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Résurgence
Dès mes premières rencontres avec ces militant·es que l’on surnomme les « écureuil·les » et qui luttent contre le projet autoroutier de l’A69, censé relier Castres à Toulouse, le titre de cette série, Résurgence, m’est apparu comme une évidence. J’étais fasciné de voir leur capacité à resurgir après chaque répression des forces de l’ordre. Ne pas se laisser abattre, croire en ses convictions, protéger les arbres et imaginer un monde où les humain·es seront plus en harmonie avec la terre qui les nourrit.
Entre novembre 2023 et avril 2024, je suis venu tous les mois à la ZAD de la Crem’Arbre, située sur le tracé de l’autoroute. Je passais en moyenne une semaine à vivre au rythme des habitant·es, de ma photographie et des forces de l’ordre. J’ai vu des personnes défendre cette forêt de la Crémade et tenter d’empêcher l’abattage illégal — parce que légalement autorisé seulement du 1er septembre au 31 octobre — de cette zone humide à fort enjeu environnemental.
Pourtant, celle-ci a été considérée par le concessionnaire Atosca comme présentant une faible valeur environnementale, sans justifications et contre l’avis des scientifiques, avec le soutien de celui qui est alors préfet du Tarn, Michel Vilbois. Un déclassement qui ouvrait la voie à l’abattage des arbres, sous la protection de la gendarmerie et avant la période de nidification qui débute au printemps. C’est ainsi que le 17 février 2024 a démarré le siège des forces de l’ordre qui ont fermé l’accès au bois et encerclé les militant·es.
Ce jour-là, je suis dans les arbres, avec dix-huit autres écureuil·les, en totale autonomie. J’y resterai trois jours. Quinze autres personnes descendront d’elles-mêmes ou de force, à la suite des interventions d’une équipe spéciale de la gendarmerie, la CNAMO (Cellule Nationale d’Appui à la Mobilité), dont la mission est de « faire cesser (…) les accrochages complexes de manifestants1 », mais dont les assauts ont causé des chutes graves parmi les militant·es2. Les trois dernier·es écureuil·les, Anna, Reva et Mira, sont resté·es au total trente-neuf jours dans les arbres, avec seulement un tout petit ravitaillement concédé par les forces de l’ordre.
Les écureuil·les auront perdu entre 5 et 10 kg par personne pendant le siège. La dernière semaine, iels se seront nourri·es des bourgeons du platane Majo. Leur descente a été permise par la présence de mésanges bleues en train de nidifier et par l’avis de l’Office Français de la Biodiversité (OFB), qui a enfin répondu aux appels des associations pour confirmer que ce bois présentait bien un fort enjeu environnemental et ne pouvait donc pas être coupé avant le premier septembre3. Tous ces efforts montrent bien les arrangements privés qui s’orchestrent au détriment de la nature.
Dès le 1er septembre 2024, les arbres que les écureuil·les avaient réussis à protéger avec tant de ténacité, sont abattus en une nuit par les machines d’Atosca.
C’est seulement avec l’expérience du terrain que j’ai pu vraiment réaliser, intégrer ce qui se passe dans ces luttes. J’avais beau lire, écouter sur ces sujets, je ne m’impliquais pas pour autant… Pendant ces jours et ces nuits à la Crem’Arbre, face aux injustices vécues, à la manipulation médiatique, aux forces de l’ordre qui m’ont empêché de faire mon métier, j’ai senti ma colère enfouie sortir de terre.
Cette colère, je souhaite désormais l’utiliser comme un nouvel outil d’authenticité et d’engagement envers moi-même, ma relation aux autres et la protection de la nature. J’apprends ainsi à sortir de ma zone de confort, en cherchant à saisir l’essence même de ce combat à travers les regards, les gestes des hommes et des femmes engagé·es, afin de transmettre l’émotion et la force qui les animent.
Car s’il y a bien une faculté que j’ai pu observer chez ces défenseur·euses de la nature, c’est celle de pouvoir renaître à chaque coup donné par le bras armé de l’État. Systématiquement, j’ai pu voir ressurgir, se soulever de la terre, cet élan de vie, cette résilience qui permet de ne pas baisser les bras en prenant soin des un·es des autres, en s’apportant l’amour nécessaire pour tenir et continuer de résister.
Alexis Pichot
Retrouvez d’autres images d’Alexis Pichot jusqu’au 24 décembre 2024 à la Little Big Galerie, 45 rue Lepic à Paris.
Retrouvez également tous les articles sur l’A69 publiés dans Terrestres.
Chapitre I – Appel
Chapitre II — Siège
Chapitre III — L’ordre des forces
Chapitre IV — Leur nuit et les nôtres
Février — Mars 2024, nuits de résistance
1er septembre 2024, abattage de la Crem’arbre
Pour aller plus loin, mais sans péage, retrouvez tous les articles sur l’A69 publiés dans Terrestres.
Notes
- https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/en-images/la-cnamo-une-unite-specialisee-dans-le-degagement-d-obstacles-complexes[↩]
- https://reporterre.net/Enquete-La-Cnamo-une-unite-specialisee-menace-la-vie-des-militants-anti-A69-Vertebres[↩]
- https://reporterre.net/A69-L-abattage-des-arbres-suspendu-les-opposants-peuvent-redescendre[↩]