Temps de lecture : 25 minutes

C’est simple : sans votre soutien, Terrestres ne pourrait pas exister et vous ne pourriez pas lire cet article.

Aujourd'hui, nous avons besoin de 500 donateur·ices régulier·es pour pérenniser notre modèle économique. Par un don mensuel ou ponctuel, même pour quelques euros, vous nous permettez de poursuivre notre travail en toute indépendance.

Merci ❤️ !


Cet article est la version éditée d’un essai initialement publié en espagnol dans Jacobin Latin America.

Traduit de l’anglais par Emilie Letouzey.


Depuis quelques années, le débat écosocialiste est coincé en orbite autour de deux perspectives opposées : la décroissance et l’éco-modernisme de gauche. La première, représentée par Jason Hickel, Giorgos Kallis, Stefania Barca et d’autres, affirme que le paradigme basé sur la croissance – c’est-à-dire l’infinie production matérielle et énergétique du capital, l’utilisation du produit intérieur brut (PIB) comme indice de mesure de la santé d’une société, et l’idéologie du progrès déterminée en fonction des priorités du capital – est un obstacle à un avenir post-capitaliste.

Pour découpler notre reproduction collective d’avec le capital, les versions radicales de la décroissance ont appelé à une réduction des flux matériels et énergétiques dans le centre impérial (imperial core), à des réparations écologiques et climatiques, à des transferts de technologie pour soutenir une transition verte mondiale, à une convergence globale en matière de développement et à une réduction de la consommation individuelle pour les gros consommateurs. Ces aspects sont combinés à un appel à l’expansion des industries et des énergies vertes, à la propriété commune des moyens de production, à la réduction de la semaine de travail et à la planification démocratique.

La décroissance appelle à une réduction des flux matériels et énergétiques dans le centre impérial, à des réparations écologiques et climatiques, à des transferts de technologie, à une convergence globale en matière de développement et à une réduction de la consommation individuelle pour les gros consommateurs.

Cette vision de la décroissance exige une transformation révolutionnaire de nos manières de vivre. Plutôt que de faire passer la satisfaction des besoins humains et non-humains à travers la recherche du profit, la décroissance met l’accent sur la nécessité d’une production planifiée démocratiquement, afin de pourvoir directement à ce dont toute personne et toute chose a besoin pour survivre et prospérer. Tout cela n’est pas seulement souhaitable, affirment les partisan.es de la décroissance, c’est nécessaire pour assurer une niche écologique sûre à la vie humaine et non-humaine. Comme le formule Kōhei Saitō dans son livre Slow Down : How Degrowth Communism Can Save the Earth, ce sera décroissance ou barbarie.

À NE PAS RATER !
La newsletter des Terrestres

Inscrivez-vous pour recevoir, deux fois par mois, nos dernières publications et des articles choisis dans nos archives, en écho à l'actualité.

Adresse e-mail non valide
En validant ce formulaire, j'accepte de recevoir des informations sur la revue Terrestres sous la forme d'une infolettre éditoriale bimensuelle et de quelques messages par an sur l'actualité de la revue. Je pourrai me désinscrire facilement et à tout moment en cliquant sur le lien de désabonnement présent en bas de chaque email reçu, conformément à la RGPD.

D’un point de vue critique, l’éco-modernisme de gauche est également la ligne éditoriale adoptée par le magazine Jacobin aux États-Unis, qui a utilisé son large lectorat pour amplifier ce qui est une position de plus en plus marginale à gauche. Il est habituellement représenté par Matthew Huber, Leigh Phillips et les adeptes d’un New Deal vert (green new deal) fondé sur la croissance tels que Robert Pollin. Pour les éco-modernistes de gauche – et il faut préciser « de gauche » car il y a aussi des éco-modernistes réactionnaires (et on les appelle des capitalistes) – la décroissance est inutile et politiquement toxique.

Centrale nucléaire de Grohnde, Allemagne. Crédits : Heinz-Josef Lücking

Elle est inutile parce que les progrès technologiques dans les domaines de l’hydrogène, de la capture et du stockage du carbone, de l’énergie nucléaire et des systèmes d’énergies renouvelables signifient qu’il est possible de généraliser un mode de vie très consommateur à l’ensemble de la population, à condition que le capitalisme soit aboli et que les travailleurs et travailleuses prennent le contrôle des moyens de production. La décroissance est également un poison politique car, comme l’écrit Cale Brooks dans Damage Magazine, elle constitue une « politique du moins » qui ne saurait trouver le soutien de travailleurs et travailleuses ayant déjà du mal à joindre les deux bouts.

Pour les éco-modernistes de gauche, il est impossible de résoudre la crise climatique dans le capitalisme, non pas à cause de la « croissance », mais parce les décisions d’investissement y sont dictées par la loi de la valeur. Si une chose n’est pas rentable, elle n’est pas poursuivie. En revanche, selon leur interprétation du socialisme, toutes sortes de technologies et de projets écologiques qui ne sont pas envisageables à l’heure actuelle deviendraient possibles.

Par exemple, les coûts élevés du capital fixe de l’énergie nucléaire dissuadent les capitaux privés d’investir. Mais dans un État ouvrier libéré de la motivation du profit, on pourrait investir le temps et le travail nécessaires pour faire de l’énergie nucléaire de masse une réalité, et ainsi réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Pour les éco-modernistes de gauche, il est impossible de résoudre la crise climatique dans le capitalisme, non pas à cause de la « croissance », mais parce les décisions d’investissement y sont dictées par la loi de la valeur.

Le débat entre la décroissance et l’éco-modernisme de gauche a été instructif à plusieurs titres. Il soulève des questions importantes sur le type de technologies que nous aimerions voir dans un avenir socialiste. Devrions-nous avoir de l’énergie nucléaire, ou pas ? Pour les partisan.es de la décroissance, le nucléaire présuppose une division du travail particulière qui pourrait ne pas être souhaitable dans un avenir post-capitaliste ; il exige de grandes quantités d’eau pour le refroidissement, ce qui peut créer des tensions autour des réserves limitées sur une planète qui se réchauffe ; il produit des déchets nucléaires à longue durée de vie. Cependant, pour les écomodernistes de gauche, le fait qu’il ne contribue pas au réchauffement de la planète signifie qu’il s’agit d’une source d’énergie « propre », qui devrait être envisagée dans un mix énergétique plus large.

Les échanges entre les éco-modernistes de gauche et les partisan.es de la décroissance ont également suscité des questions à propos des groupes qui pourraient faire l’objet des luttes révolutionnaires à venir. Comme le disent Huber et Phillips, il est peu probable qu’une « politique du moins » trouve beaucoup d’adeptes parmi les classes ouvrières du centre impérial, alors même que les niveaux de vie sont partout en déclin. La réponse du côté de la décroissance est que celle-ci n’est pas une « politique du moins » en tant que telle, mais plutôt une forme de vie qualitativement différente, une politique du plus – de richesse et de diversité – dont de nombreuses propositions bénéficient d’un large soutien scientifique et populaire.

Les décroissant.es considèrent que les modes de vie à forte consommation des travailleurs et travailleuses du centre sont impossibles à étendre à la classe ouvrière mondiale dans les limites socio-écologiques et sont basés – au moins en partie – sur l’exploitation passée et présente des terres, des mers et de la main-d’œuvre du Sud global. Les éco-modernistes de gauche répondent en niant l’importance des pertes de valeur de la périphérie vers le centre du système capitaliste mondial et en affirmant que des limites écologiques significatives nécessitent des réductions des flux de matière et d’énergie.

Un débat épuisé sur une Terre épuisée

Le débat entre décroissant.es et éco-modernistes de gauche a clarifié les enjeux politiques de la lutte pour une transition verte sur une Terre épuisée. Il est évident que les différences entre la décroissance et l’éco-modernisme de gauche sont réelles, substantielles et irréconciliables. Les deux perspectives présentent des visions post-capitalistes distinctes, basées sur des analyses opposées du sujet politique à même d’assurer une transition post-capitaliste, de la manière dont celle-ci pourrait être assurée, et du type de technologies sur lesquelles elle pourrait s’appuyer. Malgré tout cela, le débat a progressivement perdu de son intérêt.

Les différences entre la décroissance et l’éco-modernisme de gauche sont réelles, substantielles et irréconciliables.

Une partie du problème réside dans le fait que les éco-modernistes de gauche ont durablement mal compris la décroissance en tant que perspective politique homogène et ont ainsi manqué certaines des complexités et des faiblesses de la décroissance. Les partisan.es de la décroissance s’unissent autour de l’idée que le « croissantisme » ou le « paradigme basé sur la croissance » est un obstacle à l’épanouissement humain et non-humain. Mais en dehors de ça, il existe des désaccords majeurs sur la manière de parvenir à un système social plus durable et sur ce à quoi ce système ressemblerait.

Les propositions vont de l’anarchisme décroissant à la décroissance écosocialiste, en passant par des programmes de politiques décroissantes et même des business models décroissants. Traiter ces horizons politiques très différents comme un seul, c’est manquer quelque chose d’important sur l’étendue de l’influence et de l’attrait de la décroissance à travers le spectre politique, mais aussi sur son manque de vision politique innée. Pour le dire simplement, la décroissance n’est pas une politique : c’est un terme générique désignant une série de propositions socio-écologiques fusionnées avec une diversité de perspectives politiques, aboutissant à des idées très différentes sur ce que signifie la décroissance.

Daphnis et Chloé se souhaitant bonne nuit. Crédit : Leon Bakst.

L’une des fusions les plus prometteuses est la combinaison de la décroissance avec l’écosocialisme, explorée dans les travaux de Michael Löwy, Kōhei Saitō, Gareth Dale, Stefania Barca, John Bellamy Foster et d’autres. Alors que beaucoup de partisan.es non marxistes de la décroissance limitent leur critique du capitalisme à une simple critique de la « croissance » (une arme usée qui confond les nombreuses significations du terme croissance), la décroissance marxiste s’appuie sur les instruments critiques beaucoup plus pointus du matérialisme historique : l’exploitation, la plus-value, le fétichisme de la marchandise, la dépendance, la reproduction sociale…

La décroissance n’est pas une politique : c’est un terme générique désignant une série de propositions socio-écologiques fusionnées avec une diversité de perspectives politiques, aboutissant à des idées très différentes sur ce que signifie la décroissance.

Alors que beaucoup de partisan.es non marxistes de la décroissance ont négligé l’importance de la lutte des classes et des lieux de la production pour la transformation socio-écologique, les partisan.es marxistes de la décroissance soulignent la nécessité de la lutte des classes et des transformations dans ce qui est produit, de quelle manière et par qui. En outre, les travaux de Jason Hickel, Mariano Féliz et d’autres ont rapproché la décroissance de la pensée marxiste anti-impérialiste et tiers-mondiste, permettant d’ouvrir les mobilisations dans le centre à d’autres répertoires de lutte et d’autres pistes d’actions, ainsi qu’à des actes de solidarité avec les luttes du Sud.

Bien que des désaccords entre les marxistes décroissants persistent inévitablement et que leurs partisans aient tendance à exagérer la nouveauté des contributions de la décroissance à la pensée socialiste internationale, la fusion de la décroissance et du marxisme est sans doute l’un des développements intellectuels les plus passionnants de la gauche du centre impérial.

Oubliez l’éco-modernisme !

Pourtant, selon l’éco-modernisme de gauche, tout engagement en faveur de la décroissance marque une rupture radicale avec le marxisme et les intérêts de la classe ouvrière. Pour Huber, si la décroissance a gagné en popularité, c’est parmi la « classe des managers professionnels » dont le « mépris pour les masses laborieuses (et consommatrices) » et les troubles psychologiques liés à leur « complicité dans la société de consommation » trouvent à s’exprimer dans la décroissance. Pour les éco-modernistes de gauche, il faut revenir à une politique de classe de type « marxiste classique ». « Il n’est pas nécessaire d’ajouter un préfixe ‘éco’ au marxisme pour expliquer notre situation difficile », affirment Huber et Phillips, car « l’explication du marxisme classique et la prescription concomitante d’une correction sont déjà suffisantes ».

Cet argument serait convaincant si l’éco-modernisme de gauche proposait une politique marxiste anti-impérialiste et écologique. Mais ce n’est pas le cas. Dans leur récent commentaire du travail de Kōhei Saitō, Huber et Phillips présentent un résumé limpide de la politique éco-moderniste de gauche. Ce faisant, ils établissent que cette perspective constitue une déviation sociale chauvine du marxisme, une tendance réactionnaire inquiétante soutenue par des organisations ostensiblement de gauche, qui pourrait avoir une influence néfaste sur l’activité des syndicats et des mouvements sociaux du centre.

L’article de Huber et Phillips révèle le caractère politiquement problématique de l’éco-modernisme de gauche dans au moins trois domaines : son rejet de l’existence de transferts de valeur et d’échanges écologiques inégaux, son interprétation rabaissée de l’analyse du capital par Marx, et son affirmation selon laquelle la reconnaissance des limites socio-écologiques par les écologistes de gauche est une forme de néo-malthusianisme. Ces engagements politiques et théoriques convergent pour soutenir une vision étroitement nationaliste et écologiquement analphabète de la transition socialiste qui, intentionnellement ou non, trouve un terrain d’entente avec la pensée « nationale conservatrice », en plein essor aux États-Unis et ailleurs.

Transferts de valeurs

L’un des traits qui caractérisent l’éco-modernisme de gauche est de nier l’existence de transferts de valeur et celle de l’échange écologique inégal entre la périphérie et le centre du système mondial. Dans leur commentaire critique du livre de Saitō, Huber et Phillips citent l’article de Charles Post ‘A Critique of the Theory of the ‘Labour Aristocracy’ (« Une critique de la théorie de l’‘aristocratie ouvrière’ », 2011) pour affirmer que l’idée des transferts de valeur a été « discréditée depuis longtemps ». Pourtant, l’article de Post n’est nullement une critique décisive des transferts de valeur ou de l’échange écologique inégal, et ses conclusions sont pour le moins discutables. Voilà plus de dix ans que Zak Cope a réfuté les preuves empiriques et conceptuelles de Post, et de nombreux travaux ont été publiés depuis lors qui montrent l’importance à la fois passée et présente des transferts de valeur et de léchange écologique inégal, alors même que le niveau de vie matériel dans le centre impérial continue de décliner.

L’éco-modernisme de gauche soutient une vision étroitement nationaliste et écologiquement analphabète de la transition socialiste qui trouve un terrain d’entente avec la pensée « nationale conservatrice », en plein essor aux États-Unis.

Il est également révélateur que dans leur réfutation des transferts de valeur, ni Huber et Phillips, ni Post, ne tiennent compte de la pensée marxiste anti-impérialiste et tiers-mondiste, laquelle – bien que loin d’être homogène sur cette question – a montré de manière convaincante l’importance des transferts de valeur et de l’échange écologique inégal tant dans l’histoire qu’aujourd’hui. Parmi les références ignorées figurent notamment Amiya Bagchi, Utsa et Prabhat Patnaik, Ali Kadri, Anuouar Abdel-Malek, Walter Rodney, Samir Amin, Ruy Marini, Claudio Katz et Intan Suwandi.

From Slavery Through Reconstruction, crédits : Aaron Douglas.

Les éco-modernistes de gauche ne peuvent faire autrement que de nier l’existence des transferts de valeur et des échanges écologiques inégaux. De leur point de vue, accepter que les travailleurs et travailleuses du centre puissent être les bénéficiaires des produits de la division mondiale du travail opérée par le capitalisme – que ce soit par le biais des salaires, des biens de consommation, des transferts de matières premières, des infrastructures, des soins de santé… – revient à brouiller les pistes quant aux intérêts de la classe ouvrière et à son implication dans les systèmes d’accumulation impérialistes et néocoloniaux.

Dans l’imaginaire des éco-moderniste de gauche, « le travailleur » ne peut pas conjointement faire l’objet d’une exploitation au « Nord » et participer à une création de valeur qui résulte de l’exploitation, de la domination, voire de la mort, des travailleurs et travailleuses du reste du centre et de la périphérie.

Dans l’imaginaire des éco-moderniste de gauche, « le travailleur » doit être un totem pur, abstrait et exploité, dépositaire de leurs espoirs révolutionnaires. Dans cet imaginaire – car c’est un imaginaire – la classe ouvrière ne saurait être une classe globale, complexe, vivante et différenciée de personnes qui existent réellement. Il est inconcevable que, tout en faisant l’objet d’une exploitation du fait de leur intégration différenciée dans les circuits d’accumulation du capital, les travailleurs et travailleuses du centre impérial puissent également participer à une création de valeur qui résulte de l’exploitation, de la domination, voire de la mort, des travailleurs et travailleuses du reste du centre et de la périphérie. En d’autres termes, la classe ouvrière est intérieurement différenciée en fonction de critères de genre, de couleur de peau et de nationalité, et les intérêts immédiats des divers secteurs de la classe ouvrière mondiale peuvent s’opposer – et s’opposent effectivement.

Comprendre cela est une condition essentielle à la solidarité internationale et à la formation d’une politique écologique digne de ce nom. Lorsque les travailleurs et travailleuses du centre impérial consomment des denrées alimentaires produites au prix d’une déforestation généralisée qui provoque ensuite des sécheresses, par exemple, ou lorsque ces travailleurs et travailleuses sont employé.es à fabriquer des armes utilisées ensuite pour commettre un génocide contre le peuple palestinien, la solidarité exige un certain degré de « sacrifice » matériel de leur part. Comme l’a dit Lénine :

L’internationalisme des oppresseurs ou des « grandes » nations, comme on les appelle (bien qu’elles ne soient grandes que par leur violence, grandes seulement en tant que tyrans), doit consister non seulement en une observation de l’égalité formelle des nations, mais également dans une inégalité de la nation oppresseur, de la grande nation, laquelle doit compenser l’inégalité qui prévaut dans la réalité. Quiconque ne comprend pas cela n’a pas saisi la véritable attitude du prolétariat face à la question nationale.

Compenser cette inégalité par des actes de solidarité internationaliste de la classe ouvrière, aligner les luttes du centre sur celles des travailleurs et travailleuses de la périphérie, tout cela crée les conditions subjectives et matérielles d’une révolution sociale dans laquelle travailleurs et travailleuses du monde entier peuvent trouver un intérêt commun à démanteler le capital. Ainsi que la affirmé Marx, c’est là le seul type de révolution à même de produire des « individus historiques mondiaux, empiriquement universels », là où il n’y a sinon que des « individus locaux ».

En niant les transferts de valeur et en ne théorisant pas suffisamment la manière dont l’impérialisme se reproduit à travers la vie quotidienne des travailleurs et travailleuses du centre, l’éco-modernisme refuse ce terrain politique difficile. Huber et Phillips suggèrent qu’il est « calomnieux de dire que les travailleurs des pays développés sont des impérialistes dont la vie quotidienne est un moteur fondamental de la ‘rupture écologique’ ». C’est déformer complètement le propos des marxistes de la décroissance. Aucun.e partisan.e de la synthèse entre marxisme et décroissance ne soutient que la vie des travailleurs et travailleuses du centre impérial est un moteur fondamental de l’aggravation de nos crises écologiques. Pour autant, affirmer que les travailleurs et travailleuses du centre impérial peuvent y contribuer par leur travail ou leur consommation devrait être incontestable. Nier cela revient à s’aveugler sur la réalité du capitalisme historique.

La thèse de l’entrave

La conception que l’éco-modernisme de gauche se fait d’une transition socialiste est basée sur une lecture vulgarisée de ce que G.A. Cohen appelle « la thèse de l’entrave » de Marx. C’est l’idée que le capital établit la base matérielle et sociale du socialisme parce qu’à un certain moment du développement du capitalisme, ses rapports de production deviennent une entrave aux forces productives, c’est-à-dire que la propriété privée et l’appropriation privée des richesses produites socialement deviennent un obstacle à l’épanouissement humain. Pour assurer le développement de la production et l’émancipation humaine, les rapports de production doivent donc être « éclatés (burst asunder) », comme l’a dit Marx, par les producteurs associés, laissant ainsi la place à une société socialiste non fondée sur les classes. C’est cette thèse de l’entrave qui explique le soutien des éco-modernistes de gauche à l’énergie nucléaire, à l’agriculture conventionnelle et à l’idée d’un transport aérien durable généralisé.

De manière révélatrice, Huber et Phillips affirment que la thèse de l’entrave est « au cœur de la théorie du matérialisme historique ». Pour faire valoir leur point de vue, les coauteurs se tournent vers la réponse mondiale à la COVID-19, dans laquelle la production et la distribution d’équipements de protection individuelle et de vaccins destinés à sauver des vies ont effectivement été entravées par la recherche du profit. Huber et Phillips prennent cet exemple pour affirmer l’applicabilité universelle de la thèse des entraves. À partir de là, ils affirment que le rejet apparent de la thèse de l’entrave par Saitō fait partie de sa stratégie de « sélection d’éléments du canon marxiste » afin de soutenir des conclusions politiques préconçues.

Huber et Phillips devraient appliquer à eux-mêmes leur critique d’une sélection opportuniste de citations. Marx a effectivement écrit sur la façon dont le capital peut entraver la production et le développement humain, mais lui et bien d’autres dans la tradition marxiste ont également observé à maintes reprises comment le capital ruine activement les conditions d’un avenir post-capitaliste et éco-socialiste, à travers ce qu’Ali Kadri a récemment appelé le gâchis (waste) des travailleurs et des travailleuses, du capital fixe et des écologies.

La Grande Famine, illustration du Illustrated London News par Smyth ,1847.

Dans un discours prononcé devant la German Workers’ Educational Society de Londres en 1867, Marx a évoqué les conditions de la lutte en Irlande, associant explicitement la lutte de l’Irlande pour la décolonisation avec l’écologie. Selon lui, la domination coloniale britannique avait alors désindustrialisé l’Irlande, la transformant en une économie agricole orientée vers l’exportation et organisée autour des besoins de ses colonisateurs. En résulta une misère profonde pour la paysannerie et les travailleurs et travailleuses irlandais.es, qui culmina avec la Grande famine de la pomme de terre et ce que Marx a appelé « l’épuisement des sols » – lesquels étaient de moins en moins capables de supporter des cultures. Ces conclusions ont été reprises par de multiples penseurs et penseuses marxistes anticolonialistes, dont Walter Rodney, José Mariátegui, Amílcar Cabral et Thomas Sankara.

Dans le premier volume du Capital, publié la même année où fut prononcé le discours sur la question irlandaise à Londres, Marx généralise ces observations. Ce qu’István Mészáros appelle le « contrôle métabolique » du capital est à nouveau considéré comme un appauvrissement de ce que Marx appelle cette fois « la source originelle de toute richesse – le sol et le travailleur ». En ce qui concerne la classe ouvrière, Marx écrit

« Dans l’agriculture comme dans l’industrie manufacturière, la transformation de la production sous l’emprise du capital signifie, dans le même temps, le martyre du producteur, l’instrument de travail devient le moyen d’asservir, d’exploiter et d’appauvrir le travailleur (…). Dans l’agriculture moderne, comme dans les industries urbaines, l’augmentation de la productivité et de la quantité de travail mis en mouvement est achetée au prix de la mise au rebut et de la consomption par maladie de la force de travail elle-même ».

En ce qui concerne le sol, Marx remarque que

« tout progrès dans l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art de dépouiller le travailleur, mais de dépouiller le sol ; tout progrès dans l’augmentation de la fertilité du sol pour un temps, est un progrès dans la ruine des sources durables de cette fertilité (…). La production capitaliste ne développe donc la technologie et la combinaison de divers processus en un tout social qu’en sapant les sources originelles de toute richesse – le sol et le travailleur1. »

Le capitalisme, en d’autres termes, conduit à la démolition inégalement répartie des travailleurs, des travailleuses et de la nature non-humaine. Cela revient à réfuter l’interprétation unilatérale que font Huber et Phillips de la thèse de l’entrave. En dépouillant les travailleurs et travailleuses de leur vitalité, de leur liberté et de leur autodétermination, et en sapant les conditions écologiques de la production, la « rupture métabolique » entre l’homme et la nature introduite par le capitalisme sape les bases du communisme au lieu de les établir. Ce n’est pas que les forces et les rapports de production soient en contradiction – bien que cela puisse arriver – c’est surtout que la totalité des relations sociales capitalistes sont en contradiction avec ses bases sociales et écologiques, et les détruisent, les cannibalisent.

En dépouillant les travailleurs et travailleuses de leur vitalité, de leur liberté et de leur autodétermination, et en sapant les conditions écologiques de la production, la « rupture métabolique » entre l’homme et la nature introduite par le capitalisme sape les bases du communisme au lieu de les établir.

Dans son texte de 1920, La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), Lénine reprend l’idée de Marx :

Le capitalisme aurait pu être déclaré – à très juste titre – « historiquement obsolète » il y a plusieurs décennies, mais cela n’enlève rien à la nécessité d’une lutte très longue et persistante sur la base du capitalisme.

Samir Amin a reconfirmé plus tard la conclusion de Lénine dans son étude Obsolescent Capitalism, qui affirme que la nature du capital dans les colonies et les néo-colonies est fondamentalement désastreuse. Anouar Abdel-Malek fit de même dans son étude sur le rôle de la guerre dans l’accumulation globale, ainsi qu’István Mészáros dans ses écrits sur le gaspillage et la sous-utilisation du capital, ou Ali Kadri dans son étude sur l’impérialisme mondial.

Érosion des sols causée par une forte salinité de la nappe phréatique, Australie.Robert Kerton, CSIRO

Ces travaux font émerger clairement la violente dialectique de production et de destruction du capital. En lieu et place des récits éco-modernistes de gauche selon lesquels chaque avancée technologique constitue un pas vers le socialisme, nous voilà précipité.es dans une réalité incertaine et inconfortable : le capital développe au moins autant de « forces de destruction », ainsi que le formule Marx, que de forces de production. En fait, dans le monde d’aujourd’hui, détruit, ruiné et dévasté par la « rupture métabolique » entre l’homme et la nature, on peut dire que le capitalisme détruit et appauvrit bien plus qu’il ne produit ou n’émancipe.

En somme, le capital est une machine à tuer. Plus il dure, plus il tue, mutile et dépouille, plus il prive les classes ouvrières mondiales des conditions dont elles ont besoin pour créer un avenir post-capitaliste viable. Voilà le défi urgent qui se tient face à nous, mais il est enfoui sous des fantasmes techno-optimistes par une interprétation unilatérale de la thèse de l’entrave et par l’éco-modernisme de gauche.

Anti-écologisme

L’engagement de l’éco-modernisme de gauche en faveur de la thèse de l’entrave produit également une forme bien particulière d’analphabétisme écologique. L’idée de base de l’éco-modernisme est qu’une fois que la « rupture métabolique » entre l’homme et la nature cessera, toutes les frontières et limites écologiques pourront être surmontées par ingéniosité pure et simple. Comme Huber et Phillips l’expliquent à propos des émissions mondiales de gaz à effet de serre :

« Lorsque nous basculerons complètement vers des sources d’énergie propres telles que le nucléaire, l’éolien et le solaire, cette limite climatique à l’utilisation de l’énergie aura été transcendée. Les seules limites véritables et définitivement insurmontables auxquelles nous faisons face sont les lois de la physique et de la logique. »

Le premier problème avec cet argument est que Huber et Phillips ne fournissent aucune preuve pour l’étayer. On part simplement du principe que les niveaux de consommation d’énergie du centre impérial peuvent être généralisés au reste du monde sans qu’il soit nécessaire d’augmenter en conséquence ni l’extraction des ressources (lithium, uranium, silice, argent, bauxite, cuivre…), ni l’élimination des déchets dans divers puits écologiques et énergétiques pris dans des contraintes socio-écologiques. Dans un élan digne de Jeff Bezos et Elon Musk, Huber et Phillips font brièvement allusion à l’exploitation minière de l’espace et aux sources d’énergie provenant de l’espace, comme s’il s’agissait d’un sésame de sortie permettant d’échapper au problème de la limitation des ressources.

Peut-être que l’exploitation minière de l’espace est possible. Peut-être n’avons-nous pas à nous inquiéter de la perturbation des cycles nutritifs et de l’eutrophisation, ni de la façon dont les systèmes alimentaires conventionnels contribuent à la perte de biodiversité, ni des dangers socio-écologiques de la production d’énergie nucléaire. Cependant, comme l’affirme Ajay Singh Chaudhary, l’éco-modernisme de gauche doit fournir des preuves.

Or, jusqu’à présent, il n’a montré que foi aveugle et techno-optimisme. Malheureusement, comme l’écrit Chaudhary, lorsque Huber et Phillips fournissent des preuves en faveur de l’énergie nucléaire, de l’agriculture conventionnelle et de leurs autres technologies préférées, la littérature académique est choisie de manière sélective et les facteurs socio-écologiques qui compliquent la viabilité des technologies sont souvent négligés.

Tout cela serait déjà assez grave, mais Huber et Phillips vont plus loin encore en accusant quiconque prend au sérieux l’idée de limites ou de seuils socio-écologiques d’être néo-malthusien, ce même terme que l’on utilise pour décrire un eugéniste raciste comme Paul Ehrlich, le tristement célèbre auteur de La bombe démographique. Pour ce faire, ils poussent la définition du néo-malthusianisme au-delà du point de rupture.

Huber et Phillips ont raison de dire que de nombreuses limites soi-disant écologiques sont en fait des limites socialement créées et imposées par le mode de production dominant. Par exemple, l’idée raciste et coloniale selon laquelle nous devons réduire la population humaine pour éviter une catastrophe climatique naturalise le mode de production capitaliste. En vérité, c’est bien l’organisation de la nature humaine et non-humaine par le capital qui détruit la planète, et non le nombre de personnes actuellement en vie.

Cependant, comme Huber et Phillips le reconnaissent eux-mêmes à propos de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, il existe des limites biophysiques réelles qui doivent être respectées afin de maintenir une planète habitable pour la vie humaine et non-humaine telle que nous la connaissons.

Quand Huber et Phillips affirment que reconnaître l’existence de telles limites socio-écologiques est « une espèce de néo-malthusianisme », ils donnent à ce terme une signification entièrement nouvelle. Le terme néo-malthusien est généralement réservé à ceux qui ont remplacé les idées de Thomas Malthus sur l’établissement de limites à la taille de la population humaine par la croyance que la croissance économique et la technologie sont à même de conjurer les défis démographiques. Pour les néo-malthusiens, en d’autres termes, l’augmentation de la population humaine est toujours une menace, mais la crise peut être évitée grâce au progrès technologique et à l’augmentation des flux de production matériels. Or, le marxisme décroissant n’est pas populationniste et n’affirme pas non plus que les progrès technologiques sont le moyen de sortir de la crise écologique.

Ironiquement, le néo-malthusianisme proprement dit a bien plus à voir avec Huber et Phillips qu’avec la décroissance. Bien que ni Huber ni Phillips ne partagent les craintes du néo-malthusianisme quant à l’augmentation de la population, ils participent de la tendance néo-malthusienne à fétichiser une configuration très particulière fondée sur le techno-solutionnisme, en particulier l’agriculture conventionnelle et l’énergie nucléaire. Des « solutions » qui ne sont nullement alignées sur les intérêts de classe d’une grande partie des classes laborieuses du monde, et qui exigent en outre d’en minimiser les effets socio-écologiques dévastateurs.

L’éco-modernisme de gauche : une déviation sociale chauvine

Le manque d’engagement de l’éco-modernisme de gauche avec le marxisme du Tiers monde, sa négation des transferts de valeur et des échanges écologiques inégaux, sa vulgarisation de l’analyse du capital par Marx et son anti-écologisme convergent vers une théorisation étroitement nationaliste de la transition socialiste, laquelle s’approche dangereusement d’un programme de renouveau nationaliste plutôt que d’un socialisme international.

Dans son livre Climate Change as Class War (« Le changement climatique comme guerre de classes »), Huber affirme présenter une politique pour « la majorité », c’est-à-dire, selon lui, pour les classes ouvrières du monde entier. Dans une note de bas de page vers le début du livre, il précise toutefois que l’analyse et les propositions politiques du livre seront circonscrites aux frontières des États-Unis, dont la classe ouvrière nationale constitue une minorité de la classe ouvrière mondiale diversifiée et divisée, celle-ci étant le vrai sujet de l’analyse marxiste.

À la fin de leur article, Huber et Phillips, dont le point de vue est également limité au centre politique, plaident en faveur de la syndicalisation des travailleurs et travailleuses de l’industrie. Des emplois syndiqués de bonne qualité et bien rémunérés dans l’industrie verte sont, d’après eux, la voie vers le socialisme. Huber et Phillips ne parviennent pas à situer cette théorie étroitement économiste de la lutte des classes dans la vision plus large de Marx et du marxisme de la transformation sociale par la révolution sociale. Ils ne la situent pas non plus dans un projet internationaliste de solidarité anti-impérialiste, tel que celui que l’on a pu observer parmi les syndicats et les mouvements sociaux du centre impérial en réponse à la campagne génocidaire d’Israël en Palestine.

Pour cette raison, l’article de Phillips et Huber se termine effectivement par une proposition de renouveau national conscient des classes qui n’est pas du tout différente de certains types de pensée nationale conservatrice telle qu’elle se développe aux États-Unis et ailleurs. On constate ici un certain recouvrement avec des positions telles que celles du cofondateur conservateur du magazine Compact, Sohrab Ahmari, dont le dernier livre Tryanny Inc. appelle, comme l’a écrit Jodi Dean, à un renouveau du syndicalisme de la classe ouvrière – mais, contrairement à Huber et Phillips, il le fait pour sauver le capitalisme de lui-même2. Jodi Dean termine son article en demandant à la gauche de résister à la tentation de courtiser la droite conservatrice nationale dans le but d’amplifier sa portée et son impact. L’éco-modernisme de gauche de Huber et Phillips semble ignorer cet avertissement.

Huber et Phillips ont régulièrement affirmé que la décroissance est un projet de classe moyenne, mais les affiliations de classe de l’éco-modernisme de gauche ont rarement fait l’objet d’un examen sérieux. Michael Lieven affirme que le travail de Huber vise moins la lutte des classes qu’un compromis de classe entre une classe ouvrière américaine principalement blanche et un capital « libéral – et même pas libéral ». En effet, Huber et Phillips ont publié à plusieurs reprises dans des publications telles que Unherd et Compact, dont les lignes éditoriales combinent des appels à une classe ouvrière réduite à l’échelle nationale avec des commentaires socialement conservateurs, souvent anti-trans, racistes et sionistes.

La version éco-moderniste de gauche nie l’existence des transferts de valeur et des échanges écologiques inégaux, minimise les conséquences socio-écologiques de la poursuite ou de l’expansion des flux matériels et énergétiques, et prend pour sujet politique une classe ouvrière nationale, plutôt que la classe ouvrière mondiale.

Dans leurs contributions à ces publications, les deux auteurs accusent la gauche de rejeter la classe ouvrière en tant que sujet politique et de dispenser des leçons de morale sur la consommation de la classe ouvrière dans le centre impérial. Cette argumentation rencontre un écho favorable auprès des forces conservatrices nationales, qui espèrent construire un nouveau compromis de classe entre certaines sections de la classe ouvrière du centre impérial et ses classes capitalistes.

Lénine a dit un jour que les social-chauvins insistent « sur le ‘droit’ de l’une ou l’autre des ‘grandes’ nations de voler les colonies et d’opprimer les autres peuples ». C’est la conséquence d’une politique telle que la version éco-moderniste de gauche de la lutte des classes, qui nie l’existence des transferts de valeur et des échanges écologiques inégaux, qui minimise les conséquences socio-écologiques de la poursuite ou de l’expansion des flux matériels et énergétiques, et qui prend pour sujet politique une classe ouvrière nationale, plutôt que la classe ouvrière mondiale. C’est, tout simplement, une politique qui n’a pas sa place à gauche.

Stratégie éco-communiste

En 1995, face aux crises écologiques émergentes dans le monde, Mészáros a prévenu que désormais, « le défi auquel les socialistes seront confrontés est la nécessité de recoller les morceaux et de créer un ordre métabolique social viable à partir des ruines de l’ancien ». Près de 30 ans plus tard, ce défi est toujours d’actualité et les ruines s’accumulent. L’année dernière, les températures annuelles moyennes ont dépassé pour la première fois la barre des 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels ; la biodiversité sauvage a diminué de 69 % en 50 ans ; les températures océaniques sont littéralement hors normes ; les microplastiques font désormais partie intégrante de chaque nuage de pluie ; les produits chimiques éternels toxiques sont présents dans chaque nouveau-né ; l’espérance de vie commence à s’inverser dans le centre impérial ; les guerres impériales et les génocides sont menés avec une quasi-impunité ; l’extrême droite est en pleine résurgence ; la faim et la spoliation sont en hausse dans le monde.

Résultats du changement climatique à Arusha (Tanzanie), crédits : Bajcetic.

En d’autres termes, la « rupture métabolique » du capital sur les interactions socio-écologiques est en train de ruiner les travailleurs, les travailleuses et les écosystèmes. Il n’entrave pas seulement notre ingéniosité collective, mais tue les travailleurs et travailleuses du monde entier et les prive des conditions nécessaires à la construction d’un monde où les humains aussi bien que les non-humains peuvent s’épanouir.

Comment pouvons-nous soutenir et amplifier les projets et les luttes socialistes et anti-impérialistes existants dans la périphérie ? À quoi ressemble en pratique une transition verte pour le centre dès lors qu’elle n’exploite pas les terres, les mers et la main-d’œuvre de la périphérie ?

Sur une planète détruite et ruinée par le capital, la poursuite du débat avec l’éco-modernisme de gauche est une distraction. Ce qui est plus que jamais nécessaire, c’est une réflexion profonde sur la stratégie politique. Comment celles et ceux d’entre nous qui vivent dans le centre impérial pourraient tirer parti de leur position afin d’atteindre un avenir éco-communiste pour tous ? Comment pouvons-nous soutenir et amplifier les projets et les luttes socialistes et anti-impérialistes existants dans la périphérie ? À quoi ressemble en pratique une transition verte pour le centre dès lors qu’elle n’exploite pas les terres, les mers et la main-d’œuvre de la périphérie ? Et que signifie lutter pour un avenir meilleur dans un monde blessé ? Voilà les questions urgentes de notre époque. Ce sont des questions auxquelles l’éco-modernisme de gauche n’a pas de réponse parce qu’il refuse d’admettre les fondements du problème. Pour avancer ensemble, nous devons donc oublier l’éco-modernisme.


Illustration de couverture — La Prédication de Saint Jean-Baptiste, Pieter Brueghel l’Ancien, 1566.

SOUTENIR TERRESTRES

Nous vivons actuellement des bouleversements écologiques inouïs. La revue Terrestres a l’ambition de penser ces métamorphoses.

Soutenez Terrestres pour :

  • assurer l’indépendance de la revue et de ses regards critiques
  • contribuer à la création et la diffusion d’articles de fond qui nourrissent les débats contemporains
  • permettre le financement des deux salaires qui co-animent la revue, aux côtés d’un collectif bénévole
  • pérenniser une jeune structure qui rencontre chaque mois un public grandissant

Des dizaines de milliers de personnes lisent chaque mois notre revue singulière et indépendante. Nous nous en réjouissons, mais nous avons besoin de votre soutien pour durer et amplifier notre travail éditorial. Même pour 2 €, vous pouvez soutenir Terrestres — et cela ne prend qu’une minute..

Terrestres est une association reconnue organisme d’intérêt général : les dons que nous recevons ouvrent le droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant. Autrement dit, pour un don de 10€, il ne vous en coûtera que 3,40€.

Merci pour votre soutien !

Notes

  1. Les extraits sont repris de la traduction du Capital réalisée par Jean-Pierre Lefebvre (Karl Marx, Le Capital. Critique de l’économie politique, quatrième édition allemande : Le procès de production du capital, Quadrige – PUF, 1993 [1983], pp. 566).[]
  2. Ainsi que Sohrab Ahmari l’affirme lui-même : « en matière de politique publique, je suis à 100% avec Huber et Phillips ».[]