlé pour produire de l’électricité. Mais telle qu’elle est développée en Bretagne depuis le « Pacte électrique » de 2010, elle sert surtout à verdir la façade du complexe agroalimentaire breton, qui est tout sauf écologique. Car elle offre un autre débouché aux immenses quantités de lisier de porc que l’épandage dans les champs, à l’origine des marées d’algues vertes qui polluent le littoral. Ce faisant, elle contribue à rendre acceptable l’élevage hors‑sol en atténuant l’un des problèmes qu’il pose. Pis encore, la chaleur cogénérée permet parfois de chauffer les serres produisant des tomates ou des fraises hors saison, contre tout bon sens écologique.
Autre exemple où le greenwashing se trouve littéralement institutionnalisé : le marché carbone. Depuis le protocole de Kyoto, il a été mis en place par les États industriels et les industries fossiles au nom de la promesse de réduire les émissions de CO2 sans passer par des réglementations contraignantes – en instituant donc un marché de « quotas carbone » (c’est‑à‑dire de droits à polluer), avec la possibilité de générer des « crédits carbone » par le biais des « mécanismes de compensation ». Cela a abouti au fait que seuls 2 % des échanges de crédits carbone ont eu pour effet de réduire les émissions. Et tel était au fond le but de toute l’opération : empêcher la mise en place de mesures limitatives8.
Dans ces cas de figure, le greenwashing prend une tout autre dimension. Il n’opère plus au niveau de produits ou de firmes, mais de filières entières (le BTP, l’agroalimentaire, les industries fossiles), voire du système économique dans son ensemble en contribuant à le préserver de la critique. À ce niveau, on ne peut plus se contenter de voir là le simple fruit de tactiques commerciales ou politiques isolées. Certes, des groupes d’intérêts bien précis sont à la manœuvre et des stratèges tout à fait conscients poussent certains dispositifs et travaillent à leur acceptation. Mais réduire le greenwashing généralisé dans lequel nous baignons à une entreprise de mystification orchestrée par quelques élites qui en tirent un profit direct ne permet pas de comprendre l’ampleur du phénomène dans notre société. Car ce ne sont pas seulement les entreprises les plus polluantes qui cherchent à masquer leurs méfaits, mais toute une diversité d’acteurs, jusqu’aux plus sincères, qui participent à faire proliférer les fausses promesses, les demi‑solutions ou les véritables impasses face à la crise écologique. Comme en témoigne cet ouvrage, cette tendance irrigue jusqu’aux domaines que l’on peut légitimement considérer comme d’efficaces leviers d’action. Ainsi, alors même que l’arrêt des moteurs thermiques, le recyclage ou encore l’afforestation ont bien leur place dans une société soutenable, le véhicule « propre », l’économie circulaire ou la plantation d’arbres pour compenser des émissions de CO2 apparaissent aujourd’hui irrésistiblement comme de gigantesques entreprises de greenwashing. Comment expliquer cette situation où les tentatives d’écologisation semblent toujours tourner court ? Pourquoi la moindre idée écologique donne‑t‑elle immédiatement prise dans l’espace public à un foisonnement de discours et de pratiques dont le caractère fumeux ne peut que frapper les esprits lucides ?
Le greenwashing, symptôme d’une pensée verrouillée
Une première piste de réponse se situe du côté de la sociologie de la culture et de l’histoire des idées. En effet, ces disciplines nous enseignent que chaque moment socio-historique connaît une sorte de canalisation des pensées et des discours dans des bornes qu’il est intellectuellement difficile, et socialement risqué, d’outrepasser. Chaque époque, chaque société possède ses évidences et ses impensés, ses valeurs et ses manières de mener des raisonnements qui lui semblent valides. Ce cadrage culturel rend difficilement audibles les pensées qui sortent des sentiers battus, mais tend aussi et surtout à orienter les réflexions dans des directions préformatées. C’est ainsi qu’à notre époque et sur la thématique écologique, il est terriblement difficile, y compris pour des esprits sincères, de s’extirper de certaines catégories héritées et de ne pas reproduire les mêmes impasses sous des prétentions d’innovation. La lecture des contributions à cet ouvrage met ce phénomène en lumière de manière particulièrement claire. Sur des thématiques aussi variées que l’agriculture, les transports ou encore la « transition », on retrouve toujours les mêmes manières de (mal) penser les problèmes écologiques. En particulier, trois biais caractéristiques de la pensée moderne nous semblent cadenasser les réflexions sur les différents sujets abordés : l’économisme, le solutionnisme technologique et la pensée en silo.
L’économisme désigne la tendance à n’imaginer la conduite des affaires humaines qu’au travers des mécanismes de marché. La gestion des communs, l’auto‑organisation, la coopération internationale et bien d’autres propositions9 sont ainsi laissées dans l’ombre. L’obsession de la « croissance verte » est représentative de ce phénomène d’invisibilisation des alternatives par l’entêtement marchand. Plus problématique encore, inscrire des dispositifs à prétention écologique dans les logiques du marché revient à les soumettre à un certain nombre d’impératifs (rentabilité, compétitivité, croissance, etc.) et de travers (aveuglement aux externalités négatives, quête obsessionnelle de profit pouvant conduire à des pratiques malhonnêtes, influence des lobbies, etc.) qui font justement partie des moteurs de la catastrophe actuelle. Enfin, l’économisme consiste en une simplification radicale des problématiques humaines et écologiques. Il réduit la complexité de la vie à des indicateurs chiffrés (le PIB, le chiffre d’affaires, la valeur financière, etc.) afin de pouvoir en assurer la gestion via des instruments économiques universels. L’absurdité de cette approche ressort nettement des processus de « compensation écologique » qui sont au cœur de la « finance verte » et de la gestion de la biodiversité. La marchandisation de la nature qui les sous‑tend conduit à une négation de la profondeur qualitative du monde et à des mises en équivalence sidérantes entre la disparition d’une espèce animale et le fait d’investir dans des ateliers de réparation de vélos.
Le solutionnisme technologique désigne la confiance dans l’innovation techno‑scientifique pour régler tous les problèmes. Face à la crise écologique, il constitue à la fois un pari dangereux et un puissant gardien de l’ordre établi : au vu de l’urgence et de la gravité des menaces, croire qu’une technologie miraculeusement propre nous sortira d’affaire est particulièrement risqué – mais alimenter cet espoir a l’avantage, pour les partisans du statu quo, d’exclure du champ de la réflexion tout un ensemble de propositions politiques alternatives. L’idée de « sauver la planète » (ou plutôt le système) par la technologie pose par ailleurs divers problèmes écologiques, connus et reconnus : déplacement et/ou transformation des pollutions, effet rebond, épuisement des ressources (minières ou foncières), etc. En outre, elle nous enferre encore et toujours dans l’aveuglement aux alternatives, les fantasmes démiurgiques et le retardement de l’action.
La pensée en silo, enfin, consiste à considérer les éléments indépendamment du tout et entretient ainsi l’aveuglement aux phénomènes systémiques. Cette rationalité à œillères s’exprime par exemple dans la recherche de solutions « individualistes » ou « par secteur » aux problèmes écologiques. Les limites de l’individualisme sont pourtant connues : comment faire reposer sur les personnes isolément la charge d’une crise globale dont elles sont par ailleurs les premières victimes ? Si l’articulation de l’individu et du collectif est sans doute un enjeu politique majeur, l’effacement du second derrière le premier est à coup sûr une impasse absolue. L’autre aspect de la pensée en silo est manifeste lorsqu’on se met à considérer la transition écologique de secteurs spécifiques. Est‑il pertinent par exemple de penser la décarbonation de l’aviation indépendamment de l’écologisation générale de nos sociétés, comme on le fait si souvent ? Cela conduit pourtant à des écueils largement documentés : déplacement des pollutions (l’avion à hydrogène implique de… produire de l’hydrogène), conflits d’usages (l’aviation revendique un pourcentage colossal du potentiel total de production d’agrocarburants, oubliant que les autres secteurs aussi devront en utiliser), ou encore accaparement des terres (pour « compenser » leurs émissions, les compagnies aériennes plantent des arbres sur des zones confisquées aux populations locales).
Le greenwashing généralisé dans lequel nous baignons n’est donc pas seulement le produit de tactiques d’enfumage. Ou plutôt, celles‑ci ne fonctionnent que parce qu’il est aussi le fruit d’un « air du temps » fondamentalement anti‑écologique : celui d’une modernité économiciste, techno‑solutionniste et aveugle aux phénomènes globaux, incapable de dévier du tunnel qu’elle ne cesse de creuser. La bataille culturelle qui permettrait de dépasser ces biais constitue l’un des enjeux majeurs de la lutte écologiste.
Une demande sociale pour rester en zone de confort
En second lieu, si beaucoup de gens sont désormais conscients et inquiets de l’ampleur de notre destructivité, les remises en cause de nos modes de vie (voire de nos privilèges en tant que ressortissants des pays dominants10) qui seraient nécessaires pour y faire face semblent tellement énormes que tout ce qui permet de les ajourner est facilement accueilli sans recul critique. Envisager la fin de la voiture individuelle, du smartphone, ou la redirection de la majorité des activités productives vers les low tech et les travaux manuels suscite de fortes rebuffades. Il est vrai que l’essor des sociétés industrielles s’est accompagné d’améliorations des conditions de vie (soins médicaux de base, salubrité publique, sécurisation des approvisionnements, etc.) et du déploiement d’un éventail de possibilités technologiques que l’on peut trouver enthousiasmantes. Mais il est clair qu’espérer limiter les bouleversements écologiques en cours, à commencer par le réchauffement climatique, implique de renoncer à certaines de ces possibilités, du moins sous leur forme actuelle. Or, cette perspective semble inenvisageable, même pour certains partisans déclarés de l’écologie. Pourtant, est‑il fondamentalement inacceptable de ne plus manger de fraises en hiver, de ne plus prendre l’avion, ou de privilégier le métier de paysan à celui de webmaster ? Surtout si c’est l’habitabilité même de la planète qui est mise dans la balance ?
Si ces idées semblent inaudibles dans l’espace public, c’est qu’elles ne bousculent pas simplement des habitudes isolées mais toute une vision du monde centrée sur le « progrès », vu comme un processus linéaire qu’il faudrait accepter ou rejeter en bloc. Dans cette vision, évoquer par exemple un désengagement du numérique pour raisons écologiques, c’est non seulement s’attaquer à quelque chose qui est devenu désirable pour bien des gens (malgré les conséquences ambivalentes de la numérisation du monde), mais c’est également sembler menacer l’ensemble des dispositifs techniques du quotidien (comme si refuser la 5G signifiait de facto renoncer à la radiographie médicale). Plus encore, c’est proposer de rompre avec le moteur des espérances contemporaines, comme si cette forme spécifique de développement techno‑scientifique constituait la seule et unique fabrique d’un avenir désirable. Voilà pourquoi le greenwashing répond aussi en quelque sorte à une demande sociale profondément ancrée : il protège l’idole du progrès dont la destitution provoquerait l’effondrement de bien des illusions constitutives de notre vie moderne.
Au‑delà, ou aux côtés de cette dimension culturelle, la demande sociale de greenwashing peut être renforcée par un phénomène d’ordre psychosocial : la conjuration du désespoir. Car bien sûr, le déni socialement organisé de la catastrophe est régulièrement fissuré par les percées médiatiques des diagnostics brutaux sur l’ampleur du désastre. Le constat s’impose d’une accélération dans la « grande accélération » en cours depuis la seconde partie du xxe siècle. La moitié du CO2 émis depuis plus de deux cents ans l’a été après le premier rapport du GIEC (1990), tandis que s’amplifiaient tous les bouleversements globaux, et ce malgré des améliorations technologiques considérables et la mise en œuvre de politiques se disant soucieuses d’environnement11. Autrement dit, l’inexorable aggravation de la situation atteste de l’impuissance à réorienter la trajectoire collective12. Face à de telles constatations, le greenwashing fonctionne finalement comme un dernier rempart – illusoire et pervers – contre la panique.
Que l’on vive toute remise en cause des retombées de l’abondance énergétique comme une insupportable castration, que l’on soit enclin à se précipiter sur la première solution apparente pour ne pas sombrer dans l’éco‑anxiété, ou que l’on se débatte simplement dans l’obscurité du présent et l’incertitude sur la voie à prendre, le greenwashing offre des solutions psychologiquement acceptables. Bref, les stratégies illusionnistes marchent parce que le monde tel qu’il est devenu pousse à se bercer d’illusions.
La condition nécessaire d’un essor industriel ravageur
Elles marchent aussi pour une troisième raison : le développement industriel repose de plus en plus sur un processus objectif d’occultation des dangers et des dégâts socio‑écologiques qu’il provoque – objectif en ce qu’il ne s’agit pas seulement de les masquer symboliquement, dans le discours, mais de les mettre à distance « loin des yeux, loin du cœur ». Il est frappant de constater que les activités industrielles les plus nocives, quand elles ne sont pas stratégiques, tendent à être « externalisées » loin des centres de consommation. Ce qui fait que les principaux bénéficiaires du « progrès » ont de moins en moins sous le nez les nuisances qu’il génère. Dans un tel aménagement du monde, le greenwashing peut prospérer.
Structurellement polluantes et dangereuses, les activités industrielles ont dès l’origine suscité l’hostilité et la méfiance des populations avoisinantes13. Celles qui le pouvaient cherchaient donc à s’en distancier ou du moins à esquiver leurs principales nuisances. Ainsi, la bourgeoisie parisienne a‑t‑elle préféré s’installer dans l’ouest de la ville pour que les vents dominants ne rabattent pas sur elle les fumées que crachaient les cheminées de la « ville des Lumières ». Il était donc logique que l’on cherche peu à peu à éloigner ces industries, tout d’abord des centres ville, puis dans des régions de plus en plus périphériques. Divers moyens ont été déployés. Les délocalisations bien sûr, liées aussi à d’autres considérations, mais également le développement de technologies en apparence moins polluantes.
L’histoire de l’électrification est un bon exemple de ce processus de mise à distance des nuisances industrielles. Au xixe siècle, le caractère polluant de l’industrialisation basée sur le charbon sautait aux yeux et à la gorge des habitants, sous la forme du smog notamment. L’électrification qui est au cœur de la deuxième révolution industrielle a permis de cacher en partie cette pollution aux plus privilégiés. La « fée électricité » est apparue comme une énergie « pure et immaculée » : lumière sans feu, donc sans combustion ni suie. Pourtant, l’électricité n’est propre qu’en apparence, n’étant pas une source d’énergie, mais un simple vecteur qui permet d’éloigner ses usagers des lieux de sa production, qui repose sur le charbon et désormais, tout particulièrement en France, sur l’atome. Néanmoins, le mythe perdure et l’électrification est plus que jamais au cœur du greenwashing. Support de la « dématérialisation » et de toutes les « smart » solutions, c’est encore elle qui entretient l’illusion d’un capitalisme vert, basé sur l’électron et les réseaux intelligents, et non sur l’extraction minière, le quadrillage filaire du monde, et la combustion fossile ou nucléaire. Comme le résument Alain Gras et Gérard Dubey dans leur histoire de l’électrification du monde : « L’image de la transition verte est une vieille histoire14. »
Le greenwashing n’est donc pas une dérive circonstancielle, mais une nécessité constitutive des sociétés industrielles. Pour assurer leur reproduction et leur essor, elles doivent faire disparaître « comme par magie » ce que personne ne veut voir, les revers de l’abondance industrielle : l’accroissement obscène des inégalités, les logiques (néo)coloniales de domination, et la destruction des milieux vivants. Le greenwashing fonctionne donc comme une idéologie, au sens de Marx : ce n’est pas tant un mensonge délibéré qu’un phénomène structurel d’inversion de la réalité dans la conscience commune. On peut aussi dire qu’il relève de ce que Guy Debord nommait le « spectacle » : une mise en scène qui, tout en exprimant les rêves d’une humanité endormie, fait écran sur le monde réel et les dynamiques qui le façonnent, et finit par anesthésier les esprits face à un mode d’organisation délétère, socialement et humainement.
La captation de la « transition » par les intérêts dominants
« Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera » relevait dès 1980 Bernard Charbonneau avec une magnifique lucidité15. Et en effet, la séquence historique actuelle n’est plus la même que celle qui a vu émerger les premières formes de greenwashing. Face à l’ampleur des changements globaux, le déni ou la diversion sont de moins en moins tenables. Un nouvel enjeu se fait jour pour les acteurs les plus puissants : non plus tant masquer la catastrophe que se positionner pour capter et conduire les transformations qui en résultent, tout en maintenant leur emprise. Ainsi, l’annonce faite par BlackRock, le premier gestionnaire d’actif au monde, de vouloir modifier sa politique d’investissement pour répondre au défi climatique peut être vue non comme une simple campagne mensongère, mais comme une véritable réorientation de l’entreprise, désireuse de faire main basse sur le juteux marché de la transition et d’imprimer à cette dernière une direction qui lui soit favorable.
Cette évolution touche au positionnement même des entreprises les plus polluantes. Beaucoup ne se contentent plus de chercher à ravaler leur image tout en poursuivant leurs activités anti‑écologiques, mais se redéploient pour prendre en charge les alternatives, et les formater selon leurs vues. On sait combien les géants de l’énergie fossile ont joué les « marchands de doute » en retardant délibérément la prise en compte du problème climatique, ExxonMobil et Total en tête16. Ces firmes se présentent désormais comme des « industries de gestion du carbone » (carbon management industry) se mettant ainsi du côté des solutions au problème écologique17… ou plutôt d’un certain type de solutions, calibrées par et pour elles, et dont cet ouvrage montre les limites et les dangers. Ce greenwashing taille XXL vise ainsi à ouvrir de nouvelles perspectives de développement à des industries dont le fondement même consiste en l’exploitation massive des ressources naturelles, comme les compagnies pétrolières et gazières, ou d’autres activités à l’empreinte particulièrement délétère. Un exemple typique de cette situation en France est le travail de l’opérateur EDF pour relancer la filière du nucléaire : en le présentant comme une solution au problème climatique, jusqu’à chercher à le faire intégrer aux « énergies durables » dans la taxonomie européenne, il parvient à capter d’énormes investissements, nationaux et internationaux, qui sont autant de financements qui n’iront pas vers des transitions plus raisonnables. Le greenwashing sert ici une puissante stratégie de développement industriel.
Sur un autre plan, on ne compte plus les milliardaires, fortunes faites sur la prédation du monde, qui annoncent leurs plans pour « sauver la planète » – ou plutôt leur emprise sur celle‑ci. La Fondation Bill Gates, la plus colossale des organisations philanthropiques, encourage à travers ses œuvres caritatives un modèle techno‑capitaliste présenté comme environnementaliste, via l’agriculture industrielle18 et le soutien à nombre d’activités et de firmes des plus néfastes à la cause écologique19. Quant à Elon Musk, son défi « vert » de faire éclore une innovation de rupture afin d’extraire le CO2 de l’atmosphère et son fantasme de coloniser Mars pour assurer la survie de l’espèce humaine en dépit du saccage de la Terre sont avant tout au service de l’expansion de son empire. Bref, les ambitions démiurgiques des rois de la Silicon Valley pavent opportunément la voie à une « transition écologique » faite de voitures électriques Tesla et d’algorithmes d’Amazon.
Dans ces grandes manœuvres pour préempter la cause verte, les États ne sont pas en reste. L’Accord de Paris de 2015 visait à universaliser les engagements pour un avenir climatique viable. Depuis, des États ratifient des plans plus ambitieux les uns que les autres censés réduire leurs émissions d’ici 2030 et viser la « neutralité carbone » en 2050, comme la Stratégie nationale bas carbone en France. Mais la plupart de ces promesses, sans feuille de route concrète, ne cherchent même pas à paraître plausibles. De ce fait, ce ne sont plus seulement Greenpeace ou les Amis de la Terre qui les dénoncent, mais des institutions multilatérales comme l’ONU, l’Agence internationale de l’énergie ou la Banque mondiale qui produisent des rapports pointant les insuffisances récurrentes des plans d’écologisation des gouvernements ou des secteurs industriels. Sans parler des tribunaux qui condamnent des États pour « inaction climatique ». Ce qui n’apparaît donc que comme une succession d’incantations et de gesticulations doit bien évidemment se comprendre comme l’expression de l’incapacité des dirigeants à envisager des transformations sociétales d’envergure, mais aussi, et peut‑être surtout comme la volonté de formater le traitement de la crise écologique selon des logiques habituelles. C’est ce que préparent les Green New Deal en tous genres en misant sur le marché, la gestion (supra) étatique, et l’innovation.
À ce niveau, le greenwashing n’est plus seulement un outil cosmétique ou défensif de protection du business as usual mais la pointe acérée de son développement. Il se transmute aujourd’hui en un appel à la relance économique, forcément verte. Principal récit en train de se cristalliser : l’horizon d’un monde écologisé grâce à des énergies décarbonées, des technologies « intelligentes », une économie « circularisée » et la capture du carbone. Les écueils de ce fantasme sont développés dans l’ensemble de cet ouvrage : fausse dématérialisation de l’électrification, limites physiques au recyclage et espoirs mis dans des technologies dont le premier inconvénient est tout simplement… de ne pas encore exister. Un grand risque est aussi l’excès de pression sur la biomasse, en comptant au‑delà du possible sur la capacité des sols, des cultures agricoles et des forêts à supporter l’empreinte de nos besoins, tout en passant sous silence les conflits d’usage qui ne peuvent que résulter de la rareté de ressources tant convoitées. Ce tableau dessine l’une des vigilances à avoir face aux promesses d’écologisation : ne pas tout réduire à l’empreinte carbone, ou, pis encore, au CO2 comme unique cible de réduction des impacts, mais prendre la problématique écologique dans toutes ses dimensions intriquées.
Déjouer le greenwashing pour libérer l’avenir
Ainsi faut‑il apprendre à ne plus se laisser sidérer par les éco‑promesses ou les éco‑tartufferies qui ne manqueront pas de surgir encore. Faussant l’appréhension des réalités en jeu, le greenwashing contribue à retarder le tournant écologique et à dépolitiser le sujet. C’est même son résultat fondamental : tromper pour préserver le statu quo, contrer la mobilisation et l’action collective en faveur d’un vrai changement de cap. L’effet est de canaliser la critique dans des impasses et de faire obstacle aux transformations sociales, économiques, culturelles et politiques qu’il faudrait (ou aurait fallu) engager pour éviter de se retrouver où nous en sommes. Le désastre écologique menace maintenant une large partie des formes de vie et jusqu’à l’habitabilité même de la Terre. L’histoire environnementale l’a suffisamment montré, il résulte du déploiement historique, à partir du monde occidental, d’un certain type de société et de mode de vie (quel que soit le nom qu’on lui donne : capitalisme, modernité techno‑scientifique, civilisation thermo‑industrielle, etc.). Le greenwashing apparaît en fin de compte comme l’ensemble de ce qui concourt à détourner de ce constat. Alors qu’il faut changer de modèle, tout est fait pour continuer à croire que des modifications à la marge suffiraient, comme troquer sa vieille voiture à essence contre un véhicule électrique dernier cri. Cela permet d’imaginer perpétuer l’expansion des besoins énergétiques et matériels – pour l’hypermobilité, la connexion ou la livraison généralisées – sans soulever les questionnements métaboliques essentiels sur les flux de matière et d’énergie, et sur la capacité des écosystèmes à absorber les pressions diverses. C’est pourtant à ces problématiques que nous devons être capables de faire face aujourd’hui, sans plus occulter la finitude et les limites, ni les responsabilités particulières des pays et des groupes sociaux les mieux nantis.
Mais il y a plus pernicieux. En floutant l’inaction climatique, en verdissant même sommairement l’inertie collective, ce que le greenwashing contribue à masquer, c’est le nouveau bond qui s’opère à vitesse accélérée dans l’industrialisation du monde, ce que signale la fuite en avant techno‑solutionniste. Bien plus qu’une simple illusion et de fausses assurances, il conforte une trajectoire et une emprise, et permet qu’on s’y enferre. La notion de « dépendance au sentier » dit de façon générale les effets d’inertie, de blocage, et de reproduction qu’ont installés bien des choix techniques et d’organisation de la société contemporaine : une fois telle ou telle option prise, difficile d’en changer. Cette situation prend aujourd’hui une signification majeure, car à mesure que des seuils d’irréversibilité écologique sont franchis, c’est comme si le sentier se dérobait derrière nous, interdisant toute velléité de revenir sur nos pas. En verrouillant ainsi la trajectoire en cours, en nous faisant manquer des embranchements qui auraient pu se révéler salvateurs, le greenwashing participe dangereusement à réduire le champ des mondes encore possibles. En contribuant à laisser s’aggraver la catastrophe écologique – sous ses diverses faces, de l’emballement climatique à l’effondrement de la biodiversité –, il justifie par avance le fait d’y répondre par le biais de procédés high tech, du monitoring numérique et du pilotage techno‑scientiste global… que d’aucuns préconisent déjà comme seule façon de faire face à l’Anthropocène.
D’abord simple verdissement de façade, le greenwashing se révèle, au terme de l’analyse, comme une façon de verrouiller l’avenir. Par ses effets, il s’apparente à une guerre menée contre les peuples et leur capacité à se saisir des enjeux et à décider des façons d’y répondre. Au regard des sombres perspectives que font peser les bouleversements globaux, est‑ce que les manifestations les plus pernicieuses du greenwashing, que l’on combat aujourd’hui en décernant ironiquement le prix Pinocchio ou le titre d’éco‑tartuffe, ne seront pas considérées un jour comme la contribution à un crime contre l’humanité ? Car ainsi se trouve trahie et toujours repoussée l’écologisation de la société, faute de prendre réellement en compte l’environnement dans le fonctionnement social (dans les politiques publiques, les pratiques professionnelles, les modes de vie…), non seulement par le biais de transformations politiques, mais aussi de changements économiques, de réorientations socio‑techniques et de libération des imaginaires culturels. Démasquer et combattre le greenwashing demande au contraire de rendre enfin audibles et visibles la multitude des alternatives, écologiques, solidaires et démocratiques qui permettraient de changer le cours des choses.
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Notes
- Voir https://atecopol.hypotheses.org/[↩]
- Bertrand Meheust, La Politique de l’oxymore. Comment nos dirigeants nous masquent la réalité du monde, Paris, La Decouverte, 2009[↩]
- Noam Chomsky et Edward S. Herman, La Fabrique du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Marseille, Agone, 2008.[↩]
- Jacqueline Vaughn Switzer, Green Backlash : The History and Politics ofEnvironmental Opposition in the U.S., Boulder, Lynne Rienner Publishers, 1997[↩]
- Mathias Lefevre, ≪ L’“ecologisme d’entreprise” : inscrire la consideration ecologique au coeur de la firme ? ≫, Écologie et politique, 37, 2008, p. 153‑163.[↩]
- Michael Bess, La France vert clair. Écologie et modernité technologique 1960‑2000, Seyssel, Champ Vallon, 2011[↩]
- Erik Mootz, ≪ Nos batiments sont obeses quand l’urgence climatique exige une architecture ascetique ≫, Le Monde, 12 aout 2020.[↩]
- Frederic Hache, ≪ 50 nuances de vert : extension des marches sur capital naturel et finance durable ≫, rapport pour Green Finance Observatory, 2019.[↩]
- Giacomo D’Alisa, Federico Demaria et Giorgos Kallis (dir.), Décroissance : vocabulaire pour une nouvelle ère, Paris, Le Passager clandestin, 2015.[↩]
- Sur les differences d’impact ecologique entre les nations et en fonction des inegalites sociales, voir Lucas Chancel, ≪ Climate change and the global inequality of carbon emissions 1990‑2020 ≫, World Inequality Lab, Paris School of Economics, octobre 2021.[↩]
- Isak Stoddard, Kevin Anderson et al., ≪ Three decades of climate mitigation : Why haven’t we bent the global emissions curve ? ≫, The Annual Review of Environment and Resources, 2021, 46, p. 12.1‑12.37.[↩]
- Kevin Anderson, ≪ Duality in climate science ≫, Nature Geoscience, 8, 2015, p. 898‑900,[↩]
- Voir Francois Jarrige et Thomas Leroux, La Contamination du monde : une histoire des pollutions à l’âge industriel, Paris, Seuil, 2017 ; Jean-Baptiste Fressoz, L’Apocalypse joyeuse : une histoire du risque technologique, Paris, Seuil, 2012[↩]
- Gerard Dubey et Alain Gras, La Servitude électrique. Du rêve de liberté à la prison numérique, Paris, Seuil, 2021, p. 61[↩]
- Bernard Charbonneau, Le Feu vert, Lyon, Parangon, 2009 [1980], chapitre ≪ La recuperation ≫, p. 137[↩]
- Christophe Bonneuil, Pierre-Louis Choquet et Benjamin Franta, ≪ Total face au rechauffement climatique (1968‑2021) ≫, Terrestres, 26 octobre 2021.[↩]
- June Sekeran et Neva Goodwin, ≪ Why the oil industry’s pivot to carbon capture and storage – while it keeps on drilling – isn’t a climate change solution ≫, The Conversation, 23 novembre 2021.[↩]
- Association Grain, ≪ Comment la Fondation Gates depense-t-elle son argent pour nourrir le monde ? ≫, 17 novembre 2014.[↩]
- Lionel Astruc, L’Art de la fausse générosité. La fondation Bill et Melinda Gates, Arles, Actes Sud, 2019.[↩]