Saad Dagher, Lina Ismail et Mohammed Khoueira viennent de Ramallah en Cisjordanie et sont membres du Forum palestinien d’agroécologie. Ce collectif travaille à diffuser l’agroécologie et à sensibiliser à l’importance de l’autonomie alimentaire.
À l’automne 2024, Saad, Lina et Mohammed sont venu·es en France pour participer à « Sème ta résistance », une grande rencontre organisée par le Réseau Semences Paysannes à Antibes. À cette occasion, iels sont venu·es passer quelques jours à Longo maï dans les Alpes-de-Haute-Provence, et ont accordé un entretien à Nick de Radio Zinzine. Terrestres en republie la transcription. L’émission, diffusé le 24 novembre 2024, est à écouter ici.
Dans cet entretien, Saad, Lina et Mohammed présentent les activités du Forum palestinien d’agroécologie, et racontent la situation terrible dans laquelle se trouvent les agriculteurs et agricultrices palestinnien·nes du fait des agressions violentes et répétées de la part des colons, en constante augmentation. Saad et Mohammad sont paysans et membres fondateurs du Forum palestinien d’agroécologie. Saad a une ferme sur laquelle il produit des légumes et des olives ; il travaille également dans le domaine de la formation et du conseil pour l’agriculture, l’environnement et l’eau à Ramallah. Mohammad est paysan et éleveur de chèvres, il anime des ateliers sur l’agroécologie et produit depuis peu des engrais et des pesticides naturels.
Radio Zinzine – Comment est né le Forum palestinien d’agroécologie ?
Lina – Nous avons commencé en tant que groupe en 2018, chacun·e d’entre nous était auparavant soit militant dans le domaine de la souveraineté alimentaire et de l’agroécologie, soit agriculteur·trice.
Au cours de notre vie, nous étions membres d’autres entités bénévoles en relation, par exemple, avec les marchés paysans afin de renforcer le lien entre les consommateur·trices et les agriculteurs·trices. Certain·es ont un long passé dans l’agroécologie comme Saad, et d’autres commençaient à se former. Nous avons voulu qu’il y ait un groupe spécialisé dans l’agroécologie, car les autres organisations soutenaient les agriculteurs·trices en général, mais personne ne se chargeait de promouvoir spécifiquement l’agroécologie qui, à notre avis, mène à la souveraineté alimentaire.
Saad – Au départ, personne en Palestine ne parlait d’agroécologie. J’ai sans doute été le premier à le faire il y a environ 20 ans. C’était pour essayer de se débarrasser des produits chimiques dans l’agriculture. J’ai commencé à faire des expériences, d’autres faisaient des essais en agriculture biologique, mais on ne connaissait pas l’agroécologie. Il y avait l’agriculture biologique et la permaculture. J’ai débuté mes propres expériences jusqu’à ce que je commence à en voir les résultats, il y a de ça 22 ans.
J’aimerais comprendre la situation de l’agriculture en Cisjordanie à l’époque, quand vous avez commencé à mettre en place ces idées de l’agroécologie. Il y avait certainement les problèmes de dépendance par rapport à Israël, aux importations, mais aussi des problèmes liés aux agressions, aux confiscations de terres, etc.
Saad – Je voudrais d’abord parler de l’histoire récente, de la situation actuelle et même très précisément d’aujourd’hui. Ce matin il y a eu une agression contre des agriculteurs·trices palestinien·nes dans des villages du nord-est de la ville de Ramallah, Mughayir et Turmus Aya.
Ils et elles ont été battus, chassés et empêchés de cueillir les olives. Les colons sont venus avec des armes, et bien sûr l’armée avec eux pour les protéger. Ils ont chassé les agriculteurs·trices. Hier la même chose, dans un village qui s’appelle Rantis. Avant-hier ils ont attaqué les paysan·nes au village de Al-Lubban al-Gharbi où il y a eu des blessé·es. Certain·es ont eu les bras cassés, la tête fracassée. Ils viennent bien sûr avec des armes, alors que les agriculteurs·trices n’ont rien.
C’est ce qu’il se passe aujourd’hui. C’est la mise en application de la déclaration des chefs des colons de la Cisjordanie, il y a environ un mois. Ils ont déclaré que la saison des olives cette année sera la saison du sang. Ils veulent faire couler le sang palestinien, la direction des colonies israélienne l’a proclamé clairement – les grosses têtes, les chefs.
Mais les problèmes du secteur agricole sont nombreux. Les principaux problèmes sont causés par le total contrôle de l’eau exercé par les colons. Toute l’eau de la Cisjordanie est censée être aux Palestiniens, mais les colonies en prennent 85%. Ce n’est pas seulement que l’eau n’est pas disponible pour l’agriculture mais également pour boire. Certaines régions en Cisjordanie n’obtiennent de l’eau qu’une fois tous les deux ou trois mois, en particulier dans le sud de la Cisjordanie. Au point que le prix du mètre cube d’eau atteint parfois l’équivalent de 13 euros.
Puis il y a la confiscation des terres. En ce moment, ça va très vite. Le rythme de la prise de contrôle des terres augmente. De grandes surfaces sont confisquées.
Lire aussi sur Terrestres : Ali Zniber, « Prise de terre et Terre promise : sur l’État colonial d’Israël », août 2024.
Il y a aussi la dépendance par rapport aux engrais, aux importations. Vous avez expliqué que pour vous, l’autonomie alimentaire fait partie de l’émancipation de votre peuple.
Lina – Du fait que la Palestine est sous occupation, il y a une grande dépendance vis-à-vis de l’occupant, à cause du système qu’il a créé.
En premier lieu, notre agriculture a été transformée, d’un mode traditionnel à des monocultures utilisant des produits chimiques et des semences industrielles. Saad et d’autres personnes ont vécu cette époque dans les années 1970. Quand Israël a occupé la Cisjordanie, il a introduit ces méthodes et essayé de convaincre les agriculteurs·trices de les adopter. Il y a aujourd’hui des archives qui montrent des salons agricoles, auxquels ont été convié·es les paysan·nes, où on leur présentait les nouvelles techniques, les engrais et les produits chimiques, afin d’améliorer ou d’augmenter leur production. Donc avec l’occupation, c’est aussi notre agriculture et la façon de produire l’alimentation qui ont changé.
Après cela sont arrivés des organismes étrangers qui prétendaient développer l’agriculture, plus particulièrement après les accords d’Oslo [en 1993], afin d’aider au processus de développement économique de la Palestine.
Ces organismes ne se sont pas attachés à l’idée que les Palestinien·nes puissent produire pour la population locale, mais plutôt qu’on puisse s’appuyer sur la technologie, apprendre comment faire des cash crop (cultures commerciales) et produire de la nourriture comme marchandise à exporter, de manière à ce que notre dépendance perdure.
En plus, du fait que nous n’avons pas de maîtrise sur nos frontières, nous ne savons pas forcément ce qui entre. Nous ne savons pas quelles sortes de graines entrent, nous ne savons pas si nous avons des OGM ou pas, mais nous savons qu’il entre beaucoup de pesticides et d’engrais, de manière légale et de manière illégale, dont une grande partie est interdite dans les pays qui les fabriquent en Europe. Ces produits sont utilisés chez nous.
Quelles sont les activités principales du Forum d’agroécologie ? Qu’est-ce que vous mettez en place comme alternative dans le domaine agricole ?
Saad – Nous considérons que l’agroécologie est l’un des moyens qui limitent notre dépendance à l’occupation. Parce qu’en agroécologie, la production se fait en s’appuyant sur des intrants produits localement. Toutes les matières requises sont locales. On ne compte sur rien qui provienne de l’export ou de l’occupant. C’est l’outil qui nous permettra d’atteindre la souveraineté alimentaire.
Notre objectif est de diffuser chez les gens une agroécologie qui s’appuie sur les semences locales paysannes. Cela permet de ne pas avoir à en importer auprès de l’occupant. Ces semences locales sont adaptées aux conditions locales, en particulier avec le changement climatique en cours. Elles n’ont pas besoin d’intrants chimiques comme les graines génétiquement modifiées ou hybrides.
En même temps, du fait qu’on produit de la nourriture sans produits chimiques, sans poisons, cette production est saine pour les gens et réduit aussi notre dépendance aux médicaments, dont une grande partie est importée.
Nous considérons que nous portons la responsabilité de préserver l’environnement, d’agir pour limiter le changement climatique, nous y voyons une part de notre responsabilité et une partie de la grande bataille mondiale pour nous libérer des sociétés colonialistes. En tant que peuple sous occupation, nous y voyons donc notre modeste contribution à la cause de la libération mondiale.
Quelle forme prend concrètement ce travail ?
Mohammed – Parmi les moyens que nous utilisons pour lutter contre la colonisation, y compris la colonisation environnementale, il y a les ateliers d’agroécologie.
C’est pour cela que nous essayons toujours de trouver une alternative locale à chaque produit importé, qu’il soit sain ou pas. C’est pourquoi le rôle du Forum palestinien d’agroécologie est aussi de former les agriculteurs·trices pour leur apprendre à préparer des produits alternatifs aux engrais chimiques, ou même biologiques, d’importation.
Nous croyons aussi que chaque agriculteur·trice doit être indépendant·e et maître ou propriétaire de sa ferme. Personne ne doit être l’esclave d’une société coloniale, d’un importateur ou de quiconque. Et ça ne s’applique pas uniquement aux plantes mais aussi aux animaux. Pour les chèvres, nous faisons tout ce que nous pouvons pour ne pas utiliser de médicaments importés ou dont nous ne connaissons pas le lieu de production. Nous essayons de trouver des alternatives.
Une grande partie de cette connaissance est là, mais malheureusement la nouvelle génération n’a pas de lien suffisant avec les ancien·nes ou avec les gens qui ont une expérience antérieure. Il y a comme un vide entre la génération qui a l’expérience et la jeune génération qui se perd dans le système capitaliste actuel.
Il y a deux côtés, un côté qui a l’expérience, une expérience héritée d’avant et puis la jeune génération qui, elle, a l’énergie. Il faut qu’ils communiquent ensemble pour que la jeune génération agisse. Je trouve que la jeune génération porte la grande responsabilité de mettre en œuvre les alternatives et chercher l’expérience chez ceux et celles qui l’ont.
Lire aussi sur Terrestres : Rami Abou Jamous, « Journal de bord de Gaza », décembre 2024.
Lina – Je voudrais ajouter que nous sommes actuellement en train de former un petit groupe de personnes à devenir elles-mêmes formatrices en agroécologie pour que nous soyons plus nombreux·ses à porter cette question, et en parallèle nous travaillons à répertorier les activités et établir un guide de l’agroécologie. En ce moment, avec un groupe d’ami·es que nous avons rencontré, originaires de ces beaux pays que sont le Liban, l’Iraq, l’Iran, la Syrie et l’Égypte, nous en sommes arrivé·es à cette idée de construire un réseau local de semences paysannes, mais qui soit décentralisé. Nous avons lancé l’idée et j’espère que nous allons la mettre en place dès notre retour au pays.
Par le biais de notre travail et de nos ateliers, on a vu que des fermes se créent. Au-delà de la formation des personnes, ces agriculteurs·trices se sont lancés dans leurs fermes en Cisjordanie. Ce sont de petits groupes, mais ils posent les fondements pour quelque chose de plus grand qui s’élargira.
Nous savons bien sûr que la situation était très difficile depuis longtemps, depuis des décennies, pour la population en Cisjordanie et notamment pour les agriculteurs·trices. Depuis le 7 octobre 2023, il y a eu une grande accélération et la répression est devenue beaucoup plus féroce. Il y a eu beaucoup d’attaques, de morts. Quelle forme cela a pris pour vous en tant qu’agriculteur·trices ?
Saad – Nous avons déjà évoqué les questions des confiscations et de l’eau, mais il y a d’autres problèmes pour les agriculteurs·trices qui se passent aujourd’hui et qui malheureusement sont invisibilisés par la guerre à Gaza et au Liban. En ce moment, des Palestinien·nes sont chassé·es de leurs localités, de leur terre, de leurs villages. Jusqu’ici on compte 39 localités d’où ont été chassé·es les Palestinien·nes. Et ça, c’est le début de l’opération d’expulsion : « le transfert ».
Dans un premier temps, ils [les colons] ont pris le contrôle des terres et de vastes surfaces, notamment dans la zone des Aghouar, en Cisjordanie. De mon point de vue, ils sont en train de faire des essais pour la grande opération d’expulsion dans laquelle les Palestiniens seront déplacé·es de Palestine en Jordanie.
La deuxième chose qui a pris de l’ampleur ces deux derniers mois, ce sont les démolitions de maisons : une grande campagne de destruction des maisons des Palestinien·nes dans différentes villes et villages.
Il y a aussi un autre problème auquel les agriculteurs·trices sont confronté·es. Aujourd’hui, plus de 700 barrages militaires en Cisjordanie freinent la circulation des légumes et des fruits, des biens de consommation. Les légumes peuvent être produits dans la région de Jenin et vendus à Ramallah. La circulation est devenue difficile. Parfois, un trajet qui devrait prendre une heure en prend cinq, six ou même huit.
Mais il y a des choses nouvelles. Cette décision date d’hier. C’est la première fois qu’à cette saison, nous importons des tomates. C’est une décision de l’Autorité palestinienne d’autoriser l’importation de tomates. Elle a ouvert la porte aux exportateurs. Pourquoi l’a-t-elle fait ? La tomate à cette saison de l’année est produite dans la région des Aghouar, à l’est de la Cisjordanie. Or, la plupart de cette zone est actuellement sous contrôle militaire ou fermée, les agriculteurs·trices ne peuvent plus planter leurs tomates.
Il y a aussi de grandes zones dans le nord de la Cisjordanie, proches du mur de l’apartheid, qui ont été détruites au bulldozer : les serres à légumes ont été arrachées, les pépinières d’oliviers détruites. Plus d’un demi-million de plants d’olivier ont été détruits, qui auraient dû être plantés cet hiver. Tout a été emporté.
On a aussi peur de quelque chose qui arrive chaque année, mais qui cette année pourrait être plus grave encore. De nombreux·ses Palestinien·nes d’origine rurale, mais qui vivent et travaillent à la ville, vont pour la saison cueillir les olives et les presser. Ensuite, l’huile est ramenée à la ville. Ce qui arrive couramment, c’est que lors de leur retour vers la ville avec les bidons d’huile, aux barrages militaires les soldats repèrent l’huile et la déversent par terre. On attend l’huile durant un an, et en un instant les soldats la jettent.
Le mois dernier, dans le sud de la Cisjordanie, dans la région d’Hébron et de Bethlehem, non seulement les maisons ont été détruites mais aussi les puits qui servent de réserves d’eau de pluie. C’est une partie de la guerre contre les Palestinien·nes par le biais de leur nourriture, par la destruction de la capacité à produire de la nourriture.
Il y a encore la politique d’occupation des collines et des sommets par le mouvement appelé « les jeunes des collines ». Les premiers appels à le faire ont été lancés en 1998 par Ariel Sharon qui était ministre israélien de la Guerre. Il y a 26 ans, il a appelé à former les groupes qu’il a baptisé « des collines » pour qu’ils occupent les sommets des reliefs. Nous voyons ces dernières années les résultats de cette politique. Un groupe, ou une seule personne, avec des vaches ou des moutons, occupe un sommet, mais contrôle toute la zone qui l’entoure. La personne est armée, et en plus l’armée la protège.
Cette personne va empêcher les propriétaires Palestinien·nes d’approcher leurs terres, de cueillir les olives, de cultiver ou de faire quoi que ce soit. Même si quelqu’un·e a des moutons qu’il veut faire paître dans la zone, ce colon l’en empêche. Il y a quelques mois, un berger de la région de Ramallah allait vers sa terre. Ils l’ont battu, brisé.
Deux ou trois jours avant que je vienne ici en France, un « jeune des collines » a pris le contrôle d’un sommet de montagne, et nous sommes allé·es en tant que villageois·es pour protester. Cette terre doit rester à ses propriétaires, aux Palestinien·nes. Quand nous sommes arrivé·es, en tant que civils non armés, le colon est descendu avec son arme, accompagné d’un groupe de colons qu’il avait appelé sur son portable. En quelques minutes, l’armée était là, avec des véhicules. Elle nous a encerclés et a commencé à tirer des grenades lacrymogènes et assourdissantes. Il a fallu qu’on parte, qu’on s’enfuie pour ne pas respirer le gaz. Il était impossible de rester sur place.
Ce que nous voyons ces dernières années, c’est que les colons construisent une colonie sur le sommet d’une montagne. Puis ils commencent à prendre le contrôle des terres de la vallée en contrebas, les terres agricoles dans les plaines. Comment ? Ils commencent par empêcher leurs propriétaires de les cultiver, de les planter, puis au bout de quatre ou cinq ans de non-plantation, ils commencent à planter.
Il semble que les Israéliens soient très inventifs. J’aimerais que vous expliquiez d’autres méthodes très surprenantes qu’ils utilisent pour entraver les Palestinien·nes. Par exemple, il est connu que les Palestinien·nes ont cherché à planter beaucoup d’arbres sur des collines et sur des terres parce que ça rend plus difficile la confiscation par les Israéliens.
Saad – En effet. Au début des années 1970, il y a eu un mouvement commencé par des étudiants à l’université de Birzeit qui ont créé les Comités d’action volontaire.
L’objectif de ces groupes était de planter dans les zones menacées d’être confisquées. Ils ont commencé à planter. Qu’a fait l’occupant ? Il s’est mis à lâcher et répandre des gazelles dans les montagnes. Il y a toujours eu des gazelles, mais les colons les ont multipliées, en particulier les gazelles à cornes. Au mois d’été, les gazelles ont une activité hormonale. Elles ont besoin de gratter l’espace entre leurs deux cornes. Et donc la gazelle vient vers le petit d’olivier planté, et en le plaçant entre ses deux cornes elle se frotte et blesse l’arbre qui meurt après avoir perdu son écorce.
En Palestine, environ 85% des Palestinien·nes sont musulman·es et 15% chrétien·nes. Les musulman·es mangent de la gazelle. Les chrétien·nes aussi, tout le monde mange de la gazelle. Et donc tout le monde chassait la gazelle. Je me souviens, on mettait des pièges et on attrapait les gazelles. Leur plan de détruire les oliviers par les gazelles a donc échoué.
Alors, il y a trente ans ils ont introduit des sangliers chez nous. Une majorité d’entre nous ne mange pas de sanglier, en tant que musulman·es. En plus, la gazelle procrée une fois par an et donne naissance à un ou deux petits, le sanglier donne entre 10, 14 ou 15 petits. Donc il se reproduit très vite, personne ne le chasse, et il n’a pas de prédateur naturel. Les agriculteurs·trices ont arrêté de planter parce que les sangliers détruisaient tout.
Quasiment toute plantation de blé s’est arrêtée dans les zones où les sangliers étaient présents. Quand les agriculteurs·trices ont arrêté de cultiver la terre, l’occupant en a fait un prétexte pour confisquer ces terres. Ils utilisent des lois ottomanes qui disent que si une terre n’est pas exploitée pour une durée de 3 à 10 ans, elle devient propriété d’Etat.
Ainsi quand les agriculteurs·trices ont arrêté de cultiver leurs terres, les confiscations ont augmenté. Et il y a eu un grand déficit dans la production de nourriture. Le sanglier n’avait jamais été présent dans notre région. Mon grand-père a vécu jusqu’à 107 ans. Ma mère a 82 ans est elle est toujours là. Ni lui ni elle n’ont jamais parlé des sangliers, ni n’en avaient vu. Nous non plus. Dans ma famille, nous produisions du blé. Mais depuis trente ans, nous n’avons produit aucun grain de blé.
Certain·es disent à propos de la prolifération du sanglier qu’il existait sans doute déjà chez nous. S’il y en avait, alors c’était peut-être vers la frontière avec le Liban dans le Nord, mais pas ailleurs. Des gens ont filmé des camions de l’armée israélienne qui venaient et lâchaient des sangliers. Et plus particulièrement après la construction du mur, après 2000.
Aujourd’hui, les deux principaux problèmes qui menacent le secteur agricole, ce sont les colons des « jeunesse des collines » et le sanglier.
Lire aussi sur Terrestres : Héloïse Prévost, « Résister au Brésil : pas d’agroécologie sans féminisme », décembre 2023.
Il y a aussi une histoire très curieuse avec les ânes : il semble que les Israéliens sont tout d’un coup très intéressés par ces ânes pour lesquels ils sont prêts à payer un prix très fort ?
Saad – Nous avons commencé à observer cela depuis deux ans. Nous voyons que des Israéliens achètent des ânes à des prix élevés, quel que soit l’état de l’âne, malade ou pas. Le nombre d’ânes dans les villages a beaucoup diminué, les paysan·nes n’ont plus d’ânes. Avant, on pouvait aller dans des villages où chaque maison avait son âne, parce que les paysan·nes l’utilisaient pour le travail, pour arriver à leurs terres qui sont montagneuses. Il n’y avait pas de routes pour y arriver. Aujourd’hui on peut aller dans un village avec 3000 habitant·es, et ne trouver que dix maisons où il y a un âne. Le prix des ânes a augmenté. L’âne qui coûtait environ 50 euros, vaut aujourd’hui 250, 300, ou même 500 euros.
Encore bien plus grave pour vous est le fait que les colons, qui étaient déjà bien armés, ont récemment reçu encore beaucoup plus d’armes. Vous avez de grandes inquiétudes sur ce que cela pourra amener par la suite…
Saad – Oui. Ces dix derniers mois, les colons en Cisjordanie ont été armés. Il y a aujourd’hui environ 850.000 colons, dont 180.000 portent officiellement une arme, c’est-à-dire environ le quart d’entre eux. Et ces derniers mois, ils ont fêté la distribution d’armes. On voit de nombreuses vidéos des entraînements qu’ils reçoivent de la part de spécialistes. Nous pensons que c’est une préparation d’attaques sur les villages et villes palestiniennes, comme en 1948.
Pour conclure, comment voyez-vous la question de solidarité et de soutien de personnes en Europe ?
Lina – En premier lieu, chaque personne se doit de se tenir informée de ce qu’il se passe dans notre région. Nous considérons aussi que chacun·e porte la responsabilité de faire pression sur son gouvernement, d’une manière ou d’une autre, pour que s’arrête la collaboration avec l’occupant.
Nous savons que les gouvernements en Europe et en Amérique soutiennent [l’État israélien] en fournissant des armes, ou de l’alimentation, d’autres du pétrole. Il y a aussi ceux qui restent neutre. Nous les considérons comme complices, ceux qui ne disent rien du génocide en cours en Palestine. Donc sachez la vérité, diffusez-la, et faites pression sur vos gouvernements pour qu’ils fassent quelque chose et que cela cesse.
Saad – Je veux ajouter que nous dans la région, Palestinien·nes et Libanais·es, sommes actuellement en première ligne du front pour nous défendre, pour faire face à une agression coloniale. Les effets négatifs de cette agression se répercutent également sur les peuples des pays occidentaux. Au lieu de soutenir militairement et financièrement cette entité colonisatrice et raciste, les gouvernements occidentaux devraient s’assurer que cet argent soit consacré au bien-être de leur propre population. La situation serait certainement différente.
Qui parmi la population française sait combien d’argent est dépensée pour cette entité ? Sous forme d’armes ou de soutien financier ou en alimentation ? Personne. Nous demandons à savoir qu’est-ce qui est offert en soutien à cette entité. Et ce soutien, le peuple français devrait en bénéficier plutôt qu’il n’aille là-bas.
Comment voyez-vous la question de la possibilité ou non d’une solidarité de citoyen·nes en Europe qui iraient en Palestine, par exemple, pour la récolte des olives ? Il y a peut-être certaines zones qui sont trop dangereuses et d’autres où ce serait possible, et des avis différents sur cette question parmi les organisations palestiniennes.
Saad – Je crois que l’occupant a pour objectif que les Occidentaux ne viennent pas en Palestine, qu’ils et elles ne voient pas la réalité de leurs propres yeux. C’est pour cette raison qu’en 2003, il a tué la juive américaine, Rachel Corry, à Gaza, et en 2002, il a tué [Raffaele Ciriello] un journaliste italien à Ramallah. Cette année enfin, il a tué l’américano-turque Issa Nour à Naplouse.
L’objectif en tuant des Occidentaux c’est de leur faire peur et de les empêcher de venir en Palestine. La question est : est-ce que les gens doivent se résigner à cette exigence de l’occupant, ou bien venir ? C’est une cause qui concerne l’humanité tout entière, tout le monde doit s’impliquer.
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Image d’ouverture : un olivier en feu à Ni’lin, Palestine, en 2016. Wikimedia commons.
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