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A propos de Carlos Fausto, Le jaguar apprivoisé. Essais d’ethnologie amazonienne, Presses universitaires du Midi, 2024 ; Charles Stépanoff, Attachements. Enquête sur nos liens au-delà de l’humain, Paris, La Découverte, 2024 ; Jean-Denis-Vigne, La domestication, CNRS Editions, 2024.

La domestication des autres espèces animales est-elle à l’origine de la domination à l’intérieur de l’espèce humaine ? Telle est la question à laquelle répond l’anthropologue Charles Stépanoff dans son dernier livre. Ce livre couvre un grand nombre de sociétés humaines et de périodes historiques par une combinaison réussie de vignettes ethnographiques et de discussions théoriques. Sa facilité de lecture a pu conduire à la résumer en disant que l’humanité est passée de réseaux d’attachement denses entre humains et non-humains à des réseaux d’attachement étalés qui ont favorisé les inégalités et la hiérarchie entre humains. Un tel résumé laisse de côté la complexité du moteur historique expliquant ce passage d’une forme sociale et écologique à une autre, et les prises qu’il offre pour renverser cette dynamique et imaginer d’autres futurs.

Pour analyser cette causalité historique, je mettrai le livre de Charles Stépanoff en discussion avec deux autres livres récemment parus et qui rendent publics des recherches de long cours auxquels il fait référence. En présentant le travail de l’archéologue Jean-Denis Vigne et de l’ethnologue Carlos Fausto, je montrerai comment Charles Stépanoff construit une anthropologie générale à partir d’une distinction fondamentale entre la domestication, technique par laquelle des animaux d’une autre espèce sont contrôlés collectivement par les humains à des fins de reproduction, et l’apprivoisement, technique par laquelle des individus d’une autre espèce animale sont introduits dans l’habitat humain pour nouer des relations d’attachement. Cette distinction permet d’analyser le passage de sociétés basées sur la chasse à des sociétés basées sur l’élevage des animaux en mobilisant trois notions centrales de la pensée historique : l’évolution, la conversion et la révolution. L’analyse de ces trois notions vise à souligner que le moteur historique dégagé par Stépanoff n’est ni continu (comme l’évolution) ni discontinu (comme la conversion) mais qu’il combine continuité et discontinuité dans chacune des sociétés où l’enquête ethnographique offre des prises à l’action politique.

Une co-évolution dans des habitats partagés

Comment expliquer que les humains aient intégré les autres animaux dans leur habitat et les aient utilisés à leur profit ? Comment comprendre le fait que « les animaux non humains sont en nous, avec nous et pour nous1 Jean-Denis Vigne, archéologue au Museum National d’Histoire Naturelle et au CNRS, répond à cette question dans un petit livre illustré par Mélodie Baschet, qui met à disposition du grand public les recherches récentes sur les relations entre humains et animaux. Ce qui frappe l’archéologue lorsqu’il observe les restes animaux conservés dans les lieux d’habitation humaine – une sous-section de sa discipline appelée « archéo-zoologie » – c’est que les espèces animales sont introduites dans une période située entre 10 000 et 5000 ans avant notre ère. Les traces les plus anciennes sont celles des loups (datées jusqu’à -13 000 et peut-être – 36 000) puis celle des souris (-12 000) puis celles des chats (-7500). Jean-Denis Vigne, qui a mené la plus grande partie de ses recherches sur l’île de Chypre, note qu’on y a découvert une tombe datant du huitième millénaire avant notre ère dans laquelle un homme d’environ 25 ans était disposé en miroir d’un chat de 7 mois, probablement sacrifié pour l’enterrement. « La mise en scène suggère l’existence d’un lien entre les deux individus. Est-ce une représentation mentale projetée dans l’au-delà, ou bien la figuration étroite entre ce chat et cet homme durant leur vie ? Certaines caractéristiques de la mandibule du chat suggèrent qu’il avait été mieux nourri que ses congénères. Cela fait pencher pour la seconde interprétation, celle d’un animal de compagnie. Ce serait la plus ancienne preuve de domestication du chat2. »

Il y a 9 500 ans, un homme était enterré avec un chat en vis-à-vis : c’était probablement son animal de compagnie. Il s’agirait de la plus ancienne preuve de domestication du chat.

Ce passage montre bien comment raisonne le préhistorien. À la différence de l’historien qui dispose de textes écrits traçant les intentions des humains, il ne peut qu’inférer à partir des restes humains et animaux la relation qui existait entre eux. Les Egyptiens ont élaboré en effet à une période ultérieure des cosmologies pour expliquer comment les humains, les animaux et les dieux établissent leurs relations dans l’au-delà. Mais dans le cas de Chypre, on ne sait rien sur les divinités invoquées par les chasseurs-cueilleurs pour justifier le sacrifice des chats. On peut seulement constater que ces restes animaux dans les sites humains se multiplient à partir du huitième millénaire avant notre ère. « Bœuf, mouton, chèvre et cochon font tous leur apparition aux environs de -8500 dans des villages d’agriculteurs d’Anatolie du Sud-Est (Turquie) et du nord du Levant3. » Des événements similaires se produisent en Chine en – 10 000 avec la domestication du porc, en Inde en – 6 000 avec celle de l’auroch (qui se différencie en bœuf, zébu et buffle) et en Amérique du Sud en – 5 000 avec celle des camélidés (vigogne et guanaco, devenus lama et alpaga).

co-evolution animaux hommes
Source : Rijksdienst voor het Cultureel Erfgoed – CC BY-SA 4.0.

Cette apparition simultanée de la domestication des animaux sur différents points de la planète montre qu’on ne peut la concevoir comme un acte d’innovation singulier imité par les autres humains, selon le modèle de la diffusion adopté par beaucoup d’archéologues au dix-neuvième siècle à partir des cas du Moyen-Orient. Il faut plutôt la concevoir comme une étape dans l’évolution de l’espèce humaine et des autres espèces. À un certain stade de la transformation des sociétés par l’agriculture, les humains et les autres animaux ont trouvé des intérêts mutuels à vivre ensemble et à partager des biens : les restes des humains étaient consommés par les animaux dont la chair, les poils, le lait ou les capacités de surveillance étaient utilisés par les humains. On peut parler d’une co-évolution, puisque si les humains ont bénéficié de cette relation par la croissance de leur population, les autres animaux en ont également été transformés, d’une façon qui ne peut simplement être décrite comme des bénéfices mutuels.

À un certain stade de la transformation des sociétés par l’agriculture, les humains et les autres animaux ont trouvé des intérêts mutuels à vivre ensemble et à partager des biens.

Si la domestication des animaux au Néolithique a permis aux sociétés du Moyen-Orient d’accroître ses ressources en protéines, elle a en effet augmenté le nombre des zoonoses – maladies transmises aux frontières entre les espèces – puis l’introduction des espèces domestiquées par les humains dans des espaces où la chasse était la pratique dominante, comme le continent américain, a favorisé la diffusion d’épidémies ravageuses4. La domestication du poulet, datée de – 1500 au sud de la Chine, a été le point de départ d’une transformation de sa morphologie et de sa démographie : on estime qu’il constitue aujourd’hui plus la moitié de la biomasse des autres oiseaux sur la planète5 et que la fragilisation de son squelette par l’élevage industriel en fait un des marqueurs de ce que les géologues appellent l’Anthropocène6. La même transformation s’observe au même moment dans la domestication du sanglier devenu cochon, autre pilier de l’élevage industriel aujourd’hui7. Le développement de la pisciculture dans les années 1970, dont la production de poisson a dépassé celle de la pêche dans les années 2010, a eu pour effet de remplacer les poissons végétariens par des poissons carnivores dans l’alimentation humaine, puisque les poissons d’élevage sont nourris à partir des restes de la pisciculture, ce que Jean-Denis Vigne décrit comme un « choix désastreux8 ».

Comment alors évaluer l’élevage industriel au regard de 12 000 ans de domestication des autres animaux par les humains ? Jean-Denis Vigne considère que ce long processus de co-évolution « nous investit, nous les humains, d’une grande responsabilité vis-à-vis de nos animaux domestiques, celle de les traiter comme des compagnons, certes aidants ou utiles, mais tout aussi respectables que nos semblables. Loin de nous autoriser à disposer d’eux selon nos besoins, notre plaisir ou nos éventuelles bassesses, cette grande responsabilité nous fait devoir non pas de traiter les animaux domestiques en droit comme des humains mais d’élaborer une morale collective adaptée à leur statut et pouvant servir de rempart contre les abus9. » Contre les propositions visant à libérer les animaux de leurs liens de domestication, qui conduiraient selon lui à la mort de ces animaux par manque de soin ou d’alimentation, l’archéologue propose plutôt d’élaborer un « nouveau contrat de compagnonnage » fondé sur le respect et la connaissance des animaux et des conditions dans lesquelles ils peuvent bien vivre avec les humains10.

Il ne s’agit pas de trouver des « sociétés primitives » qui auraient été préservées de la violence du « processus de civilisation » mais plutôt d’imaginer des alternatives aux techniques de pouvoir utilisées par l’élevage industriel.

Cette proposition risque de caricaturer le mouvement abolitionniste, qui a parfois « délivré » des animaux domestiques captifs mais qui travaille surtout à subvertir les techniques de reproduction des animaux dans l’élevage industriel. L’archéologue reconnaît ici les limites de son champ de compétence lorsqu’il entre dans les questions morales et politiques que se posent les sociétés contemporaines, et c’est pourquoi il se tourne vers l’ethnologie pour étudier des sociétés qui ne suivent pas ces techniques de reproduction. Il ne s’agit pas de trouver des « sociétés primitives » qui auraient été préservées de la violence du « processus de civilisation » mais plutôt d’imaginer des alternatives aux techniques de pouvoir mises en jeu par l’élevage industriel. C’est ici que l’ethnologie de l’Amazonie permet d’opposer l’apprivoisement à la domestication.

Chasseur appartenant aux Parakana, une société amazonienne. Crédits : Carlos Fausto.

La chasse amazonienne est une relation entre des sujets : l’objectif est de s’approprier les capacités de l’animal apprivoisé

L’ethnologie de l’Amazonie permet en effet de répondre à la question que l’archéologue ne peut que soulever à partir de l’observation des sites de fouilles datant du Néolithique : y a-t-il des formes de résistance à l’expansion des pratiques de domestication par les sociétés qui pratiquent l’élevage des animaux et la culture des plantes ? Philippe Descola, à partir de son enquête chez les Achuar, a forgé la notion de « schème de prédation » pour analyser comment les pratiques de chasse informent dans ces sociétés l’ensemble des relations entre humains et non-humains d’une façon qui contraste radicalement avec les sociétés euro-asiatiques11. En discussion avec Eduardo Viveiros de Castro, qui a travaillé chez les Arawété où les chamanes prennent le point de vue des proies à travers leurs chants12, il a repris le terme ancien d’animisme pour décrire une conception du monde attribuant aux animaux une agentivité13. Par contraste, il a caractérisé les sociétés impériales d’Amérique, d’Afrique et d’Asie comme analogistes, au sens où elles gèrent les troubles dans leurs relations avec les non-humains par le sacrifice qui recentre les propriétés des êtres dans un lieu, et les sociétés modernes d’Europe et d’Amérique du Nord comme naturalistes, au sens où elles attribuent une agentivité aux seuls humains et considèrent tous les autres êtres comme des ressources à exploiter. Le passage des sociétés de chasse aux sociétés d’élevage traditionnel puis industriel peut donc être expliqué par des basculements entre ce que Descola appelle des « ontologies » : de l’animisme à l’analogisme au naturalisme.

Peut-on trouver dans les sociétés amazoniennes qui pratiquent l’élevage des animaux et la culture des plantes des résistances à l’expansion des pratiques de domestication occidentales ?

Carlos Fausto a travaillé chez les Parakana, une société amazonienne du groupe linguistique des Tupi-Guarani, connus pour leur pratique du cannibalisme. Il a observé comment ces sociétés conçoivent les asymétries et les inégalités à partir de la relation d’adoption ou d’apprivoisement, relation qui concerne aussi bien les enfants humains que les petits d’animaux dont on se rend « maître » par le soin et le nourrissage. Carlos Fausto rompt ainsi avec la conception des sociétés amazoniennes comme égalitaires à travers son analyse de ces relations inégalitaires14. Les relations d’apprivoisement sont en effet très codifiées dans ces sociétés où les chasseurs adoptent les orphelins des animaux qu’ils ont tués et en font des animaux de compagnie, au sens où l’anglais parle de « pets », c’est-à-dire d’animaux qui sont intégrés dans la parenté et qui ne peuvent pas être mangés. L’apprivoisement doit être distingué selon Carlos Fausto de la domestication, qui repose sur un échange réciproque de dons entre l’humain et l’animal dans lequel l’humain est considéré comme responsable de la reproduction des animaux vivant aux côtés des humains. L’apport conceptuel de Carlos Fausto est de décrire l’apprivoisement comme une consommation productive de personnes, par distinction avec la consommation productive de biens et de marchandises dans les formes d’élevage traditionnel et industriel15.

L’apprivoisement doit être distingué selon Carlos Fausto de la domestication, qui repose sur un échange réciproque de dons entre l’humain et l’animal dans lequel l’humain est considéré comme responsable de la reproduction des animaux vivant aux côtés des humains.

Le point de départ de l’article de Fausto devenu classique, publié en 2000 dans la revue American Ethnologist sous le titre « Of enemies and pets » et traduit dans Le jaguar apprivoisé sous le titre « La familiarisation des autres », est le suivant : si les sociétés amazoniennes ont été décrites comme des groupes en guerre permanente les uns contre les autres, la logique qui régit ces guerres n’est pas celle de la vendetta, qui part d’un désir de vengeance et implique donc un principe de réciprocité dans l’échange des biens, mais celle du cannibalisme, qui repose sur l’appropriation des capacités et des constituants de la victime. « Les sociétés amazoniennes sont davantage orientées vers la production de personnes que de biens matériels. Autrement dit, leur but n’est pas la fabrication d’objet par le travail mais de personnes par le rituel et le travail symbolique16. » Les Parakana pensent en effet les relations entre un père et un fils ou entre un chamane et des esprits sur le modèle de la relation entre le chasseur et les animaux apprivoisés dont il devient maître et possesseur. Le chasseur doit passer par tout un ensemble de mesures rituelles, basées notamment sur les images vues en rêve, pour s’approprier les capacités de l’animal apprivoisé, c’est-à-dire pour le transformer d’ennemi potentiel en enfant adoptif dans la parenté, de façon à ce qu’il perde la conscience de soi et se laisse dominer par la perspective de l’autre.

Latora et Pi’oma reviennent avec des bambous pour faire les clarinettes du taboca. Crédits : Carlos Fausto.

Ce processus de transformation est risqué car il est réversible : l’animal apprivoisé peut toujours redevenir sauvage, la proie devenir prédateur, une maladie peut être transmise par l’animal apprivoisé en signe de vengeance. C’est parce qu’il engage en permanence des relations entre sujets humains et animaux que l’apprivoisement est pensé comme une adoption et encadré par des précautions rituelles, ce qui le distingue de la domestication où l’animal est considéré comme une population à surveiller pour en garantir la santé17. Le cannibalisme de guerre ne repose donc pas sur une logique de régénération ou d’accumulation, ce qui supposerait que la société existe comme un tout qui s’affirme dans la négation des autres vivants, mais sur une logique d’appropriation par familiarisation des ennemis. « La logique de la guerre amazonienne vise de manière inhérente à tirer autant de bénéfices possibles de chaque homicide (et pas à tuer le plus grand nombre d’ennemis possible). En d’autres termes, les sociétés de la région s’attachent à augmenter les effets symboliques de la guerre, pas à accroître l’efficacité de l’acte guerrier18. »  

C’est parce qu’il engage en permanence des relations entre humains et animaux que l’apprivoisement est pensé comme une adoption ce qui le distingue de la domestication où l’animal est considéré comme une population à surveiller pour en garantir la santé.

Le titre du livre dans lequel sont réunis et traduits les articles de Carlos Fausto ne doit donc pas être compris au sens littéral. Les sociétés amazoniennes n’apprivoisent pas les jaguars, car le jaguar est pour elles l’animal sauvage par excellence, le super-prédateur qui ne devient proie que dans des circonstances exceptionnelles. La logique de consommation productive analysée par Carlos Fausto est régie par une tension entre deux pôles qu’il qualifie de réclusion (lorsque l’animal apprivoisé est mis à part et nourri) et de banquet (lorsqu’il est mis à mort et mangé).19. Le terme utilisé par les Parakana pour désigner le jaguar, jawara, se retrouve dans celui qui décrit cette part de l’ennemi qui est appropriée par son maître, qualifié alors de « maître des jaguars » (jawajara). « La part-jaguar est ce qui permet à un sujet, dans une relation à un autre, de déterminer le sens de la prédation familiarisante20. » Le maître des jaguars est donc de façon contradictoire une figure à la fois rassurante et inquiétante. « Aux yeux de ses “enfants adoptifs”, il est père protecteur ; aux yeux des autres espèces (en particulier des humains), il est un affin prédateur21. » Par contraste avec la figure moderne du propriétaire théorisée par John Locke, « qui annexe à soi des choses immuables », le maître des animaux apprivoisés « contient de multiples singularités22. »

Amazonie : une conversion entre des ontologies

La question que pose alors Carlos Fausto est la suivante : comment ce schème de « consommation productive » a-t-il pu se maintenir dans le contact entre les sociétés amazoniennes et les sociétés européennes ? Les Blancs ont-ils été considérés comme les nouveaux « maîtres » dont les « Indiens » seraient les animaux apprivoisés ? Cette question, qui est au cœur de nombreux travaux en ethnologie amazonienne23, est traitée par Carlos Fausto à travers le problème célèbre de l’incommensurabilité des cultures : comment deux ontologies aussi radicalement différentes que l’animisme et le naturalisme ont-elles pu se rencontrer et se transformer dans une forme d’« équivocité contrôlée » ou de « compatibilité équivoque » ?

Parakana en 1993. Crédits : Carlos Fausto.

Le problème que pose la conversion des Tupi-Guarani du Brésil par les missions jésuites est en effet de savoir ce qui reste dans cette conversion d’une ontologie incompatible avec le naturalisme. Carlos Fausto aborde ce problème à partir de l’analyse de trois cas : le récit de la rencontre entre les Parakana et les fonctionnaires brésiliens de la FUNAI dans les années 1970, au cours de laquelle l’un d’entre eux est crédité par les premiers de la capacité à faire revenir les morts à la vie ; les récits des Guarani sur l’apparition à venir d’un Dieu-Jaguar qui les conduit à chercher la « Terre sans mal » dans un prophétisme millénariste ; le rituel d’un individu Kuikuro qui prétend faire des guérisons miraculeuses comme Jésus et se proclame « maître-roi ». Dans ces trois cas, la logique qui régit les relations analysées n’est pas la conversion (le basculement des individus d’une ontologie dans une autre) mais l’abduction : les individus examinent un ensemble de propriétés des nouveaux êtres à partir de prémisses disponibles dans leur société en vue de s’approprier leur agentivité.

Le passage des maîtres des animaux apprivoisés aux maîtres des animaux domestiqués n’est donc pas discontinu mais continu : il opère à travers un gradient de petites transformations, qui maintient le doute des humains sur les êtres auxquels ils attribuent des intentions et des capacités. La notion d’abduction est ici empruntée au philosophe et logicien Charles Peirce, fondateur du pragmatisme, c’est-à-dire d’une enquête intellectuelle sur les conditions dans lesquelles une croyance devient vraie. On peut alors lire l’ouvrage de Charles Stépanoff à la lumière de celui de Fausto en posant la question suivante : qu’est-ce qu’une enquête sur les relations entre les humains et les autres animaux, et comment nous permet-elle de critiquer les croyances que nous avions sur le moteur historique, que ce soit par l’évolution, la conversion ou la révolution ?

En Sibérie, la modernisation a transformé les rennes en marchandises

Carlos Fausto signale que le basculement ontologique qui a eu lieu pour les Parakana dans les années 1970 s’est produit plus tôt dans l’air sibérienne, où les chasseurs-cueilleurs subarctiques « représentent sous sa forme la plus pure la conversion de la chasse en relation moralement positive de don et de partage »24. Les ressemblances entre ces sociétés indiquent selon lui une « tradition chamanique sibéro-américaine qui a une unité historique propre »25. Le terme « chamane » a en effet été appliqué aux sociétés amazoniennes d’après un terme toungouse qui désigne un spécialiste rituel en communication avec les animaux dont une des fonctions est de prédire le succès à la chasse.

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Chamane tuva de Sibérie du Sud. Crédit : Charles Stépanoff.

Charles Stépanoff a fait des enquêtes ethnographiques chez les Tuva de Sibérie, qui conçoivent la chasse comme une interaction entre des personnes et non comme un échange de biens. Les similitudes entre cette société et celles qui sont étudiées par les ethnologues en Amazonie et en Mélanésie lui permet de faire des propositions plus générales pour une anthropologie des relations entre humains et non-humains. Il emprunte pour cela à la sociologie de Bruno Latour les notions d’attachements et de réseau, et aux sciences cognitives des analyses sur le fonctionnement de l’imagination. Selon Stépanoff, les chamanes peuvent voyager en imagination pour renouer les relations denses entre les êtres, mais le détachement progressif de ces relations a conduit les sociétés à confier graduellement le pouvoir à des êtres invisibles de plus en plus éloignés26.

Cette extension de l’ethnologie en anthropologie par la sociologie et les sciences cognitives conduit Stépanoff à analyser autrement les données relevées par Fausto. Citant ses analyses sur l’apprivoisement ainsi que celles d’autres ethnologues amazonistes27, Stépanoff insiste sur le fait que l’animal apprivoisé est traité comme un enfant28. Il rapproche alors ce fait de l’observation selon laquelle dans un grand nombre de sociétés sibériennes (et d’une certaine façon dans la nôtre), les bébés sont considérés comme des quasi-personnes, dont le langage est plus proche de celui des animaux, marqué par les huchements et les onomatopées, que de celui des adultes. Ceci le conduit à supposer que l’espèce humaine, caractérisée par la néoténie c’est-à-dire la lenteur du développement initial et la persistance de caractères juvéniles, n’aurait pas survécu si les adultes n’avaient pas appris à parler le langage des enfants et des animaux pour coopérer avec eux.

Stépanoff insiste sur le fait que l’animal apprivoisé est traité comme un enfant. Il fait l’hypothèse que l’espèce humaine n’aurait pas survécu si les adultes n’avaient pas appris à parler le langage des enfants et des animaux pour coopérer avec eux.

La capacité à prendre le point de vue d’autrui n’est donc pas liée, pour l’ethnographe des sociétés sibériennes, à la situation de guerre permanente des sociétés amazoniennes mais à la nécessité de la coopération en milieu hostile29. Charles Stépanoff retrouve ainsi les raisonnements évolutionnistes de Jean-Denis Vigne : c’est parce que les humains, les animaux et les plantes ont co-évolué ensemble que des relations de domestication sont devenues possibles30. Mais il ajoute un élément qui manquait à l’archéologue : les conditions sociales et mentales dans lesquelles le processus de domestication a progressivement séparé les humains et les non-humains. Si un tel processus a conduit les humains à concevoir les animaux comme d’autres personnes dans un habitat partagé, il a graduellement éloigné les humains des autres animaux comme des sujets face à des objets à manipuler et exploiter.

A dos de renne dans la taïga, 2011. Crédit : Charles Stépanoff.

Stépanoff analyse ce processus à travers l’élevage des rennes par les Tozhu en Sibérie. Les rennes doivent rester suffisamment près des humains pour bénéficier de leurs ressources, comme le sel et l’urine utilisés pour les attirer, et pour être protégés des loups ; mais ils doivent rester suffisamment à distance pour ne pas être victimes d’épizooties comme le piétin. Les Tozhu ont résolu cette tension en désignant un renne singulier comme meneur du troupeau et en le considérant comme sacré. L’élevage des rennes repose donc sur une forte autonomie des animaux dans la gestion de leurs parcours à travers la steppe, en sorte que les humains suivent les rennes plutôt que l’inverse. Cet équilibre a été bouleversé par les techniques modernes de domestication imposées par l’État soviétique au vingtième siècle. Le loup a été considéré comme un ennemi, la division genrée des tâches a été abolie, les animaux sont devenus des marchandises, les épizooties se sont multipliées, le renne meneur de troupeau a été remplacé par le chien de berger, et les troupeaux ont été surveillés par des techniques similaires à celles qui seront utilisées dans les camps de concentration.

Ce processus de domestication décrit par Stépanoff sur le temps long a donc rompu les relations de coopération entre les rennes et les humains en transformant les rennes en marchandises. L’anthropologue russe Igor Krupnik a qualifié un tel processus de « révolution du renne », sur le modèle de ce que le préhistorien Gordon Childe a appelé « révolution néolithique » pour les espèces animales et végétales domestiquées au Moyen-Orient31. La notion de révolution a cependant pour inconvénient, selon Stépanoff, de présenter ce processus comme irréversible et émancipateur pour les humains, alors que de nombreuses sociétés en Eurasie se sont opposés à un tel pouvoir modernisateur. Loin d’être un processus irréversible et nécessaire, la domestication résulte selon Stépanoff d’un ensemble d’événements contingents lorsque les humains doivent se rapprocher de leurs animaux pour continuer à les chasser. C’est un goulet d’étranglement évolutionnaire dans les relations entre humains et non-humains plutôt qu’un seuil révolutionnaire d’une époque à une autre.

Une telle conception de la domestication comme une révolution est un héritage des Lumières. Georges Buffon conçoit l’action des humains sur les animaux domestiques comme « une espèce de création »32, en prenant pour modèle de l’action de Dieu sur la matière, au moment où William Cavendish et Louis Daubenton mènent les premières expériences de sélection des chevaux et des moutons. En 1831, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, futur fondateur de la Société d’acclimatation en 1854, établit une proportion entre le degré de civilisation d’une société humaine et le degré de domestication des animaux et des plantes. Stépanoff souligne les liens entre cette révolution de la domestication en France au 18e siècle et celle qui eut lieu en Union soviétique au 20e siècle, y voyant l’extension de ce que Michel Foucault a appelé un « biopouvoir »33. C’est en effet à la Bergerie nationale de Rambouillet, créée en 1786 sur les principes de Daubenton, que des méthodes soviétiques d’insémination artificielle des rennes furent introduites en France dans les années 1930 et contribuèrent à la modernisation de l’élevage ovin après la Libération34.

Cour Royale de la Bergerie nationale de Rambouille. Source : Xenophôn, CC BY-SA 4.0.

La révolution de la modernité

De même que Carlos Fausto propose de ne pas concevoir l’arrivée des Européens en Amazonie comme une conversion mais plutôt comme un processus de transformation par lequel les maîtres deviennent possesseurs d’objets et non de sujets, de même Charles Stépanoff, en suivant les indication de Jean-Denis Vigne, propose de ne pas concevoir la domestication en Sibérie comme une révolution mais comme une évolution par laquelle des quasi-personnes dans des réseaux de relations denses deviennent des ressources à exploiter dans les réseaux étalés de la globalisation économique. « Nous avons été capables de renoncer à l’idée qu’il n’y a qu’une forme de civilisation, la nôtre, et que les autres sont des barbares ; il est temps d’en faire autant avec la domestication et de penser sa pluralité. La domestication doit être décrite comme un processus continu, collectif, protéiforme et imprévisible de transformations à la fois biologiques et culturelles. (…) Il y a domestication lorsque initiatives et dispositions humaines et non humaines se rencontrent, convergent et cristallisent dans une relation durable réciproquement profitable35. »

Cette insistance sur les processus évolutifs signifie-t-elle que nous devrions renoncer aux idées de la révolution moderne ? C’est en effet à partir de la modernité que la critique de la domination a pu s’appuyer sur l’idéal d’une société égalitaire, souvent projeté sur les sociétés lointaines. Charles Stépanoff discute dans la troisième partie de son livre les analyses de l’anthropologue David Graeber et de l’archéologue David Wengrow sur les rapports entre égalité et inégalité dans les sociétés humaines36. Ce qui a fait passer les sociétés humaines de formes égalitaires à des formes inégalitaires, selon lui, ce ne sont ni des contraintes matérielles ni des changements idéologiques, mais plutôt des contradictions originaires de l’espèce humaine comme « prédateur empathique37 ». Charles Stépanoff emprunte à l’anthropologue Gregory Bateson la notion de « schismogenèses complémentaires », qui décrit la tension au sein d’un même collectif entre les hommes et les femmes, entre les nobles et les esclaves, entre les êtres dotés d’esprit et les marchandises38. Ces formes de différenciation ont eu lieu de façon variable à travers le globe, mais elles ont été amplifiées et standardisées par le processus d’urbanisation et d’industrialisation qui, malgré la multiplication des pandémies, a conduit à l’augmentation de l’espèce humaine sur la planète.

 Quand le pouvoir vacille et avec lui les réseaux étalés qu’il a créés, les contre-savoirs autochtones, les techniques de survie, les cosmologies d’un autre âge peuvent s’avérer d’une actualité critique pour reprendre le dialogue avec la forêt.

Charles Stépanoff

Le livre de Charles Stépanoff se présente ainsi comme une vaste synthèse de la biologie évolutionniste et de l’anthropologie sociale concernant les relations entre humains et non-humains et comme une critique de la révolution moderne de la domestication. Mais on peut le lire aussi comme un appel à de nouvelles enquêtes sur les collectifs d’humains et de non-humains qui subvertissent de façon critique les formes de domination et de domestication. « Quand le pouvoir vacille et avec lui les réseaux étalés qu’il a créés, écrit-il, les contre-savoirs autochtones, les techniques de survie, les cosmologies d’un autre âge peuvent s’avérer d’une actualité critique pour reprendre le dialogue avec la forêt39. »

Peut-être aurait-il fallu davantage préciser le sens de cette notion d’enquête appliquée aux « contre-savoirs autochtones », en recourant par exemple à la philosophie de John Dewey pour décrire comment les problèmes concernant les relations entre humains et non-humains deviennent publics dans la modernité et comment ils peuvent donner lieu à de nouvelles formes de participation. Peut-être aussi aurait-il fallu davantage explorer les tensions entre le modèle amazoniste de la guerre permanente et le modèle sibérien du contrat réciproque entre humains et non-humains, afin d’analyser les relations réversibles dans lesquelles les animaux redeviennent les ennemis de leurs maîtres. Mais on a là un grand livre d’anthropologie pour questionner d’une façon nouvelle le fait universel de la domestication et ses effets sur les formes locales de domination.


Le colloque « Critique animale et interspécificité : émanciper les animaux » aura lieu le 11 mars 2025 au collège de France, pour en savoir plus.

Photo d’ouverture : Lorsque des rennes arrivent de la forêt, on leur distribue du sel. Crédit : Charles Stépanoff.


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Notes

  1. Jean-Denis-Vigne, La domestication, Paris, CNRS Editions, 2024, p. 19 »[]
  2. Ibid., p. 44.[]
  3. Ibid., p. 55.[]
  4. Cf. Jared Diamond, Guns, Germs, and Steel: The Fates of Human Societies, New York, W.W. Norton & Co., 1997, trad. fr. De l’inégalité parmi les sociétés : Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire, Paris, Gallimard, 2000.[]
  5. Cf. Yinon M Bar-On , Rob Phillips, Ron Milo, « The biomass distribution on Earth ». Proceedings of the National Academy of Sciences 115(25), 2018, 201711842. Selon cet article, les poulets constituent 57% de la biomasse, les autres oiseaux d’élevage (canards, oies, dindes…) 15% et les oiseaux sauvages 29%.[]
  6. Cf. Carys Bennett, Richard Thomas, Mark Williams, Jan Zalasiewicz, Matt Edgeworth, Holly Miller, Ben Coles, Alison Foster, Emily J. Burton, Upenyu Marume, « The broiler chicken as a signal of a human reconfigured biosphere », Royal Society Open Science 5, 2018, 180325.[]
  7. Cf. Jean-Denis Vigne, La domestication, op. cit., p. 105 ; Thomas Cucchi, Lingling Dai, Marie Balasse, Chunqing Zhao, Jiangtao Gao, et al.. « Social Complexification and Pig (Sus scrofa) Husbandry in Ancient China: A Combined Geometric Morphometric and Isotopic Approach», PLoS ONE, 2016, 11 (8), p.e0162134. 10[]
  8. Cf. Jean-Denis Vigne, La domestication, op. cit., p. 112 et 145.[]
  9. Ibid., p. 138.[]
  10. Ibid., p. 142.[]
  11. Cf. Philippe Descola, La nature domestique. Symbolisme et praxis dans l’écologie des Achuar, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1986 ; « Pourquoi les Indiens d’Amazonie n’ont-ils pas domestiqué le pécari ? » In Bruno Latour et Pierre Lemonnier, De la préhistoire aux missiles balistiques, Paris, La Découverte, 1994 ; Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.[]
  12. Cf. Eduardo Viveiros de Castro, From the enemy’s point of view. Humanity and divinity in an Amazonian society, Chicago, The University of Chicago Press, 1992 ; Métaphysiques cannibales. Lignes d’anthropologie post-structurale, Paris, PUF, 2009.[]
  13. Cf. Frédéric Keck, « Le point de vue de l’animisme. A propos de P. Descola, Par delà nature et culture », Esprit, n°8-9, 2006, p. 30-43. Le terme d’animisme a été forgé par Edward Tylor dans Primitive Culture en 1870.[]
  14. Emmanuel de Vienne le formule très bien dans sa présentation de Carlos Fausto : « De simple étape, cet apprivoisement devient, une fois rebaptisé ‘maîtrise/possession’, le concept central de la philosophie politique amazonienne, capable de faire passer à l’avant-scène du travail analytique les relations asymétriques dans une région trop souvent résumée à son archétype égalitariste. » (Le jaguar apprivoisé. Essais d’ethnologie amazonienne, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2024, p. 12). Carlos Fausto a fait sa thèse sous la direction d’Eduardo Viveiros de Castro au Musée National de Rio où il enseigne l’anthropologie. Emmanuel de Vienne a fait sa thèse sous la direction de Philippe Descola et enseigne à l’Université de Nanterre ; il a travaillé comme Carlos Fausto chez les Kuikuro du haut Xingu et rédigé un article en commun avec lui sur cette société, traduit dans ce livre.[]
  15. Carlos Fausto développe ainsi des analyses qui ont été formulées pour la première fois par Philippe Erikson dans « De l’apprivoisement à l’approvisionnement : chasse, alliance et familiarisation en Amazonie amérindienne », Techniques & Culture 9 ,1987. URL: http://journals.openedition.org/tc/867.[]
  16. Carlos Fausto Le jaguar apprivoisé, p. 35. Voir aussi ibid., p. 41 : « L’ennemi consommé n’est pas réductible à un simple objet ou à un input brut. La prédation amazonienne est par définition une relation entre des sujets, puisqu’affirmer la subjectivité de l’ennemi est un pré-requis pour la capture, à l’extérieur, d’identités et de qualités, qui à leur tour servent à la constitution de personnes au sein du groupe. » Le termes utilisé par les Parakana pour désigner les animaux apprivoisés est te’omawa et pour le maître jara.[]
  17. Cf. ibid., p. 156 : « L’adoption est, pour ainsi dire, une filiation incomplète. Elle ne produit pas une identité pleine mais une relation ambivalente où le fond d’inimitié est maintenu sous le boisseau sans être tout à fait neutralisé. »[]
  18. Ibid., p. 67.[]
  19. Cette tension oppose aussi manger avec l’ennemi (commensalité) et manger l’ennemi (cannibalisme), et à l’intérieur du cannibalisme elle oppose manger les ennemis dans une démonstration de colère (exo-cannibalisme) et manger ses parents dans une démonstration de deuil (endo-cannibalisme). Cf Beth Conklin, Consuming Grief: Compassionate Cannibalism in an Amazonian Society, Austin, University of Texas Press, 2001 et Aparecida Vilaça, « Relations between Funerary Cannibalism and Warfare Cannibalism: The Question of Predation », Ethnos, 65(1), 2000, p. 83–106.[]
  20. Carlos Fausto, Le jaguar apprivoisé, op. cit., p. 105.[]
  21. Ibid., p. 131.[]
  22. Ibid., p. 140.[]
  23. Cf. Michael Taussig, Shamanism, Colonialism, and the Wild Man: A Study in Terror and Healing, Chicago, University of Chicago Press, 1991 et Eduardo Kohn, Comment pensent les forêts: vers une anthropologie au-delà de l’humain, traduction de Grégory Delaplace, préface de Philippe Descola, Bruxelles, Zones sensibles, 2016.[]
  24. Carlos Fausto, Le jaguar apprivoisé, op. cit., p. 77.[]
  25. Ibid., p. 76.[]
  26. Cf. Charles Stépanoff, Chamanisme, rituel et cognition: Chez les Touvas de Sibérie du Sud, Paris, Editions de la MSH, 2014 ; Voyager dans l’invisible. Techniques chamaniques de l’imagination, Paris, La Découverte, 2019.[]
  27. Cf. notamment Loretta Cormier, Kinship with monkeys : the Guaja foragers of eastern Amazonia, New York, Columbia University Press, 2003 et Luis Costa, The Owners of Kinship. Asymmetrical Relations in Indigenous Amazonia, Chicago, Hau Books, 2017.[]
  28. Charles Stépanoff, Attachements. Enquête sur nos liens au-delà de l’humain, Paris, La Découverte, 2024, p. 77.[]
  29. Cf. ibid., p. 124 : « Mon hypothèse est que l’extrême ouverture et la flexibilité de la parentalité humaine ont favorisé les adoptions inter-espèces. C’est à travers cette brèche que les animaux apprivoisés se sont inflitrés dans les sociétés humaines. Et ces liens individuels d’adoption ont contribué aux processus de domestication par lesquels des populations entières se sont engouffrées dans des espaces anthropogéniques. »[]
  30. Charles Stépanoff a édité avec Jean-Denis Vigne un livre collectif intitulé Hybrid Communities: Biosocial Approaches to Domestication and Other Trans-species Relationships, Londres, Routledge, 2019.[]
  31. Cf. Igor Krupnik, « Reindeer pastoralism in modern Siberia: research and survival during the time of crash », Polar Research, 2000, p. 49-56.[]
  32. Charles Stépanoff, Attachements, op. cit., p. 283.[]
  33. Je me permets de renvoyer sur ce point à mon livre récemment paru : Politique des zoonoses. Vivre avec les animaux au temps des virus pandémiques, Paris, La Découverte, 2024. Je propose dans ce livre une généalogie du biopouvoir en ajoutant à ce que Michel Foucault appelle « pouvoir pastoral » un « pouvoir cynégétique » qui repose sur des relations réversibles entre proie et prédateur. Si j’emprunte ce terme à Grégoire Chamayou, j’appuie mes analyses sur l’ethnographie des sociétés amazoniennes et sibériennes ici résumées. J’ajoute enfin le terme de « cryopolitique » pour interroger ce qui se transforme dans le « pouvoir cynégétique » lorsque les entités qu’il produit sont conservées par la chaîne du froid dans les sociétés modernes.[]
  34. Charles Stépanoff, Attachements, op. cit., p. 217.[]
  35. Ibid., p. 355.[]
  36. Cf. David Graeber et David Wengrow, Au commencement était… – Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les liens qui libèrent, 2019.[]
  37. Cette expression reprise au début d’Attachements avait été formulée par Charles Stépanoff dans son précédent livre L’animal et la mort. Chasses, modernité et crise du sauvage, Paris, La Découverte, 2021.[]
  38. Cf. Gregory Bateson, La Cérémonie du Naven, Paris, Minuit, 1971.[]
  39. Charles Stépanoff, Attachements, op. cit., p. 547.[]