Temps de lecture : 23 minutes

Ce texte est tiré de l’ouvrage de Bertille Darragon, « Jardiner dans les ruines. Quels potagers dans un monde toxique ? », illustré par Pauline Stive et paru aux éditions Écosociété en 2024.

Pour son livre « Jardiner dans les ruines », Bertille Darragon est partie de sa pratique jardinière et de ses lectures sur les limites planétaires pour mener une enquête sur les « entités nouvelles » qui polluent les sols et menacent le vivant. Pesticides, hydrocarbures ou radioactivité, chacun des chapitres fait des allers-retours entre la vie concrète du potager et la littérature scientifique sur la question, entrecoupés de conversations avec son amie Marie où les deux jardinières exposent leurs dilemmes.

Cet article est issu du chapitre consacré aux plastiques. Les conversations de Bertille et Marie apparaissent dans des encadrés.


Le plastique de nos bâches ou de nos serres fait partie des 300 millions de tonnes fabriquées chaque année1. Pendant les 20 dernières années, on en a produit autant que depuis son invention. Cette production continue à augmenter, et est amenée à tripler2 d’ici 2050. Les mesures faites sur le plastique constituent des données clés dans l’étude3 de 2022 sur les entités nouvelles. En regard de nos capacités d’évaluation et de contrôle, l’évolution est bien trop forte et rapide concernant à la fois les quantités produites et celles relâchées dans l’environnement. Cet indicateur, parmi d’autres, permet d’affirmer que la limite planétaire des entités nouvelles a été dépassée, et qu’on entre dans une zone dangereuse où des écosystèmes et des processus du système Terre pourraient basculer.

Un « continent de plastiques » sous nos pieds

Communément, le terme de « plastique » englobe les matières strictement plastiques (c’est-à-dire « moulées ») et les fibres synthétiques – sachant que les deux sont issues de la pétrochimie. Un coup d’œil autour de soi suffit pour s’en convaincre : ces matières sont omniprésentes dans nos vies, elles dessinent notre paysage quotidien jusque dans nos cabanes à outils. Et d’objets, elles deviennent vite déchets.

La sonnette d’alarme a déjà été tirée concernant l’océan, avec les tristes photos des cimetières d’oiseaux marins aux tripes remplies de plastiques. En plus d’entraver ou d’étouffer les animaux, ces plastiques nuisent à la bactérie photosynthétique la plus abondante de l’océan, importante pour le stockage du carbone et responsable de 10% de la production d’oxygène de la planète4. Il a fallu des années, depuis les premières alertes scientifiques5 en 1972, pour que des associations parviennent à faire prendre la mesure du problème, avec le terme-choc de « continent de plastique ».

Mais ce qui se passe dans les sols, et qui concerne de plus près les jardins, est moins médiatisé, plus invisible, et pourtant peut-être tout aussi grave. La présence des plastiques dans les sols commence tout juste à être étudiée, et il est encore malaisé de la mesurer et de comparer les données (car la plupart des recherches aboutissent à un nombre d’éléments difficile à convertir en masse). Cependant, certaines connaissances acquises sur les mers peuvent être utiles concernant la terre ferme grâce à des similitudes : par exemple, le fait que les microbes évoluent dans un film d’eau, y compris dans les sols, ou bien le caractère chlorophyllien à la fois des algues et des plantes terrestres. Même si tout n’est pas transposable, une partie des mécanismes du vivant sont universels, et un poison pour la vie des océans a sans doute des conséquences pour les sols. La couche géologique correspondant à notre époque est tellement marquée par la présence de ces déchets que des scientifiques proposent comme nom de cette ère le « Poubellien6 ». Il s’agit de l’un des changements d’origine humaine les plus massifs et les plus durables7.

Photo ds_30 sur Pixabay.

Un tiers de tous les plastiques produits se retrouvent dans les écosystèmes continentaux8. Une étude sur des sols agricoles à Shanghai a révélé la présence d’environ sept objets en plastique par kilo en surface9. Mais ce que l’on ne voit pas à l’œil nu, c’est la foule des microplastiques (de moins de 5 mm) et des nanoplastiques (d’une taille inférieure au millième de millimètre). Les concernant, une recherche conduite dans le sud-ouest de la Chine donne des résultats terrifiants : jusqu’à 43  000 particules par kilo de sol10. Dans les endroits les plus pollués7, les microplastiques peuvent atteindre 60 % du poids du sol. Ce n’est assurément pas le cas dans nos jardins, et on remarque que les données les plus ahurissantes concernent des sols hors d’Europe. Moins touché, ce continent n’est toutefois pas épargné, et comme les particules voyagent aussi par voie aérienne, même les terres relativement préservées ne sont pas en reste. Dans une zone classée Natura 2000 en plein milieu des Pyrénées, on a ainsi compté que chaque jour se déposent 365 particules de microplastiques par mètre carré : des chiffres comparables à ceux qu’on observe en plein Paris11. Au final, la pollution par les microplastiques s’avère jusqu’à 23 fois plus forte dans les sols que dans les océans12.

Mais d’où viennent-ils ?

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L’industrie du plastique, c’est fantastique

La pollution plastique des sols provient en partie des emballages. D’abord bien visibles au bord des routes nationales ou sur les chemins forestiers, ils finissent en fragments dans les écosystèmes. S’y ajoutent les objets de tous les jours quand ils sont abandonnés sur les sentiers ou jetés en décharge sauvage au bord des cours d’eau. Mais tout cela n’est que l’écume de la vague. Car même si l’on fait consciencieusement ses voyages à la déchetterie et que l’on trie sagement ses déchets, ils finissent bien quelque part… Ce qui est présenté comme un geste « écocitoyen » est en fait un permis pour consommer de plus belle13.

Dans les endroits les plus pollués, les microplastiques peuvent atteindre 60 % du poids du sol. La pollution globale des sols par les microplastiques s’avère jusqu’à 23 fois plus forte dans les sols que dans les océans.

Parfois, des accidents spectaculaires viennent aggraver la contribution visible de l’industrie à la pollution, comme le naufrage d’un porte-conteneurs en mai 2021, qui a largué sur les côtes du Sri Lanka 78 tonnes de granulés plastiques, destinés à fabriquer des bouteilles14. À l’origine de la catastrophe, la fuite d’un conteneur d’acide nitrique, un composant de base des engrais15, et l’un des acteurs de l’acidification. Et histoire de boucler la boucle de nos entités nouvelles, les fumées de l’incendie ont chargé l’air de la capitale srilankaise de tonnes de polluants atmosphériques (hydrocarbures, métaux lourds, etc.).

De façon moins médiatisée et plus continue, les sols sont également saupoudrés de caoutchouc synthétique provenant accessoirement des semelles, mais surtout des résidus de pneus et de revêtements routiers (aussi responsables de pollutions aux métaux lourds) : on estime que les poussières d’usure des pneus atteignent 110 000 tonnes par an en Allemagne16.

Marie – Tu veux dire, ces mêmes pneus qu’on utilise remplis de terre pour faire des marches dans les jardins ou des fondations, voire des murs de maisons17 ?
Bertille — Oui, et quand on sait ce qu’ils rejettent en polluants divers autant qu’en microplastiques, je reste dubitative.
M. — Mais au potager, ce n’est rien comparativement à ce qui provient des « intrants ». Je passe mon temps à ramasser machinalement des bouts de ficelle bleue agricole dans le paillage – du foin que j’ai récupéré chez un éleveur.
B. — Idem : on a pris du fumier au paysan voisin, bio, local, tout ça. Mais en l’épandant, on dissémine plein de fragments de plastique : surtout, des bouts des filets qui entourent les ballots de paille. Impossible de les trier... On va chercher d’autres sources d’amendements.
M. — Mais lesquelles ? Il m’est arrivé de récupérer du compost de la plate-forme municipale. J’ai observé qu’il n’est pas exempt de petits déchets plastiques. Je m’efforce de les retirer dans la part que je tamise, mais il y a ce que je repère à vue d’œil et la proportion qui n’est pas visible...
B. — Histoire d’en rire (jaune), nous, on a fini par faire un échantillonnage de nos récoltes de plastiques dans un grand bocal en verre. Faut-il l’exposer sur notre stand le jour du marché pour communiquer sur ce problème ?
Photo Pixabay.

De la terre… en polyester ?

Si l’industrie contribue à la dissémination de microplastiques, c’est l’agriculture qui est désignée comme l’un des secteurs les plus polluants18. Un kilo de lisier peut renfermer 1250 particules de microplastiques19 et, chaque année, 30 millions de tonnes d’affluents d’élevage sont épandues dans les champs20 : faites le calcul… Mais il faut d’emblée rendre justice à l’agriculture : autant on critiquera vertement les pratiques de « plasticulture », autant, lorsqu’il s’agit d’irrigation et d’épandage de boues, elle arrive en fin de chaîne et ne fait que répartir une pollution créée par d’autres.

Hé oui, l’eau d’arrosage peut être du jus de plastiques ! À la sortie des stations d’épuration, un dixième de ces particules, réduites en poussières, partent dans les eaux. Elles se retrouvent plus tard dans notre carafe, mais aussi dans les arrosoirs : jusqu’à 125 000 morceaux de plastique par mètre cube d’eau traitée21.

Et que faire des neuf autres dixièmes, présents dans les boues récupérées à la sortie des stations : les brûler, les enfouir ou les épandre ? « Entre les trois, mon cœur balance… » Leur incinération, tout comme celle des déchets comprenant du plastique, produit de nombreuses substances dangereuses22 : des polluants organiques persistants (dioxines, PCB, etc.) et même du mercure. Les substances qui ne sont pas filtrées partent dans les airs et peuvent se déposer dans les champs et les potagers, tandis que les résidus solides de la combustion sont utilisés en remblais sous les routes. Et les filtres qui concentrent les composants toxiques finissent comme les autres déchets dangereux, qu’il faut bien stocker quelque part…

Environ 60% des microplastiques présents dans les boues d’épandage sont des fibres, issues en grande partie des eaux de lessive des vêtements en synthétique.

En France, la « solution » préférée est plutôt l’épandage23 : à la sortie des stations d’épuration, les trois quarts des boues finissent dans les champs, soit 0,9 million de tonnes auxquelles on ajoute 6,5 millions en provenance de l’industrie. Des quantités plus faibles que les lisiers et fumiers, mais avec des teneurs en plastiques bien plus élevées, si bien que 63 000 tonnes de microplastiques sont épandues chaque année dans les champs en Europe24 (et 44 à 300000 tonnes en Amérique du Nord25). Les sols en agriculture biologique sont épargnés, cette pratique y étant interdite. Mais pour les autres, c’est le règne du non-droit : la pollution aux microplastiques n’est pas reconnue par les autorités et, de toute façon, ni les producteur·ices ni les utilisateur·ices des boues ne sont tenu·es pour responsables, quel que soit le polluant26. De votre côté, si vous disposez d’un système autonome de phytoépuration, avec comme objectif légitime de récupérer les boues pour amender votre jardin, portez votre attention sur ce que vous mettez dans vos eaux grises : il serait dommage de semer autant de plastiques que de minéraux !

Des serres en Espagne. Photo de Joanjo Puertos sur Unsplash.

Environ 60% des microplastiques présents dans les boues (comme dans la mer27) sont des fibres, issues en grande partie des eaux de lessive des vêtements en synthétique28. En un cycle, une machine à laver peut déverser dans l’environnement plus de 700 000 fibres plastiques29. Mieux vaut remplacer la polaire de jardin, même fabriquée à partir de bouteilles recyclées, par un vieux pull en laine ! Au lieu d’interdire les vêtements synthétiques, la loi sur l’« économie circulaire30 » oblige les fabricants de machines à laver à les doter d’un filtre d’ici 2025. Verrons-nous bientôt des primes à la casse pour les vieilles machines afin de relancer l’économie de l’électroménager ?

En plus de nos déchets de lessive, on retrouve dans les boues d’épuration les restes de nos douches. Si vous vous êtes déjà demandé en quoi sont faits les petits grains des gommages, et pouquoi ils seront interdits en UE à partir de 2027, vous avez maintenant la réponse. En un an, les produits cosmétiques et de « soins » utilisés par un·e Étatsunien·ne cumulent quand même un gramme de microbilles plastiques18. Le marc de café, ça marche très bien pour se récurer les mains après une journée au jardin ! Mais le gommage du soir reste une pollution insignifiante face à tout le matériel utilisé pendant la séance de jardinage.

[…]

« Biodégrader » ? Le plastique finit plutôt en miettes… sous le tapis (du sol)

« Plasticulture » : on aurait aimé inventer un tel terme, mais, aussi ahurissant que cela puisse paraître, des lobbies le revendiquent haut et fort. Le Comité français des plastiques en agriculture (CPA)31 propose carrément « agriculture écologiquement intensive » comme synonyme à « plasticulture », et il ne recule devant rien : « Qu’on l’appelle l’agroécologie, l’éco-agriculture ou encore l’agriculture écologiquement intensive, le CPA soutient une agriculture plus respectueuse de la nature […] qui par biomimétisme, accélère les processus de croissance, sans affecter la biodiversité. Elle permet de réduire la consommation des intrants (engrais, phytopharmaceutiques, eau, énergie), elle protège la plante, […] la structure du sol, les nappes phréatiques […] Sans plastique, 60 % de la production maraîchère, de lait, de viandes disparaîtraient. » Le plastique serait donc écologique, naturel, bon pour la biodiversité, et les ayatollahs qui veulent s’en passer se rendraient responsables d’une famine mondiale ! L’apothéose est un schéma illustrant le cycle du plastique par un huit, comme s’il s’agissait d’une boucle fermée de recyclage à l’infini et sans déchets. Qu’en est-il vraiment ?

Les plastiques ne se dégradent pas, ils s’effritent en une myriade de particules minuscules dont la composition chimique reste quasiment inchangée.

Avec le temps, les plastiques s’abîment. On en a tou·tes fait l’expérience, en voyant blanchir et se craqueler un arrosoir laissé tout l’été en plein soleil. Cela explique que les agriculteur·ices, même avec la meilleure volonté du monde, ont de la peine à récupérer l’intégralité des films qu’iels ont disposés sur leurs champs. Et sans surprise, on retrouve les « paillages » plastiques18 en petits bouts dans le sol, à raison de 3 g/m2. Mais alors, si les plastiques se désintègrent de la sorte, finissent-ils par se décomposer totalement ? En un mot, sont-ils biodégradables ?

Pour qu’une biodégradation soit totale, il faut que les êtres vivants décomposent les molécules, et qu’ils en utilisent tout le carbone pour leur propre biomasse et leur énergie. Pour la plupart des plastiques, ce n’est pas le cas : ils ne font que s’effriter. Ils peuvent alors s’effacer du paysage visible, mais leur pollution s’est en réalité démultipliée sous la forme d’une myriade de particules minuscules, dont la composition chimique reste quasiment inchangée.

B. — Sur un terrain que nous avons défriché pour y mettre des patates, il y avait une carcasse de voiture d’où étaient tombées notamment des collections de cassettes vidéo. Des bandes s’étaient déroulées, et on aurait encore pu les récupérer. Mais le paysan n’a pas fait attention, il a passé un engin qui les a déchiquetées en des milliers de morceaux. Impossible de nettoyer. 
M. — Je vois... Dans un jardin partagé en banlieue auquel je participais, l’animatrice a carrément démissionné quand elle a constaté combien le sol était infesté de plastiques. C’est vrai que ça peut être décourageant ! Pourtant, ce sont de ces terres qu’on dispose, et l’alternative consistant à acheter des légumes venant de plus loin n’est pas plus satisfaisante.
B. — Et il n’y a pas forcément moins de plastiques à la campagne qu’au pied des tours ! Dans le jardin collectif où j’étais avant, je déterrais avec peine des filets entiers, issus des ballots de paille servant à nourrir les chevaux, laissés par l’éleveuse qui nous avait précédées. Pire encore : du sable avait été entreposé dans un sac plastique en toile tissée. Nous avons bataillé à deux pendant toute une journée pour sortir du sol les lambeaux de toile pris dans les racines, qui s’émiettaient sous nos doigts. Évidemment, nous n’avons pas pu récupérer les tout petits bouts, il aurait fallu le faire plus tôt... ou ne jamais utiliser ce contenant !

[…]

Illustration Pauline Stive pour « Jardiner dans les ruines ».

Des sols modifiés par les microplastiques

Puisqu’ils ne sont ni dégradés ni recyclés, les plastiques finissent dans les eaux, mais aussi dans les sols. Les chambres d’agriculture ne s’en émeuvent pas et les présentent comme des déchets non dangereux32. Les résultats scientifiques sont plus inquiétants : en grand nombre, les microplastiques modifient les processus à l’intérieur du sol. Voici un exemple typique d’une entité nouvelle qui présente un risque pas uniquement par ses effets toxiques (qui affectent le domaine de la biodiversité). Elle influence également des processus qui participent à la régulation du système Terre et dont une phase se déroule dans les sols – notamment les cycles de l’eau, de la matière organique et de l’azote. Sa nocivité ne se réduit donc pas à sa toxicité.

Fort heureusement, nos surfaces jardinées sont sans doute peu concernées, faute de présence massive de microplastiques. Mais il se peut que des modifications substantielles du sol aient lieu à des endroits localisés qui auraient hérité d’une pollution spécifique. Et étant donné la persistance des plastiques, leur concentration dans les sols ne fait qu’augmenter. Les études faites sur des terres fortement polluées nous donnent malheureusement une idée de l’avenir réservé à nos parcelles. Vu que le sol est notre principal outil de travail, on peut donc à bon droit se demander en quoi les plastiques influent sur son fonctionnement. Les conséquences sont-elles positives ou négatives pour les végétaux ? Difficile à dire, les études en sont à leurs débuts et les conclusions, encore hésitantes. Voici l’état des lieux des connaissances.

En grand nombre, les microplastiques modifient les processus à l’intérieur du sol.

Les effets sur le sol sont plus ou moins importants selon l’aspect des microplastiques. Quand ils ressemblent aux particules de sol (c’est le cas du polyéthylène des bâches), l’influence est faible. Elle est beaucoup plus forte quand la forme des microplastiques est très différente de celle des autres composés du sol : c’est le cas des fibres (le polyester des filets anti-insectes). Flexibles, elles s’emmêlent de façon homogène au sol et le structurent à un niveau microscopique.

L’un des impacts sur le sol concerne son comportement par rapport à l’eau : les microplastiques ont tendance à aggraver l’érosion33. Tout particulièrement les fibres qui, en ne cimentant pas le sol, fragilisent sa résistance à l’action de l’eau34. La pollution aux plastiques diminuerait donc la résilience du sol, alors même qu’avec le chaos climatique, il endure des pluies plus rares et souvent diluviennes. Et face aux sécheresses qu’on traverse de plus en plus, ce n’est guère mieux : les résidus de films plastiques créent des galeries par lesquelles l’eau s’échappe, allant jusqu’à provoquer des craquelures de sécheresse35. De plus, tous les microplastiques augmentent le taux d’évaporation du sol, de 50% en ce qui concerne le polyester36.

Serres pour la culture des fraises au Zimbabwe. Photo Wikimedia.

Mais les effets sur les plantes sont ambivalents, car, par ailleurs, les particules de plastique modifient la porosité du sol, elles l’« allègent37 ». On a ainsi observé sur des oignons qu’en présence de microplastiques leurs racines deviennent plus fines et plus longues, couvrant ainsi un plus grand volume, ce qui leur permet d’accéder à davantage de ressources en eau et en minéraux. L’ambivalence est particulièrement forte concernant le polyester (qui compose les filets anti-insectes), car tout en amplifiant l’évaporation, il augmente la capacité du sol à retenir l’eau. Dans une expérience en laboratoire, il s’avère que le second phénomène surpasse le premier38, ce qui est finalement bénéfique pour les besoins hydriques des plantes.

En plus de leurs effets strictement physiques, les plastiques influent aussi par la nature de leurs molécules, qui changent la composition chimique du sol. Pas le polyéthylène des bâches ni le polypropylène des voiles, puisqu’ils ne se biodégradent quasiment pas. En revanche, certains polyesters de nos vestes polaires et des filets anti-insectes peuvent être en partie décomposés par des bactéries. Le sol se retrouve donc enrichi en carbone par les composés organiques issus de cette dégradation. En théorie, cela devrait améliorer l’humus et mieux faire pousser nos légumes. Mais ce n’est pas si simple, il nous faut regarder de plus près la vie du sol sous l’influence du plastique.

Même si les effets des fibres de polyester sont ambivalents sur les mondes végétal et fongique, ils sont entièrement négatifs pour la faune, au même titre que tous les plastiques.

Commençons par les microbes. Quand les microplastiques changent la structure et la composition du sol, ils influencent les communautés microbiennes. Des populations adaptées à ce nouveau milieu et pourvues des enzymes capables de décomposer en partie les plastiques39 prennent le dessus. Certains microplastiques, comme le polyester, ne font pas que sélectionner les microbes, ils diminuent globalement leur activité40. Il en résulte une moins bonne décomposition des matières organiques41, donc une plus faible disponibilité des nutriments pour les végétaux. Cette diminution d’activité concerne aussi les bactéries fixatrices d’azote, un élément indispensable à la vie végétale. La vie du sol a beau bénéficier de carbone supplémentaire, elle pâtit de la présence de plastiques, et les nutriments peuvent faire défaut à nos plantes potagères.

Quant aux champignons mycorhiziens, ils sont diversement influencés en fonction du type de microplastiques : on a observé une diminution de moitié des colonisations dans des sols pollués au polyéthylène (celui de nos bâches) et, au contraire, une augmentation dans le cas du polyester42. Devrions-nous alors ensemencer notre terrain avec des lambeaux de voiles anti-insectes et des restes de tee-shirts synthétiques ? Non, pas si l’on regarde les conséquences des plastiques sur toutes les petites bêtes du sol. Même si les effets des fibres de polyester sont ambivalents sur les mondes végétal et fongique, ils sont entièrement négatifs pour la faune, au même titre que tous les plastiques43. Une des conséquences est l’enchevêtrement : les animaux peuvent s’emprisonner, s’étouffer ou s’étrangler. Le changement dans la structure du sol modifie aussi leur habitat, par exemple la forme des galeries construites par les vers de terre, avec en retour une influence sur leur santé, donc sur le sol44.

Si les animaux inhalent des microplastiques, leurs voies respiratoires risquent d’être endommagées. Ils peuvent aussi en ingérer, que ce soit en se nourrissant ou en buvant. Cela peut provoquer l’obstruction de leur système intestinal24 : l’individu n’est plus en mesure de se nourrir ou il a une fausse sensation de satiété. Étant donné que sur 50 ans tout le sol de notre jardin passe par le tube digestif de vers de terre45, on imagine la quantité de plastiques qu’ils doivent engloutir et les conséquences en matière de mortalité46.

Le bilan de tous ces effets sur la faune des sols est nettement néfaste47. Des collemboles exposés au polyéthylène voient leur reproduction chuter de 70 %, d’autres invertébrés modifient leur comportement en réduisant leurs déplacements, etc.

Une jardinière au travail en Estonie. Photo Wikimedia.
B. — Dans le terrain que nous tâchons de remettre en état, il y a non seulement des carcasses de voitures et des débris de cassettes vidéo, mais aussi de nombreux autres matériaux plastiques qui se fragmentent sur les sols. Quelqu’un a vécu là et a tout abandonné. Le pire est peut-être de voir les oiseaux utiliser des fibres de polaire pour faire leurs nids, et des invertébrés emmener des lambeaux de bâche tressée dans leurs habitats souterrains. Un piège de plus que les humain·es leur tendent. J’ai une motivation enragée pour nettoyer ce terrain et en même temps, ça me tord le ventre. 
M. — D’autant qu’on ne fait que déplacer la pollution vers les centres d’enfouissement ou les incinérateurs... Et ce que tu vois à l’échelle de ce jardin n’est qu’un échantillon de la réalité de nos sociétés, simplement un peu moins cachée que d’habitude. Ce genre de paysage tellement transformé par les humain·es donne une idée de ce que serait le monde après une grande crise touchant à la démographie : des amoncellements de béton et de plastique au milieu desquels quelques espèces d’êtres vivants adaptés trouveraient de quoi vivre.
B. — Oui, comme dans
Libration de Becky Chambers, où des petites filles sont élevées par des robots dans une usine pour démonter des machines et y récupérer des éléments. En dehors de l’usine-prison, le monde est devenu une immense décharge où errent quelques animaux non humains. De quoi se nourrissent-ils, comment survivent-ils dans cet univers toxique ? Cela reste un mystère.

Le plastique est toxique : un peu de chimie pour comprendre

En plus de leur action propre, à la fois physique et chimique, les microplastiques véhiculent d’autres polluants, relâchés lentement dans le sol et dans les organismes qu’ils intoxiquent ainsi sur le long terme. Il y a plusieurs raisons à cela.

En premier lieu, ils fixent d’autres produits toxiques présents dans l’environnement : métaux lourds, POP, pesticides48, médicaments47. On parle d’un effet « cheval de Troie ». Une intoxication de vers de terre a, par exemple, été attribuée à du zinc auquel des grains de polyéthylène avaient servi de vecteurs33. Autour de Sydney, dans des sols très pollués par les plastiques, le relargage d’organochlorés est tellement intense qu’il provoque des changements géochimiques dans le sol37. Cette capacité à agglomérer d’autres composés est liée notamment à la taille des plastiques. Car plus une chose est petite, plus elle a de surface en regard de son volume. Par conséquent, les petites particules ont une grande capacité à s’imprégner d’autres contaminants, donc à les transporter et à les diffuser dans les organismes. Et c’est d’autant plus vrai quand la forme de la particule est irrégulière ou allongée, comme les fibres. Le polyester des filets anti-insectes est donc à ce titre la substance la plus dangereuse47.

Les plastiques présentent une toxicité chimique car ils contiennent des additifs, qui représentent jusqu’à 70 % de leur poids.

Par ailleurs, l’ensemble des microplastiques attirent tout particulièrement le méthylmercure, cette fois pour des raisons électriques : le plastique ayant une charge négative et le mercure, une charge positive, ils s’attirent comme des aimants49. Rappelons-nous que cette molécule est très toxique, car assimilable par les organismes.

La seconde raison pour laquelle les plastiques présentent une toxicité chimique est qu’ils contiennent des additifs, qui représentent jusqu’à 70 % de leur poids. Du coup, ces derniers font partie des substances artificielles qu’on trouve le plus dans l’environnement24. Dans les catalogues en ligne de matériel agricole, on vante la présence d’un cortège d’adjuvants dans les bâches de serre : anti-buée, anti-poussière, anti-UVB, un agent diffusant la chaleur, un autre absorbant les infrarouges. Ni la composition ni les effets écologiques ne sont jamais précisés, alors que la plupart des additifs sont connus pour être des perturbateurs endocriniens.

Photo Pixabay.

Des additifs présents dans des plastiques non agricoles se retrouvent aussi dans les champs en agriculture conventionnelle via les boues d’épandage. Ainsi, les phtalates sont les POP le plus abondamment retrouvés dans les récoltes de blé et de maïs50. On peut aussi s’inquiéter du bisphénol A, un autre POP qui a fait grand bruit, car ce perturbateur endocrinien particulièrement dangereux pour les bébés était massivement utilisé dans… les biberons. Interdit pour cet usage (par le Canada en premier), il a été remplacé par d’autres bisphénols, tout aussi nuisibles. Il est encore présent dans différents plastiques qui servent pour les chais ; il migre ensuite dans les vins51 et bien sûr dans les sols.

Exposés aux produits toxiques que les plastiques contiennent et véhiculent, les lombrics réagissent par une perte de poids52 et des troubles hépatiques et immunitaires48. Pour ces diverses raisons, la présence massive des particules plastiques constitue une pression évolutive pour toutes les espèces du sol, notamment celles dont les générations sont courtes. C’est donc un facteur supplémentaire qui nuit au fonctionnement du sol et affecte la biodiversité de nos jardins.

M. — Un romancier anglais, Will Self, a imaginé une société future fort peu désirable où Londres a disparu sous la mer et où les fragments de plastiques sont considérés comme sacrés. On les porte comme des ornements et on les appelle « daveries », du nom de Dave, le chauffeur de taxi acariâtre qui a laissé un journal devenu la nouvelle Bible53. 
B. — J’imagine plutôt qu’on finira par tamiser certaines terres pour extraire un maximum de ces saletés... Qui sait si « nettoyeur·se de sol » ne deviendra pas un métier saisonnier pendant les périodes de sécheresse ?
M. — Et qui demandera beaucoup de savoir-faire puisqu’il faudra respecter autant que possible les couches de sol à ne pas mélanger. Les sociétés héritières de l’ère industrielle auront du travail...

Image d’ouverture : © Pauline Stive, 2024.

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Notes

  1. University of Surrey, « Major environmental challenge as microplastics are harming our drinking water », Phys.org, 6 septembre 2019.[]
  2. Roland Geyer et al., « Production, use ,and fate of all plastics ever made », Science Advances, vol.3, n°7, 2017, e1700782.[]
  3. Linn Persson et al., « Outside the safe operating space of the planetary boundary for novel entities », Environmental Science & Technology, vol.56, n°3, 2022, p.1510-1521.[]
  4. Macquarie University, « It’s not just fish, plastic pollution harms the bacteria that help us breathe », Phys.org, 14 mai 2019.[]
  5. Bernadette Bensaude-Vincent et Sacha Loeve, Carbone. Ses vies, ses œuvres, Paris, Seuil, 2018.[]
  6. Pascal Canfin et Robert Calcagno, « Ne transformons pas notre terre et nos océans en une gigantesque poubelle », Le Monde, 8 juin 2016.[]
  7. Anderson Abel de Souza Machado et al., « Microplastics as an emerging threat to terrestrial ecosystems », Global Change Biology, vol.24, 2018, p.1405-1416.[][]
  8. Anderson Abel de Souza Machado et al., « Impacts of microplastics on the soil biophysical environment », Environmental Science & Technology, vol.52, n°17, 2018, p.9656-9665.[]
  9. Mengting Liu et al., « Microplastic and mesoplastic pollution in farmland soils in suburbs of Shangai, China », Environmental Pollution, vol.242, partie A, novembre 2018, p.855-862.[]
  10. 10. G. S. Zhang et Y. F. Liu, « The distribution of microplastics in soil aggregate fractions in southwestern China », Science of The Total Environment, vol.642, 2018, p.12-20.[]
  11. « Des microplastiques transportés par les airs polluent les montagnes », Sciences et Avenir, 15 avril 2019. []
  12. Alice A. Horton et al., « Microplastics in freshwater and terrestrial environments : Evaluating the current understanding to identify the knowledge gaps and future research priorities », Science of The Total Environment, vol.586, 15 mai 2017, p.127-141.[]
  13. Baptiste Monsaingeon, Homo detritus. Critique de la société du déchet, Paris, Seuil, 2017.[]
  14. Astrid Saint Auguste, « Le Sri Lanka face à une catastrophe environnementale sans précédent », Sciences et Avenir, 15 juin 2021.[]
  15. Mohamed Larbi Bouguerra, « Des marées noires d’un nouveau genre », Le Monde diplomatique, juillet 2023.[]
  16. Defu He et al., « Microplastics in soils : Analytical methods, pollution characteristics and ecological risks », TrAC Trends in Analytical Chemistry, vol.109, décembre 2018, p.163-172.[]
  17. Écohabitation (avec Sara Bélaid), « Les earthships : la fausse bonne idée », Écohabitation, 8 février 2021.[]
  18. Defu He et al., « Microplastics in soils », op. cit.[][][]
  19. Jie Yang et al., « Abundance and morphology of microplastics in an agricultural soil following long-term repeated application of pig manure », Environmental Pollution, vol.272, mars 2021, 116028.[]
  20. En matière sèche ; ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, Les épandages sur terres agricoles des matières fertilisantes d’origine résiduaire – Mission prospective sur les modalités d’encadrement et de suivi réglementaire, rapport CGEDD n°009801-01, CGAAER n°14074, établi par Bertrand Gaillot et Patrick Lavarde (coordonnateur) avec la contribution de Philippe Balny, Denis Delcour et Muriel Guillet, juillet 2015.[]
  21. Melanie Bläsing et Wulf Amelung, « Plastics in soil : Analytical methods and possible sources », Science of The Total Environment, vol.612, 15 janvier 2018, p.422-435.[]
  22. Rinku Verma et al., « Toxic pollutants from plastic waste – A review », Procedia Environmental Sciences, vol.35, 2016, p.701-708.[]
  23. Les épandages sur terres agricoles des matières fertilisantes d’origine résiduaire, op. cit.[]
  24. Anderson Abel de Souza Machado et al., « Microplastics as an emerging threat to terrestrial ecosystems », op. cit.[][][]
  25. « Évolution scientifique de la pollution plastique », Environnement et Changement climatique Canada, Santé Canada, Octobre 2020.[]
  26. Jason Wiels, « Face au risque de pollution rampante, l’assemblée vote la révision des normes des boues d’épuration », LCP, 20 décembre 2019.[]
  27. Universitat Rovira, « On the Tarragona coast, 57 % of plastic waste is clothing fibers from washing machines », Phys.org, 10 juin 2019.[]
  28. « Épandage des boues d’épuration : une bombe à microplastiques ! », Zoom Nature, 9 février 2020.[]
  29. « Planète plastique : de minuscules particules de plastique polluent notre sol », UNEP, 22 décembre 2021.[]
  30. Marina Fabre, « Contre les microplastiques, les fabricants devront équiper les machines à laver de filtres d’ici 2025 », Novethic, 11 mars 2020.[]
  31. Voir www.plastiques-agricoles.com/[]
  32. Chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales, Guide des déchets agricoles non organiques, juin 2015.[]
  33. Anderson Abel de Souza Machado et al., « Microplastics as an emerging threat to terrestrial ecosystems », op. cit.[][]
  34. Anderson Abel de Souza Machado et al., « Microplastics can change soil properties and affect plant performance », Environmental Science & Technology, vol.53, n°10, 2019, p.6044-6052.[]
  35. Yong Wan et al., « Effects of plastic contamination on water evaporation and desiccation cracking in soil », Science of The Total Environment, vol.654, 1er mars 2019, p.576-582.[]
  36. Anderson Abel de Souza Machado et al., « Microplastics can change soil properties and affect plant performance », op. cit.[]
  37. Ibid.[][]
  38. Ibid.[]
  39. Anika Lehmann et al., « Abiotic and biotic factors influencing the effect of microplastic on soil aggregation », Soil Systems, vol.3, n°1, 2019, p.21.[]
  40. Anderson Abel de Souza Machado et al., « Microplastics can change soil properties and affect plant performance », op. cit.[]
  41. Hongfei Liu et al., « Response of soil dissolved organic matter to microplastic addition in Chinese loess soil », Chemosphere, vol.185, octobre 2017, p.907-917.[]
  42. Anderson Abel de Souza Machado et al., « Impacts of microplastics on the soil biophysical environment », op. cit.[]
  43. Tout ce paragraphe, sauf autre mention : Ébauche d’évaluation scientifique de la pollution plastique, Environnement et Changement climatique Canada, Santé Canada, janvier 2020.[]
  44. Forschungsverbund Berlin, « An underestimated threat : Land-based pollution with microplastics », ScienceDaily, 5 février 2018.[]
  45. Odette Ménard, Les ouvriers du sol et les pratiques agricoles de conservation, colloque en agroenvironnement « Des outils d’intervention à notre échelle », CRAAQ, 23 février 2005.[]
  46. Huerta Lwanga et al., 2016, dans The State Of The World’s Biodiversity For Food And Agriculture, FAO Commission On Genetic Resources For Food And Agriculture Assessments, 2019.[]
  47. Ébauche d’évaluation scientifique de la pollution plastique, op. cit.[][][]
  48. Defu He et al., « Microplastics in soils », op. cit.[][]
  49. Vivian Li, Igeneration Youth, « Marine plastic pollution hides a neurological toxicant in our food », Phys.org, 6 septembre 2019.[]
  50. Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), « Teneurs en CTO dans les récoltes ».[]
  51. « Maîtriser le risque phtalates et bisphénol A dans les vins », Réussir Vigne, 3 mars 2020.[]
  52. Anglia Ruskin University, « Microplastics stunt growth of worms : study », Phys.org, 12 septembre 2019.[]
  53. Will Self, Le livre de Dave, trad. Robert Davreu, Paris, Éditions de l’Olivier, 2010 (The Book of Dave, 2006).[]