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Extrait de Xavière Gauthier, Sophie Houdart & Isabelle Cambourakis, Retour à La Hague : Féminisme et nucléaire, Collection Sorcières, Éditions Cambourakis, Paris, 2022
Chère Greta Thunberg
Dès que je t’ai entendue lancer ton premier appel, la véhémence de ta voix, la justesse de ton propos, l’intensité de ton apostrophe m’ont convaincue que tu étais une sorcière. Moi qui suis une vieille sorcière du siècle dernier, je te vois comme une jeune sorcière, rebelle et savante. Tu as fait lever en moi un fol espoir, comme si tu me donnais la main à travers les générations.
Tu me permets une petite remarque ? Tu dis : « Vous m’avez volé mes rêves. » Or, moi, je ne t’ai rien volé du tout. Lorsque j’avais ton âge, je ne m’étais jamais assise dans une automobile, j’allais à pied à l’école, faisant ainsi 100 kilomètres par an (j’ai calculé), je revenais déjeuner chez moi, où ma mère avait préparé pour toute la famille les légumes du jardin (j’habitais en ville, mais nous avions un potager nourricier), les œufs de nos poules, parfois un de nos lapins aussi doux à caresser que délicieux à manger, le cidre de notre tonneau pour mon père, un dessert avec le lait que nous allions chercher dans notre gamelle chaque jour. Nous n’avions ni frigo, ni congélo, ni aspirateur, ni fer à repasser électrique, ni télévision, ni ordinateur. Nous moulions les grains de café à la main. Nous ne jetions pas de bouteilles en verre, nous les lavions ; pas de flacons en plastique, cela n’existait pas ; pas de tampons, de mouchoirs en papier, nous n’en avions pas. Je n’avais pas de portable, même pas le téléphone.
Ce n’était ni mieux, ni moins bien. C’était mon enfance, c’était dans les années 1950.
Maintenant que tu connais mon grand âge, je peux te raconter ce qui s’est produit, douze années avant ta naissance, dans la centrale atomique de Forsmark, non loin de la ville où tu es née, Stockholm. L’histoire se passe le 28 avril 1986. Un employé de cette centrale passe devant un détecteur et déclenche l’alarme. Évacuation, recherches dans tous les recoins : rien. Finalement, sur la pelouse, on détecte des particules radioactives typiquement soviétiques. Forsmark est pourtant à 1100 kilomètres de Tchernobyl. Mais les vents ont soufflé du sud-est et les pluies sont tombées dans le nord-est. La direction de la centrale suédoise alerte le monde entier : deux jours plus tôt s’est produite la plus grande catastrophe nucléaire du xxe siècle. En quelques secondes, la puissance du réacteur a centuplé. Les 1200 tonnes de la dalle de béton recouvrant le réacteur ont été projetées à l’air et sont retombées de biais sur le cœur du réacteur qui a été fracturé par le choc. Ce matin-là, 900 lycéens de Prypiat (à trois kilomètres de la centrale), un peu plus jeunes que toi, tournent autour de la centrale pour un « marathon de la paix ». Et aujourd’hui, à Pinsk, à plus de 300 kilomètres de Tchernobyl, 80 % des enfants sont malades. À Mozyr, à 100 kilomètres de Tchernobyl, sur 600 nouveau-nés, 230 sont en réanimation. Entre 1986 et 2004, il y a eu un million de décès prématurés. C’est un professeur émérite de l’université de Bâle, Michel Fernex, fondateur de l’association « Enfants de Tchernobyl Belarus », qui m’a appris ces terribles chiffres. Déjà, en 1995, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies estimait à près de 10 millions le nombre de personnes souffrant des conséquences de la catastrophe. « La tragédie ne fait que commencer », déclarait Kofi Annan. Je regarde les photos d’enfants difformes, tordus, atrophiés, et mon cœur entre en fusion, comme le cœur du réacteur.
Tu t’insurges contre les gouvernants du monde entier qui font de beaux discours mais ne tiennent pas leurs promesses. Tu as entièrement raison. C’est vrai aussi pour les dirigeants suédois qui ont décidé en 1980 l’abandon du nucléaire et qui construisent actuellement des installations de stockage géologique profond qui seront en service vers 2030. Où ? Justement sur le site de Forsmark, où des déchets de faible intensité sont déjà stockés à 50 mètres sous le fond de la mer Baltique. Pourquoi de nouvelles installations ? Pour les HAVL, déchets de haute activité à vie longue.
Tu vois, c’est ainsi ; dès qu’une région est nucléarisée, on ajoute et on ajoute, comme si c’était un endroit déjà condamné. C’est ce qui se passe à la Hague. Tu ne connais pas cette extrémité de presqu’île normande ? Cela m’amuse d’apprendre que hag, dans ta langue, c’est une vieille sorcière ! Mais, en vieux norrois (ancêtre des langues scandinaves et du normand), c’est un pâturage et c’est le nom de ce coin de France. De sorte que nous pouvons jouer à être cousines, ou presque, par nos ancêtres vikings… Eh bien, dans la Hague, près de la ville de Cherbourg dont l’arsenal est célèbre pour la construction de sous-marins nucléaires, on a érigé, dans les années 1960, un centre de retraitement des déchets radioactifs. Retraiter, ce n’est pas recycler, c’est séparer les déchets en en produisant d’autres, des rejets radioactifs liquides et gazeux en grande quantité. Cela ne diminue en aucun cas la radioactivité des déchets et même cela l’augmente, avec l’utilisation du combustible MOX. Ce retraitement ne sert à rien, sauf à obtenir du plutonium, principal élément d’une bombe atomique. Nucléaire encore : on a érigé, dans les années 1970, une usine atomique à Flamanville-Hague. Nucléaire encore : on érige actuellement un EPR, qui devait coûter 3,3 milliards d’euros mais a déjà dépassé les 19 milliards selon un rapport de notre Cour des comptes de juillet 2020, qui devait commencer à fonctionner en 2012 mais ce sera, peut-être, fin 2023. Où ? à Flamanville-Hague. Nucléaire toujours : ce bout de terre sacré « poubelle de l’Europe » doit subir, depuis 1969, la présence d’un centre de stockage à Digulleville – oui, c’est dans la Hague – où sont entreposés près d’un million de mètres cubes de déchets ultimes. Trop petit : on ajoute une extension pouvant contenir 4212 conteneurs de déchets vitrifiés de haute activité. Entre 2018 et 2022, le site accueillera 12 000 conteneurs. La présidente de l’Agence nationale des déchets radioactifs (Andra) ose déclarer (how dare you?) : « Nous surveillerons les déchets le temps qu’il faudra. » Pendant combien de centaines de milliers d’années va-t-elle surveiller ? Le journal de l’Andra répond (à l’automne 2015) : « Le processus de décroissance de la radioactivité des déchets peut prendre plusieurs millénaires. Après la fermeture des centres de stockage, comment prévenir les générations suivantes de leur présence ? » Un professeur en sciences de l’information et de la communication, s’appuyant sur la littérature du Moyen Âge, a retrouvé la description des sons censés avoir effrayé le roi Arthur et Lancelot : « Si ces sons ont conservé la même signification aujourd’hui, on peut présumer qu’ils puissent être compris de la même manière dans plusieurs siècles. » Quels sons ? « Un son strident et prolongé. » Reste « à trouver les moyens de diffuser » ces sons, continue l’autorité compétente. Dans 300 ans, dans 10 000 ans, dans 500 000 ans, on criera « Attention ! Danger mortel ! » aux humains – y en aura-t-il encore ? De quelle sorte ? Ce serait comique, s’il ne s’agissait pas de l’avenir de l’humanité. Puisque je suis dans ce registre, laisse-moi te raconter l’exercice surprise qui s’est déroulé une nuit de janvier 2021 à Flamanville. Depuis la catastrophe de Fukushima, les mesures de sécurité ont été renforcées, voyons le résultat. Plan d’urgence déclenché à 23 h 31; préfecture prévenue à 1 h 25 et Autorité de sûreté nucléaire à 1 h 43 ! Plus drôle (?) : le chef d’exploitation au poste de commandement ne savait pas « se connecter au système d’information collaboratif de crise ». Encore plus drôle (?) : « Un équipier ne connaissait pas le code du câble de protection antivol. »
Tu as été bouleversée, j’imagine, comme moi-même j’ai été bouleversée, comme nous avons été des millions à être bouleversés, en regardant la photo d’un ours tenant tout juste sur un petit iceberg en train de fondre. Il va mourir ! Il va s’enfoncer ! Au secours ! Il faut agir ! Mais, personne, presque personne, je le crains, n’est bouleversé en apprenant que plus de 8000 tonnes de combustibles irradiés, plus de 55 tonnes de poudre d’uranium, des milliers de mètres cubes de déchets, sont sous nos pieds, dans le nord de la presqu’île du Cotentin, ce pays qui était pâturage (hag), que plusieurs millions de litres de rejets liquides radioactifs sont dispersés dans le raz Blanchard, là, dans la mer.
Un ours, oui, c’est touchant, mais les papillons ? Tu ne sais pas ? Quand la centrale nucléaire de Fukushima a explosé, suite à un tsunami, tu n’avais que huit ans, mais tu devais être déjà très curieuse de savoir et capable d’indignation. Tout de même, sais-tu que, jusqu’à 200 kilomètres de la catastrophe, les papillons bleus ont les ailes atrophiées, courbées, en surnombre, les antennes difformes, les yeux bosselés, la couleur altérée. Pas grave ? Sans antennes pour explorer leur environnement, ces insectes sont mal. Ce sont seulement 12 % des sujets qui sont atteints ? Oui mais, à la génération suivante, les mêmes anomalies sont relevées sur 18 %, à la troisième génération, plus de 33 %, et à la suivante, 52 %. Les dommages sont génétiques. Le nucléaire est sournois. Il progresse à travers le temps, à travers les siècles.
Or, nous voulons des ours, nous voulons des coquelicots, nous voulons des papillons.
Pendant ce temps, les paysans ukrainiens pauvres tentent d’abattre des dizaines de loups radioactifs et enragés qui les attaquent, le soir, près de la zone d’exclusion de Tchernobyl. Ils ne peuvent même pas vendre les peaux, qui sont contaminées. Pendant ce temps, les éleveurs touaregs sont expulsés de leur territoire, les terres et les eaux nigériennes subissent les pollutions radioactives liées à l’extraction de l’uranium, nécessaire aux chauffages électriques des Français. Ni vu, ni connu, en 2010, Areva déverse 200 000 litres d’effluents radioactifs, à seulement 3,5 kilomètres de la ville d’Arlit. Et les fausses couches sont légion. Et les autochtones sont la proie de « maladies étranges ».
Pourquoi une telle indifférence au mal souterrain ? Pourquoi un tel déni ? Parce qu’il n’y a pas d’images ? Parce que la radioactivité ne se voit pas ? Qui s’inquiète des 150 000 tonnes de déchets radioactifs déversés dans l’Atlantique ? Qui dénonce les 17 000 tonnes qui gisent à 100 mètres de fond dans la fosse des Casquets (La Hague) ? Le plastique, au moins, on le repère.
Chère Greta Thunberg, toi, tu n’es pas dans le déni. Tu dis clairement : il faut s’instruire, il faut écouter les scientifiques. Tu relaies magnifiquement les rapports du Giec. Mais n’as-tu pas connaissance des analyses du GSIEN, le Groupement de scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire ? Ces savants expliquent que, malgré toutes les recherches faites depuis qu’on s’est lancé dans le programme nucléaire, donc depuis les années 1950, aucune solution n’a été trouvée pour l’élimination des déchets. « Faute de solution pour les supprimer, on se trouve dans la situation où l’on crée des matières très dangereuses et qui le resteront bien après que l’homme aura cessé d’utiliser l’énergie nucléaire. C’est l’un des plus graves problèmes liés à l’utilisation de cette énergie. Les technocrates l’occultent en disant que l’on trouvera bien une solution. […] Cela relève de l’acte de foi, non d’une attitude scientifique. » En 2022, il n’y a toujours pas l’ombre d’une solution. En attendant, les déchets s’entassent dans la très vieillissante usine de la Hague. Dès 2018, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire alertait sur la « saturation des piscines de La Hague, où refroidissent 10 000 tonnes de combustibles irradiés ». C’est l’équivalent de plus de cent-dix cœurs de réacteurs ! Et ces piscines sont très mal protégées. La solution à la saturation ? On a voulu en construire une autre à Belleville (Loire), les habitants ont refusé, alors ce sera sur le site de La Hague, encore et toujours. D’une capacité de 6500 tonnes, soit 13 000 assemblages de combustibles usés, elle va être entourée d’un mur de 5 mètres de haut sur 5 kilomètres. Charmant paysage !
Et les plus gros déchets, ce sont les centrales elles-mêmes, qu’on ne sait pas démanteler. N’as-tu pas entendu l’alerte du polytechnicien et physicien nucléaire, Bernard Laponche ? Il a participé à la mise en place des premières centrales nucléaires en France puis il a compris cette aberration : ces monstres de béton ne servent qu’à faire bouillir de l’eau chaude. Au passage, les deux tiers de la chaleur étant perdus, ils réchauffent les fleuves et la mer, car il faut refroidir les réacteurs en permanence avec de grandes quantités d’eau. La température du Rhin a augmenté de près de trois degrés. Les poissons n’apprécient pas. Tu comprends bien que non seulement le nucléaire ne sauvera pas le climat, mais que le réchauffement climatique rend encore plus dangereux le nucléaire. Déjà en 2003, l’année de ta naissance, la France avait été obligée de fermer dix-sept de ses réacteurs à cause d’une première canicule. Qu’en sera-t-il en 2050 quand l’étiage des cours d’eau aura baissé d’au moins 20 % ?
En rejetant leur eau, les sites nucléaires sont autorisés à rejeter du tritium, du carbone 14, du chlore, des nitrates, des sulfates, du zinc, du cuivre… Je te parle là d’un fonctionnement normal. De même, en fonctionnement normal, la centrale de Flamanville – me voilà revenue dans ma matrie – est autorisée à laisser fuiter dans l’atmosphère 100 kg de gaz SF6 par an (chaque centrale a son autorisation annuelle). C’est quoi, ce SF6 ? C’est de l’hexafluorure de soufre, un gaz à effet de serre extrêmement puissant, puisqu’un seul kilo de ce fameux SF6 équivaut à presque 23 000 kilos de CO2 en termes de pouvoir réchauffant. Et, comme si cela ne suffisait pas, le 6 août 2020, l’usine de Flamanville a dépassé de 2 kg le seuil maximum autorisé. Quoi ! je m’indigne pour deux petits kilos ? Certes oui, car ce dépassement, cumulé pour les sept premiers mois de l’année 2020, équivaut déjà à près de 2 350 000 kg de CO2 rejetés dans l’atmosphère.
Tu le comprends bien, c’est un mensonge éhonté, c’est une tromperie scandaleuse (how dare you?) quand des ministres, des dirigeants, des personnes influentes te disent que les trottinettes électriques sont propres, que les vélos électriques sont propres, que les voitures électriques sont propres. Tu as été heureuse, me semble-t-il, de la voiture électrique offerte par Schwarzenegger. J’espère que tu ne crois pas à cette fable du « zéro émission » puisque la construction d’une voiture électrique consomme une très grande quantité de métaux : lithium, cuivre, cobalt, dont l’extraction minière – un des plus gros pollueurs du monde – est un enfer pour les populations locales. Mujeres Diaguitas, Ancestras del Futuro, l’union des femmes des peuples Diaguitas d’Argentine et du Chili, appelle au secours : « L’extraction du lithium affecte jour après jour notre rivière ancestrale1. » Elles ont fait 80 kilomètres à pied dans les Andes pour dénoncer cet écocide. Leur cri est-il parvenu jusqu’à toi ?
Mais il faut aussi penser à l’origine de l’électricité : en France 80 % de notre électricité vient du nucléaire, énergie hautement polluante et hautement dangereuse. En Suède, dans ton pays, 42 %, avec 6 réacteurs nucléaires – comme il y en avait en Allemagne. Comment se fait-il que la France en compte 56, soit, de loin, le plus grand nombre en Europe ? Cela remonte à De Gaulle, notre dirigeant des années 1960. C’était un général, un homme de guerre. Il a voulu pour la France une force de frappe impressionnante, un système d’armes nucléaires. Il a fait le choix de développer la filière nucléaire, en incluant une usine dite de retraitement pour extraire du plutonium, donc pour des raisons militaires. Quatre à huit kilos de ce plutonium suffisent pour fabriquer une bombe. Or, à La Hague, 61 tonnes sont entreposées. Le grand Charles, comme on l’appelait, a vu grand. Après la COP 26, le petit Macron, notre dirigeant actuel, veut construire des petits EPR. Rien de nouveau : multiplication du risque nucléaire, production de déchets ingérables et coût exorbitant – au moins 46 milliards, si ce n’est 64 selon d’autres estimations sérieuses.
Tu viens de le dire, chère Greta Thunberg, le nucléaire est « extrêmement dangereux et coûteux ». Notre physicien, Bernard Laponche, nous le confirme : « La catastrophe est intrinsèque à la technique. Le réacteur fabrique les moyens de sa propre destruction. Le risque d’accident majeur en Europe est une certitude2. »
Le nucléaire est « extrêmement dangereux et coûteux », dis-tu. Après avoir lu ma lettre, tu ajouteras, j’en suis sûre, hautement polluant.
Le nucléaire est « extrêmement dangereux et coûteux », dis-tu. À l’heure où j’écris ces lignes, alors que s’annonce le froid de l’hiver 2021-2022, 16 réacteurs sur les 56 que compte la France sont à l’arrêt, pour « suspicion de défaut générique », en particulier les quatre plus gros réacteurs (centrales de Chooz et de Civaux), en raison d’une défaillance sur une pièce essentielle en cas d’accident. En effet, « EDF a annoncé mercredi 15 décembre avoir détecté un problème de corrosion et de fissuration dans les circuits d’injection de sécurité 3 ». Le danger, c’est « une surchauffe du combustible et, à terme, l’accident avec fusion du cœur », comme à Three Mile Island et à Fukushima. Alors, le nucléaire ? Extrêmement dangereux et coûteux, hautement polluant et même aléatoire !
En 2012, neuf prix Nobel de la paix ont envoyé une lettre ouverte aux dirigeants du monde, qui résume bien la situation. « Il est temps de reconnaître, écrivent-ils, que le nucléaire n’est pas une source d’énergie propre, ni sûre, ni économiquement abordable. […] [Sont évoqués les accidents de Sellafield au Royaume-Uni en 1957, de Three Mile Island aux États-Unis en 1979, de Tchernobyl en Ukraine en 1986, de Fukushima au Japon en 2011.] Dans le monde entier, les gens craignent aussi l’éventualité d’attentats terroristes dirigés contre les centrales nucléaires. Mais la radioactivité ne doit pas seulement nous inquiéter en cas d’accident nucléaire. Chaque étape de la chaîne du combustible nucléaire relâche de la radioactivité, à commencer par l’extraction de l’uranium ; ensuite cela continue durant des générations car les déchets nucléaires contiennent du plutonium qui restera toxique pendant des milliers d’années. […] Les programmes nucléaires civils fournissent les matières nécessaires à la fabrication d’armes nucléaires4. » Sur ces neuf prix Nobel, une majorité, six, sont des femmes. Hasard ?
Sûrement. Je ne pense pas que les femmes soient, par je ne sais quelle essence (l’essence, ça pue et ça pollue), plus sensibles que les hommes au chant des oiseaux et à l’amour des petites fleurs. Mais, je marche, oui je marche, avec des Brésiliennes, des Sahraouies, des Québécoises, des Congolaises, des Kurdes, des Pakistanaises… et toutes les femmes du monde entier qui résistent aux « mégaprojets industriels qui offensent leur corps, polluent la Terre et détruisent leurs territoires », « d’un océan à l’autre », menacent la biodiversité et les baleines à bosse, ces femmes qui s’opposent à la militarisation, ces femmes qui mènent des luttes de résistance contre le capitalisme, le patriarcat, le racisme et le colonialisme, ces femmes de la Marche mondiale des femmes qui, comme protectrices de « la Terre-Mère » et de nos « espaces de vie », construisent un « mur de femmes pour stopper les industries dévastatrices », un mur unifiant « à la différence des murs érigés à travers le monde5 ». Ces femmes, en voulant protéger leur matrie, leur lieu nourricier, veulent protéger la planète, car « tout se tient, tous les crimes de la force » (comme l’écrivait déjà Louise Michel au XIXe siècle).
Comme toutes ces femmes, comme moi, tu te bats à poings fermés pour la vie. Tu te bats pour la survie de la planète. Le nucléaire, c’est la guerre ! La romancière japonaise Hiromi Kawakami a dit, après la catastrophe de Fukushima : « Je pense que l’humanité va bientôt disparaître6. » Et moi, je t’écris cette lettre pour que tu saches qu’à la Hague est programmée la fin du monde, la fin de notre monde. Je t’écris cette lettre comme un appel au secours. Ta voix, ta jeune voix, persuasive et pressante, peut le porter haut et fort à la face des puissants.
Xavière Gauthier, femme en lutte et militante antinucléaire depuis 1970.
Janvier 2022
Notes
- Ivan Torres, « Dans les Andes, des femmes contre les mines de lithium », Reporterre, 16 juin 2021, en ligne : https://reporterre.net/Dans-les-Andes-des-femmes-contre-les-mines-de-lithium[↩]
- Vincent Rémy, « Bernard Laponche : “Il y a une forte probabilité d’un accident nucléaire majeur en Europe” », Télérama, 17 juin 2011, en ligne : https://www.telerama.fr/monde/bernard-laponche-il-y-a-une-forte-probabilite-d-un-accident-nucleaire-majeur-en-europe,70165.php[↩]
- Émilie Massemin, « Corrosion et fissures : les quatre plus gros réacteurs nucléaires français à l’arrêt », Reporterre, 18 décembre 2021, en ligne : https://reporterre.net/Corrosion-et-fissures-les-quatre-plus-gros-reacteurs-nucleaires-francais-a-l-arret[↩]
- « Lettre ouverte de neuf Prix Nobel de la paix aux dirigeants du monde », 26 avril 2011, Sortir du nucléaire, en ligne : https://www.sortirdunucleaire.org/Lettre-ouverte-de-neuf-Prix-Nobel[↩]
- « Déclaration de la Marche mondiale des femmes contre les oléoducs », Médiaterre, 23 août 2016, en ligne : https://www.mediaterre.org/actu,20160823115624,16.html[↩]
- Marine Landrot, « Un an après Fukushima, les écrivains japonais s’insurgent », Télérama, 12 mars 2021, en ligne : https://www.telerama.fr/livre/un-an-apres-fukushima-les-ecrivains-japonais-s-insurgent%2C78655.php[↩]