C’est simple : sans votre soutien, Terrestres ne pourrait pas exister et vous ne pourriez pas lire cet article.
Aujourd'hui, nous avons besoin de 500 donateur·ices régulier·es pour pérenniser notre modèle économique. Par un don mensuel ou ponctuel, même pour quelques euros, vous nous permettez de poursuivre notre travail en toute indépendance.Merci ❤️ !
Traduit de l’anglais par Mabeuko Oberty et Emma Bigé
Collectées et rassemblées à partir de notes du philosophe nigérian Bayo Akomolafe publiées entre 2020 et 2023 sur son blog, voici quatre histoires écrites sur la faille, des histoires de fissures qui s’ouvrent dans le quotidien et le normatif comme autant de possibilités de voir, de sentir, de penser et de vivre autrement. Le philosophe y parle de postactivisme, de biologistes marines étudiées par des cétacés, de neurodiversité, et du don que c’est que de recevoir un nom (même et surtout quand il est prononcé de travers).
Ce très bref recueil reçoit son titre d’un projet pédagogique, We Will Dance With Mountains, qu’Akomolafe organise annuellement et qui réunit philosophes, artistes et activistes venu‧es principalement du Sud global. Un espace, comme ces quatre contes philosophiques, pour repenser ce que la politique, l’écologie et l’engagement envers la transformation peuvent vouloir dire.
Ce que j’entends par postactivisme
Le postactivisme, concept qui informe ce que cela signifie pour moi que de créer des sanctuaires, est fait d’irruptions et d’éruptions, de percées, de fêlures, de fissures, d’éclairs et d’éclats, de lignes de fracture, de discontinuités, d’explosions, de ruptures, de secousses sismiques, d’ouvertures de fin du monde, de miracles et de rencontres étranges : la gueule béante du monstre. C’est ma manière de décrire les flux et les possibilités qui sortent du moment où les choses cessent de tenir ensemble.
Je m’explique.
Dans un livre dédié à l’étude des cétacés (je vous recommanderais bien la lecture de ce livre, mais je ne me souviens pas de son titre ; je l’ai lu il y a longtemps, pourtant ce point particulier décrit dans le livre, bien qu’à peine souvenu, est resté avec moi toutes ces années), une biologiste marine décrit ses visites quotidiennes à la grande piscine des orques (ou bien s’agissait-il de grands dauphins ?). Elle mène alors une étude sur l’intelligence des cétacés. Passionnée par l’étude des baleines, elle en remplit sa vie. Elle connaît son sujet en long et en large. Elle connaît les rituels, les techniques, les outils, le jargon, les consignes pour communiquer, les données. Elle sait ce qu’il faut faire.
Et puis, soudain, elle ne sait plus.
Lors d’une séance avec les bêtes, elle découvre que ses consignes et les réponses qu’elle en attend ne fonctionnent plus comme d’habitude. Les créatures n’obéissent plus au programme. Elle tente un ordre mais la réaction habituelle ne se produit pas. Les orques ne jouent plus avec la bouée et elles ne répondent à aucune autre des actions qu’elle a l’habitude de leur demander d’exécuter. Confuse, elle n’insiste pas. Mais le lendemain, le même phénomène troublant se produit. Et le jour suivant. Elle s’inquiète pour les orques. Toutefois, elle remarque aussi que ces êtres qui l’ont fascinée durant toute une vie semblent prendre des initiatives dans sa direction, d’une manière qu’elle remarque à peine au début. Comme si les orques se réunissaient et conversaient entre elles. Et puis un jour, c’est devenu évident : les orques étaient en train de l’étudier elle. Elles paraissaient avoir trouvé un moyen de renverser le regard de la chercheuse, pour le retourner sur elle. La biologiste marine spécialisée dans l’étude des cétacés était maintenant l’objet de l’étude et de l’examen attentif des cétacés elles-mêmes.
J’imagine qu’il aurait été quasiment impossible pour la biologiste de se remettre à appliquer les protocoles auxquels elle avait été habituée. Cette explosion dans la continuité du tissu cétologique – lorsque les orques commencent à se mêler des protocoles de recherche et à mettre la pagaille dans les données – a dû avoir des répercussions de l’ampleur d’une fin du monde.
Que faites-vous lorsqu’un rocher passif, inerte et stupide, a un membre qui lui pousse ? Lorsqu’une montagne que vous gravissez soupire délicatement ? Lorsque vous devez vous interrompre dans votre travail parce que vous réalisez soudain que la culture microbienne que vous étiez en train de passer à la casserole dans votre laboratoire pourrait bien avoir une conscience et éprouver de la douleur ? Lorsqu’un minuscule virus ravage des économies et systèmes de pensées entiers ? Lorsque le sol sous nos pieds entre en fusion dans la fournaise du réchauffement climatique, retire le soutien qu’il semblait accorder à l’idée de modernité éternelle et hante nos conversations ? Que faites-vous lorsque le monde rend les coups qu’on lui a portés ?
Le postactivisme n’est pas ma manière de décrire une forme d’être supérieure qui garantirait des solutions. Il n’est pas « post- » au sens des récits de l’après, il ne prétend pas apporter une vérité profonde, un chemin plus sûr vers des mondes utopiques ou une formule magique pour sauver le monde. Bien plutôt, le postactivisme est l’endroit où la continuité devient impossible ; l’endroit où « le monde » et sa complétude colonisatrice deviennent moins convaincants que cet espace déchiré, cette faille, d’où sortent des notions étranges et étrangères, et où les solutions proposées par les autoroutes et les voies rapides paraissent désormais tout à fait inadaptées à cet agencement inhabituel et plus-qu’humain dans lequel nous vivons aujourd’hui.
Dans la terre s’ouvre une brèche écumante, qui donne à voir une fracture dans la totalité et la connaissabilité sans faille des choses, qui perturbe l’exclusivité de l’agentivité et de l’investigation humaines, qui éparpille la vitalité et qui étend la socialité à des cercles plus vastes jusqu’à y inclure des êtres et des choses que nous n’avions pas considérées jusque là. Tout change, devient plus étrange. Étranger. Alien.
Voilà le postactivisme. Lorsque, au bout de nous-mêmes, nous arrivons à la toute fin du monde et qu’il ne reste plus un seul mot.
Égarée, maladroite : une politique autiste
Un jour, alors que nous nous promenions avec ma famille au milieu d’un vaste et luxueux centre commercial de Chennai, Kyah (notre fils aujourd’hui âgé de cinq ans) a traversé une expérience bouleversante. J’hésite à lui donner le nom de caprice ou de crise de colère – j’ai appris à ne pas le faire. Mais sur le moment, alors qu’il criait, s’agitait en tous sens, battait des bras et des jambes sur le sol très public de cette place très publique avec tous ces yeux très publics braqués sur lui, le nom que je donnais à ce qui se passait n’avait pas beaucoup d’importance.
Dans mon corps, ce que je ressentais c’était de l’embarras et de la frustration. Je me sentais submergé – j’essayais de faire en sorte qu’il se « contrôle », qu’il reprenne le dessus. Mais toutes mes tentatives de le maîtriser tombaient à plat. Ma femme, EJ, prit les choses en main. « Va-t-en », me dit-elle. Elle savait que j’étais incapable d’aider en quoi que ce soit. Elle savait que j’avais besoin moi aussi qu’on me paterne/materne. Et moi aussi je le savais. Je me suis rapidement retiré, trop échauffé pour assister à sa manière d’aborder cette situation impossible.
Et très littéralement, ce qu’elle fit c’est qu’elle plongea : au lieu d’essayer de contrôler Kyah, au lieu d’essayer de le faire revenir à son monde à elle, elle se mit par terre et rampa jusqu’à lui pour s’allonger à ses côtés.
« Je sentais le besoin d’aller à sa rencontre, me dit-elle plus tard. De me rendre dans son monde – plutôt que d’essayer de le tirer vers le mien. »
Les détours autistiques de Kyah (et de sa mère) en dehors des sentiers battus de l’Ordre Symbolique ont duré un petit moment. Ensemble, iels se sont étiré·es sur ce sol très public où circulaient des passant·es au pas pressé et au regard interrogatif. Un défi lancé à la rectitude posturale de ce qui est considéré comme « sain ». Je n’étais pas là pour les voir, mais je peux presque me les figurer… encore aujourd’hui : une mère et son fils allongé·es par terre ; Kyah, sanglotant, son petit corps encore embrasé mais s’acclimatant lentement aux divinités venues prendre résidence en lui ; sa mère lui rappelant, à force de murmures, qu’elle est là pour lui et avec lui ; et des paires et des paires d’yeux curieux se demandant pourquoi elle ne le soulève pas du sol.
EJ me dit par la suite que Kyah finit par s’arrêter de pleurer et par se relever : sa prière achevée. EJ se leva à son tour. Leurs mains jointes, iels se mirent en route pour me retrouver.
Je repense à cet événement aujourd’hui, et à tous les événements similaires qui se sont produits au fil des ans – à cette fissure qu’a ouverte Kyah, à cette invitation contre laquelle je continue de lutter, mais à laquelle je ne peux pas échapper. Il y a quelque chose dans l’autisme de Kyah qui suggère que ce n’est pas de Kyah qu’il est question, que ce que nous nommons « l’autisme de Kyah » n’appartient pas à son corps ou à son cerveau, mais qu’on pourrait sans doute y penser comme à une intensité à l’intérieur d’un champ, plutôt que comme à une propriété inhérente à un individu spécifique. Un lieu incandescent et envoûtant qui invite à ramper, à se mettre à quatre pattes, à faire quelque chose d’étrange et – ce faisant – à s’animer. Une déviation cartographique des algorithmes du familier. Une fissure.
On pourrait dire que ce lieu où EJ et Kyah se sont allongé‧es par terre a laissé comme la trace indélébile d’un crime, une rupture ontologique dans l’habituel. Je me sens invité à rester ici, à revenir à cette scène avec délicatesse, comme un détective le ferait. Je me sens invité à l’écoute. Dans mes moments de pensée les plus tendres, ce geste qui nous conduit aux espaces à peine perceptibles et qui nous éloigne des lieux habituels reçoit le nom de « politique autiste ».
C’est une politique autiste qui encadre et nourrit mon travail avec le postactivisme, mes réflexions sur l’ontofugitivité, la transracialité, la cognition coloniale, l’apostasie ontologique, le chronoféminisme, la chasmagraphie, le faire sanctuaire, et tous ces autres concepts parents que je fréquente et qui m’enseignent comment penser les défis critiques d’aujourd’hui. Oui, tout cela revient à Kyah et à sa mère EJ allongé‧es ensemble par terre dans un centre commercial. Tout cela revient aux questions magnifiques d’Alethea, à son esprit préscolaire à l’affût du monde comme d’un jouet. Tout cela revient au travail puissant d’EJ, qu’elle déploie dans son rôle de mère, et qui aide d’autres parent·es à aller à la rencontre de leurs enfants.
Une politique autiste envisage le handicap autrement, comme un signal dés/humain de dés-assemblement et d’incapacitation qui traverse la culture. Au lieu d’avoir à être réparé ou éliminé, le dés/humain se transforme en une cartographie zigzag qui interrompt la linéarité coloniale du progrès, qui remet en question nos préjugés sur le corps et la subjectivité humaines. Le dés/humain contient précieusement en son sein la promesse qu’en perdant notre chemin, en errant hors des tarmacs fléchés du conventionnel, nous pourrions avoir une chance de nous retrouver dans des lieux différents, surprenants.
Vous êtes-vous jamais retrouvé‧es par terre dans un centre commercial au milieu de l’agitation des passant‧es affairé‧es ? Peut-être y a-t-il une vision des choses intriquée à cette position horizontale dont nos postures anxieuses de rectitude ne savent rien.
Zyeuter
À partir de quand l’injonction à prendre du recul pour « regarder la situation dans son ensemble » devient-elle un obstacle à la survenue de différences transformatrices ? Nous privilégions souvent les analyses de « vues d’ensemble », les évaluations systémiques, les perspectives macro-économiques et les valeurs de production du savoir qui nous exhortent à rassembler toutes les données avant de prendre une décision. Il y a quelque chose de géométriquement frappant dans ce besoin d’accomplissement ou de saturation : il prend le risque de nous placer – nous, les sachant·es – en dehors de l’analyse, externes au « système ». Il produit une épistémologie orientée uniquement vers l’avenir et faite de manifestes impressionnants, d’acteurices importantes et de grands rêves de renversements du système.
Je ne pense pas que le monde puisse se satisfaire de ces seules notions industrielles du changement. Je pense que le capitalisme veut que nous « changions le monde », mais qu’il ne présente comme malléable que ce qui sert à le renforcer et à augmenter la production. Ces jours-ci, j’apprends avec mon fils, qui est neuro-atypique, ce que je nomme joyeusement l’animisme de la vision périphérique, l’idée de voir depuis les bords, ou de « zyeuter1 » (ce qui est différent de, et se trouve quelque part entre, « regarder » quelque chose et « détourner le regard » de quelque chose). Regarder à la dérobée, regarder furtivement, zyeuter, c’est un refus de répondre au regard citoyen par son propre regard, une rupture fatale dans l’interface de communication saine. Une faille dans l’entre-personnel. Le « droit à l’opacité » de Glissant, qui trouble le validisme de l’identité et de l’appellation, qui reconfigure le concept de soi comme fugitif, diasporique, territorial et migrant.
À la place, on se concentre sur ce qui est ordinaire, sur une fêlure, un pixel, un point dans l’espacetemps, au lieu de cette entièreté de la réalité que l’on vante souvent et qui apparaît dans nos théorisations du monde. La disabilité2 du zyeuter est une invitation à nous perdre, à ne pas trop nous impliquer dans l’image de la chose, à nous rendre à de nouvelles ethnographies sensorielles par une sensualité et une sensorialité plus vivantes.
Peut-être que le monde change en de courts instants. Surtout lorsque nous ne sommes pas en train de regarder.
Être prononcé·e de travers : un cadeau
Il y a quelques semaines, tandis que nous nous préparions pour l’enregistrement d’un entretien, mon intervieweuse m’a demandé des précisions sur la manière de prononcer correctement mon nom de famille. Elle n’osait même pas essayer de le prononcer ; elle ne voulait pas l’abîmer. Tout en riant, je la poussai à « tenter sa chance », à faire un effort. Elle insista pour que je le dise en premier, attendant de moi que je cède à son anxiété. Je ne l’ai pas fait. J’ai enfoncé mes pieds dans le sol, me suis penché vers elle et lui ai demandé d’essayer – lui faisant comprendre que nous ne commencerions pas l’entretien avant qu’elle n’ait au moins risqué l’échec. Pinçant ses lèvres, baissant ses yeux un instant en signe de résignation, elle articula : « A-ko-mo-lafe ? » Sa prononciation avait une légère sonorité russe. Je me réjouis et pris le temps de célébrer ce moment, puis je répondis à son embarras :
« Pour les Yorubas, ce n’est pas dérangeant lorsque ton nom est mal prononcé. Nous célébrons ce cadeau qui nous est fait d’être prononcé·es de travers : chacune de ces prononciations erronées est comme une opportunité de se rencontrer soi-même pour la première fois. Ce sont des opportunités d’écoute de la multiplicité et de l’indétermination comique qui hante la reconnaissance. »
Ses yeux s’ouvrirent un peu plus grands.
« Si personne ne se trompait, si tout le monde réussissait du premier coup, quelle piteuse cosmologie cela donnerait ! C’est parce que mon nom ne m’appartient pas complètement que je peux vous faire confiance pour le plier, pour le tordre et pour risquer d’en faire autre chose, de le transformer intégralement. Mais si je ne prends pas ce risque d’être mal prononcé, je me prive en même temps de l’opportunité d’être différent, de goûter à de nouvelles saveurs. Oui. Nos noms sont sacrés car ils ne sont jamais complets en eux-mêmes – parce que nous sommes un lieu d’accueil pour les étrangèr‧es, dont les bouches et les langues partagent parfois des secrets divins qui nous étaient jusque-là inconnus. »
Le reste de l’entretien s’est déroulé à merveille.
Post-scriptum
Je sens l’envie d’ajouter cette réflexion : il y a de nombreux contextes culturels, situations et scénarios pour lesquels il est tout à fait pertinent et juste de demander la prononciation « correcte » d’un nom, où certaines personnes (en particulier si elles sont minorisées) ont légitimement considéré qu’il était plus simple de raccourcir, modifier, voire changer complètement leur nom à cause de la manière nonchalante et même irrespectueuse avec laquelle celui-ci était prononcé.
[…]
Nommer peut blesser. Être mal nommé·e peut blesser plus encore – mais même la susceptibilité de la douleur a plusieurs visages, elle est ouverte et déjà une chose politique. Nous sommes blessé·es avec et au sein de paradigmes complexes ; la douleur n’est pas apolitique. Le « cadeau d’une prononciation de travers » – plus qu’une simple pratique qu’il s’agirait d’adopter – me semble le lieu d’une enquête ouverte sur ce qui est produit par l’identité et sur les limites qu’il y a dans la reconnaissance. Il propose que l’univers n’est pas fait de lignes droites, que nous avons besoin des périphéries pour voir et que les enfants apprennent en faisant des bêtises.
Cela a été un apprentissage joyeux en tant que Yoruba, le cadeau de ma culture (où la « culture » n’est pas une image statique ou une archive cohérente de valeurs, mais un champ d’intensités et de mouvements dynamiques) : être mal nommé·e peut s’accompagner d’une ouverture dangereuse, car même les noms respirent.
Le dieu farceur yoruba, Esu, a été renommé Satan par le fait même d’un Yoruba converti, ancien esclave devenu évêque anglican, du nom de Samuel Ajayi Crowther, qui s’est donné la mission de traduire l’intégralité de la Bible en yoruba – un exploit impressionnant. Aujourd’hui, il y a des mouvements qui demandent à réparer cette « erreur », invoquant que « Esu n’est pas le Diable ». Il n’y a pas que moi pour penser que Esu est probablement plus intrigué que consterné par cette étiquette qu’on lui a collé sur le dos.
Ce que ce « cadeau » nous invite à remarquer c’est qu’il n’est pas possible d’être complètement vu·es – et que nous ne nous rencontrons jamais nous-mêmes, en tous cas jamais intégralement. À la place, nous participons à l’invention partagée de l’autre dans l’intra-activité incessante de la rencontre.
Du même auteur, lire aussi sur Terrestres : « À mes ami·es blanc·hes », février 2022.
Notes
- Suivant une piste lancée par Fernand Deligny, nous traduisons « looking-away-at » (regarder-tout-en-ne-(re)gardant-pas) par « zyeuter », compris au sens de « regarder à la dérobée », « regarder furtivement », « à peine regarder ». Deligny mobilise « zyeuter » pour parler du voir d’un des enfants autistes qu’il fréquente : « Je voyais hier sur cette petite télé qui nous est propre, à nous qui vivons proches d’enfants autistes — il se trouve que nous avons l’usage d’un magnétoscope —, je voyais D. qui va sur ses neuf ans, absorbé à zyeuter une main qui, pour nous, est sienne et remuait dans l’eau. Si je dis zyeuter, c’est pour éviter de dire qu’il la regardait, si regarder s’entend comme étant notre manière de voir, à nous qui avons le sens de l’histoire, ne serait-ce que de la nôtre. » (« Camérer #1 », Écrits de Deligny, L’Arachnéen, p. 20.[↩]
- Suivant une suggestion du Disglossaire (dir. Judith Deschamps, Lucas Fritz & Gabriele Stera, ArTec, 2023) nous traduisons ici « disability » (ordinairement rendu en « handicap ») par « disabilité » qui permet d’y faire entendre « dis- », préfixe qui indique « la séparation ou la dispersion ».[↩]