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Le 25 novembre dernier, après des mois de résistances, de batailles juridiques, de répression violente, un vent d’espoir, aussi fragile qu’inattendu, a soufflé sur les blessures, après tant de dénis de justice successifs.
Tout ce qu’avançait depuis des mois le pôle juridique de la lutte et les nombreux activistes sur le terrain est venu de la voix de la rapporteure publique du tribunal administratif de Toulouse. Ce jour-là, la magistrate a osé simplement dire le droit, de manière implacable, et demander l’arrêt des travaux. La raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM), qui permet l’autorisation environnementale pour démarrer les travaux et des dérogations en cas de destruction d’espèces protégées n’est, selon elle, ni démontrée, ni convaincante. Dans 95 % des cas, le tribunal suit les conclusions préconisées par les rapporteur·es.
La note opportune
Pas ici ! Ce lundi 9 décembre, nous découvrons que l’État en a décidé ainsi. Jusqu’à ce jour, l’avancée des travaux était le seul argument ou presque des tenants de l’autoroute — mis à part les chantages tragicomiques au désenclavement de la firme Pierre Fabre et de la Chambre d’industrie du Tarn, repris comme un écho par le département et la Région Occitanie. Or, cet argument n’est pas juridiquement recevable pour démontrer le bien-fondé de la RIIPM. L’État est donc venu in extremis au secours d’une infrastructure dont la reconnaissance de l’absurdité était sur le point de faire jurisprudence.
Comme il était juridiquement possible de le faire, il a produit une note visant à porter des éléments dits « nouveaux » entre l’audience du Tribunal et le délibéré. Qu’y trouve-t-on ? Pas une réponse aux nombreuses questions posées par la magistrate dans son rapport — ce serait donner du crédit à cette procédure exaspérante à leurs yeux — mais une annonce claironnante comme une publicité un jour de soldes : l’État s’engage à baisser le tarif du péage de 33 %. Cette baisse avait déjà été suggérée par la région, qui redoute que le prix prohibitif prévu par Atosca, connu depuis le début du projet, fasse tache dans le tableau des valeurs « républicaines et socialistes » qu’elle prétend incarner.
L’État ? Quel État ?
Mais qui est l’État dans cette affaire ? Autrement dit, qui promet et s’engage ? Un gouvernement démissionnaire ? Un ministre démissionnaire ? Des collectivités locales exsangues ? Une administration en particulier ? Non, c’est l’État ! Comment seront financées ces centaines de millions versés à Atosca ? Par l’État ! Un État anonyme et sans tête, résumé à sa force destructrice, à sa capacité de faire obstruction à la justice pour mieux écraser toute contestation.
Avec cette note opportune, l’État a fourni une porte de sortie inespérée au tribunal administratif qui a reporté la décision pour instruire le même dossier. En toute logique, les magistrat·es n’auraient pas pu donner tort aux arguments juridiques soulevés par la rapporteure et par les requérants qui s’opposent au chantier de l’A69. Sinon pourquoi ne pas avoir rendu dès aujourd’hui une décision favorable aux défenseurs de l’autoroute ? Pourquoi différer un délibéré si celui-ci avait pu donner la carte blanche du droit aux bulldozers ?
Le scandale, c’est que cet « élément nouveau » sorti du chapeau de l’État, n’a rien à voir avec l’objet du recours sur le fond, la RIIPM. Le prix de l’autoroute n’a d’ailleurs pas été évoqué par la rapporteure. C’est hors sujet ! Et la Préfecture le sait bien, pour l’avoir elle-même écrit en mars 2023, dans l’autorisation environnementale accordée à Atosca. Même si l’A69 devait être gratuite, la raison impérative d’intérêt public majeur de cette autoroute devrait être démontrée pour obtenir l’autorisation environnementale. Pour acheter cette raison avec quelques centaines de millions d’euros, comme on se paye une indulgence, il fallait un coup de force à même de faire plier la justice, jusque dans les interstices où elle pourrait encore être réfractaire à la politique du fait accompli.
Une non-décision très politique
Ôtons à cette affaire toute aura juridique : le tribunal administratif, comme dans une réunion de chantier, a simplement décidé d’autoriser la poursuite des travaux, sans juger sur le fond et sans tenir compte des conclusions de la rapporteure. Et ceci certainement, si rien ne vient s’y opposer, pour de longs mois. D’abord parce que l’absence de décision et la réouverture de l’instruction ne permettent pas aux requérants de faire appel. Ensuite, parce que la modification du prix du péage n’est pas une mince affaire : elle suppose de rédiger un avenant au contrat de concession, qui doit être validé par l’Autorité de Régulation des Transports, qui se réunit normalement tous les six mois. Bref, voilà la note idéale pour permettre un report éternel et la mise au pas de la justice environnementale, déjà bien déshabillée par ailleurs.
La colère est immense. La détermination aussi. La bataille juridique pour l’arrêt du chantier n’est pas terminée, les actions de terrain non plus. La pluie a rejoint les rangs : l’autoroute, construite en partie en zone inondable, est sous l’eau et il n’y a plus d’arbres pour la retenir. Ce combat contre l’A69 est devenu emblématique du refus de ce non-monde imposé par la force, ce capitalisme que David Graeber appelait « kamikaze », prêt à détruire ses bases matérielles et même les institutions sur lesquelles il est fondé.
Depuis ce 25 novembre, nous avons toustes partagé ces moments d’espoir, conscient·es que cela dépassait la lutte contre l’A69. Alors, quoi qu’ils en disent, nous continuerons la résistance ensemble, car nos luttes se fécondent.
Photographie de couverture – DR – La voie est libre
Pour aller plus loin sans prendre la quatre-voies, retrouvez toutes nos publications sur l’autoroute A69 dans Terrestres.
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