Succédant à un premier article qu’on peut retrouver ici, celui-ci suivi d’un troisième dans quelques jours avec d’autres contributions.
Jean-Baptiste Fressoz, historien
Vous soutenez les Soulèvements de la Terre. Pourquoi ?
Parce qu’ils sont en réalité plus légalistes que le gouvernement français qui ne respecte pas ses engagements internationaux sur le climat. Parce qu’ils incarnent les valeurs cosmopolites, humanitaires, environnementalistes qui transcendent les intérêts économiques nationaux. Et parce que pour défendre ces valeurs il faut défendre des espaces concrets.
Malgré les beaux discours présidentiels sur la sobriété, malgré la création d’un Secrétariat Général à la Planification Ecologique, malgré le blabla sur la prise de conscience, les grandes orientations politiques n’ont absolument pas changé. En témoignent les projets actuels de contournements routiers à Rouen ou d’autoroute entre Castres et Toulouse, précisément le genre de projets auxquels les Soulèvements de la terre s’opposent.
« Premièrement ne pas nuire » : ce serait déjà un très grand pas écologique pour l’Etat français et pour n’importe quel Etat en réalité. Or les petits pas accomplis dans cette direction — l’abandon de l’aéroport à Notre Dame des Landes et du projet Europa City — l’ont été uniquement grâce à des mobilisations et des occupations dont les Soulèvements de la terre sont la continuation. Au lieu de les démoniser, le gouvernement devrait remercier les ZAD et les zadistes.
Lors d’un séjour à Notre Dame des Landes en 2015, j’ai compris que la lutte contre le changement climatique resterait lointaine, abstraite, désincarnée, déprimante et perdue d’avance si on ne relocalisait pas les enjeux, qu’il fallait défendre non seulement la terre, la Terre, le « climat », mais aussi des lieux concrets où l’activisme a une prise, où des victoires sont possibles. Contrairement aux visions fantasmatiques de la place Beauvau, les Soulèvements de la terre ne sont pas un mouvement centralisé, mais fédèrent toutes les luttes qui vont en ce sens : contre les accaparements, la bétonisation, les carrières, contre l’urbanisation inutile subventionnée à coup de défiscalisation, contre les infrastructures émettrices de CO2 et destructrices de la nature.
Concernant Sainte-Soline, cette lutte préfigure celles à venir autour de l’adaptation au changement climatique. Les bassines sont un symbole de ce qu’il ne faut pas faire car stocker de l’eau en surface fragilise les nappes phréatiques. En outre ces grandes bassines servent principalement au maïs, donc à l’élevage, donc à la viande. Il faut lutter contre les bassines et conjointement se battre pour la végétalisation des assiettes. Sinon le maïs sera simplement importé et les dégâts reportés ailleurs.
En réponse à l’actuelle mobilisation intellectuelle et médiatique en faveur des Soulèvements, le Ministre de l’Intérieur a évoqué le « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche ». Que vous inspire un tel qualificatif et selon vous que dit-il de la situation politique présente ?
Darmanin incarne une version française d’un mouvement international qu’on peut qualifier de carbo-fasciste. Rappelons qu’en 2008, il avait écrit des articles dans une revue proche de l’Action française. Protégé de Christian Vanneste, il avait eu des déclarations ouvertement homophobes. Rappelons aussi ses déclarations de juillet 2020 — « quand j’entends violence policière je m’étouffe »— quelques semaines après la mort de George Floyd et de Cédric Chouviat, étouffés par des policiers. Il y a chez Darmanin un profond cynisme politique.
Un petit détour par le Brésil de Jair Bolsonaro permet de comprendre ce qui se trame en France. Outre une idéologie de droite dure, on retrouve chez Bolsonaro comme chez Darmanin trois éléments clés. Premièrement, la défense des grands propriétaires terriens. Les accointances du gouvernent avec la FNSEA sont bien connues de même que la fameuse cellule Demeter de la gendarmerie intimidant les environnementalistes. Deuxièmement, une défense de la viande. Rappelons que Darmanin avait pris position contre la végétalisation des assiettes des cantines en invoquant les intérêts des enfants des classes populaires—alors même que les carences concernent surtout les légumes et les fruits frais. Enfin, l’absence d’hésitation à recourir à la violence pour défendre ces intérêts —bien plus forte il est vrai dans le cas du brésil où les défenseurs de l’environnement sont tout simplement assassinés.
Il faut prendre au sérieux cette idéologie anticlimatique. Darmanin et sans doute bien d’autres dirigeants politiques ont depuis longtemps fait leur deuil du climat —s’il s’en est jamais soucié. Inutile « d’emmerder » les Français comme le disait Macron. En outre, le réchauffement climatique impactera bien plus durement les pays situés au sud de la Méditerranée, ce qui permettra à Darmanin et plus encore ses successeurs de la seconde moitié du XXI siècle, de se poser en remparts contre l’immigration. Le carbofascisme est un pari politique potentiellement gagnant.
Gérald Darmanin prononce ces paroles parce qu’il sait qu’une part majoritaire de la population française ne comprend pas qu’on jette des pierres sur des gendarmes pour défendre une cause environnementale, aussi juste soit-elle. Lors de son audition récente au Sénat, il a martelé cet argument : son rôle est simplement de défendre l’ordre, la propriété privée et les policiers qui font leur travail, sans juger de la pertinence de la lutte environnementale.
Les événements de Sainte-Soline rendent évident le piège tendu par le ministre de l’intérieur au mouvement environnementaliste. La violence, vantée par certains théoriciens qui appliquent Lénine à mauvais escient, sape la cause environnementale. Le carbofascisme se nourrit de la violence et lui permet de régner par la violence. De toutes façons face à l’Etat français qui ne recule pas devant la répression, il faut opposer la désobéissance civile et non la violence.
Jean-Baptiste Fressoz est historien des sciences, des techniques et de l’environnement au CNRS. Il a notamment publié L’Apocalyspe Joyeuse (Le Seuil, 2012), L’Evénement Anthropocène (Le Seuil 2013 avec Christophe Bonneuil) et Les Révoltes du ciel (La Découverte 2020 avec Fabien Locher)
Geneviève Azam, économiste
Vous soutenez les Soulèvements de la Terre. Pourquoi ?
C’est d’abord pour répondre à une urgence. Comme près de 100 000 personnes ou associations, j’ai signé l’appel me déclarant partie prenante des Soulèvements de la Terre. Comme je l’avais fait, au début des années 2000, au moment de la lutte des OGM et des procès des faucheurs, en me déclarant, comme des milliers d’autres, « comparante volontaire ».
Je dois beaucoup à ce moment de passage collectif à la désobéissance et surtout au geste qui reliait la pensée, la recherche sur le brevetage, la privatisation et la manipulation du vivant avec la destruction des plans de maïs transgénique en plein champ. Bref, nous pourrions dire maintenant au désarmement de Monsanto et consort. Au geste aussi qui favorisait des alliances imprévues, entre paysannes et paysans, scientifiques et toutes celles et ceux qui refusaient de voir l’alimentation accaparée par quelques grandes firmes semencières, la destruction de la diversité biologique. Si des victoires partielles sur ces OGM de première génération ont été gagnées, l’histoire n’est pas terminée, avec les OGM cachés et le forçage génétique.
Au-delà de l’urgence, les Soulèvements de la Terre, nés plus de vingt ans après le début de cette lutte contre les OGM, après les multiples alertes écologiques des scientifiques, les catastrophes à répétition, ont permis de rendre visible l’accélération inouïe de l’accaparement de tous les communs essentiels à la vie. Il s’agit avec eux d’agir à partir des territoires, en reliant la protestation à la défense et à la restauration concrète des milieux de vie qu’il s’agit de délivrer de toutes les monocultures du capital, du maïs au béton, de l’eau emplastiquée dans des bouteilles ou des bassines aux monocultures forestières, des objets et machines « intelligentes » jusqu’à la monoculture des esprits.
Enfin, et ce fut pour moi le signe d’une nouvelle culture politique. Célébrer les soulèvements de la Terre, et elle se soulève effectivement de multiples manières, c’est reconnaître la faillite de la croyance en la toute-puissance humaine avec son cortège de dévastations anthropiques, c’est accepter une extériorité irréductible à notre expérience humaine. C’est cultiver les fragilités et les limites. Là est notre liberté, notre créativité retrouvée. C’est aussi s’inscrire dans une multiplicité et l’hétérognéité des temps, au lieu de l’unicité d’un temps vide des maîtres des horloges.
En réponse à l’actuelle mobilisation intellectuelle et médiatique en faveur des Soulèvements, le Ministre de l’Intérieur a évoqué le « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche ». Que vous inspire un tel qualificatif et selon vous que dit-il de la situation politique présente ?
Ce ministre, mais il n’est pas seul, outre quelques obsessions nauséabondes sur l’extrême gauche ou l’ultra-gauche, est effectivement terrifié par la pensée critique et la pensée tout court. Lui et ses alliés sont d’autant plus terrorisés qu’ils sont ignorants des tournants de la pensée, de l’histoire à la géographie, à l’anthropologie, aux sciences du vivant, et aveugles aux alliances qui se se sont tramées entre des « intellectuels » et des luttes pour la défense des terres, des communs et des communautés vivants qui les habitent. Ils avaient pourtant tout fait pour éradiquer ce mal rampant de la pensée, à coup de ministres de l’éducation, de la culture, de l’industrie assurant la promotion de « l’intelligence artificielle » pour domestiquer l’esprit et les corps. Après l’islamo-gauchisme, le wokisme, voici venu l’éco-terrorisme de ce qu’ils appellent « les intellectuels », pour désigner celles et ceux qui osent penser, écrire, parler, filmer, chanter, et affirmer qu’il est de leur devoir, de leur resposabilité de se lier aux luttes et actions de démantèlement, de « désarmement » des forces destructrices.
Geneviève Azam est économiste à l’université de Toulouse Jean-Jaurès et membre du Conseil scientifique d’Attac et du collectif de rédaction de la revue Terrestres. Elle a notamment publié Le temps du monde fini, vers l’après capitalisme (Les Liens qui libèrent 2010) et Lettre à la Terre. Et la Terre répond (Seuil 2019).
Roméo Bondon, géographe
Vous soutenez les Soulèvements de la Terre. Pourquoi ?
Parce que, d’abord, tout mouvement social émancipateur mérite soutien. Les Soulèvements de la Terre sont ce qu’on a connu de plus dynamique et créatif en matière de militantisme ces dernières années, notamment en couplant les luttes locales et syndicales avec un réseau national. C’est ce qu’il y a de plus enthousiasmant aujourd’hui pour continuer à lutter.
En réponse à l’actuelle mobilisation intellectuelle et médiatique en faveur des Soulèvements, le Ministre de l’Intérieur a évoqué le « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche ». Que vous inspire un tel qualificatif et selon vous que dit-il de la situation politique présente ?
J’en reste bouche bée, de ça et de toute la séquence répressive et médiatique menée par Darmanin. « Terrorisme », comme « prise en otage », sont utilisés pour décrire des contextes avec lesquels ils n’ont rien à voir. C’est irrespectueux pour les personnes effectivement victimes de terrorisme, et ne fait que confirmer la bêtise insondable qui caractérise ceux qui gouvernent. Au-delà, s’il y a une « terreur » intellectuelle produite par l’extrême gauche, tant mieux : si l’agenda politique et médiatique colle un peu moins à la droite extrême et fascisante et un peu plus à notre camp, on ne peut que s’en réjouir. Et que les dominants aient peur, ça rassure.
L’écologie politique, entendue comme dynamique politique et activiste s’opposant à la dévastation du monde et expérimentant d’autres formes de vie, vous semble t-elle dangereuse ? Pour qui ?
Le seul danger serait pour les structures dominantes et oppressives qui nous gouvernent. La force d’impact de l’écologie politique est relative, donc même pour ces structures-là, les seules qui seraient visées, ça reste assez faible malheureusement. Que l’écologie politique soit dangereuse, au sens où elle puisse enfin déstabiliser les structures dominantes, c’est un souhait et une nécessité.
Roméo Bondon est doctorant en géographie et membre du comité de rédaction de la revue Ballast. Il a récemment coordonné avec Elias Boisjean Cause animale, luttes sociales (Le Passager clandestin, 2021) et publié avec Raphaël Mathevet Sangliers – Géographies d’un animal politique (Actes Sud, 2022).
Vanessa Manceron, anthropologue
Vous soutenez les Soulèvements de la Terre. Pourquoi ?
La terre et ceux qui l’habitent dans nos villes et campagnes ne respirent plus, suffoquent, s’affaissent. Je vois les soulèvements comme un mouvement vital, une grande respiration, comme un poumon qui s’emplit d’air, se soulève, pour la survie et surtout la vie tout court. Ce sont les plantes, les animaux, les sols, l’air, l’eau, et la vie sociale en relation avec les milieux, que ce mouvement soulève et avec eux, l’espoir et la mise en mouvement. Les masques sont tombés. Ce gouvernement veut faire taire et mourir l’écologie, en fossoyeur. Impossible de s’en accommoder.
Résister, agir ensemble, voilà ce que les Soulèvements de la terre offrent comme horizon. Il ne s’agit pas d’une alternative, mais d’une exigence et d’une responsabilité collective et citoyenne qui s’impose comme la seule voie possible, face aux manquements irresponsables du gouvernement et à son activisme – car il ne s’agit pas de passivité – criminel, cynique et violent. L’écologie politique est notre avenir commun par-delà les coups de boutoir du pouvoir qui, en soutenant les mises à mort écologiques et sociales, s’en trouvera lui-même asphyxié. Il est toujours plus dangereux pour sa propre survie, d’étouffer ce qui se soulève, que de tendre avec acuité et discernement l’oreille. Le vivant en sait quelque chose. Prendre appui sur les savoirs, les idées et l’imagination, plutôt que les mépriser, soutenir les aspirations citoyennes pour un avenir plus juste et plus solidaire, plutôt que les criminaliser et instrumentaliser le droit au profit de la force, ce contrat social minimal est aujourd’hui foulé aux pieds.
Dans les soulèvements de la terre, nombre de voix et de milieux professionnels et sociaux hétérogènes convergent aujourd’hui et se politisent, car il en va de notre rapport collectif et intime au monde, des territoires agricoles, de l’avenir menacé du vivant, des inégalités, de l’alimentation, de la santé, de l’eau, de l’air, de la beauté. Des alliances nouvelles et des formes d’organisations sociales émergent déjà de ces turbulences. Et ce sont elles qui sont le véritable moteur de l’histoire.
Vanessa Manceron est anthropologue, chercheuse au CNRS. Elle est spécialiste du rapport au vivant et mène ses terrains d’enquête en France, en Angleterre et en Italie. Elle a récemment publié Les veilleurs du vivant : Avec les naturalistes amateurs (La Découverte, 2022).
Jean-Louis Tornatore, anthropologue
Vous soutenez les Soulèvements de la Terre. Pourquoi ?
Parce qu’ils sont les prémisses d’une autre histoire. La terre se soulève, sous l’effet de forces souterraines, pour qu’apparaisse l’enfoui, l’enseveli, l’invisibilisé, l’assourdi, le mutique. Les soulèvements de la Terre portent la promesse de ce qui sourd et libère des significations longtemps empêchées et contenues : il s’y révèle une poétique de l’oralité et de la résurgence – résurgence de cours interrompus, engagés au présent.
En réponse à l’actuelle mobilisation intellectuelle et médiatique en faveur des Soulèvements, le Ministre de l’Intérieur a évoqué le « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche ». Que vous inspire un tel qualificatif et selon vous que dit-il de la situation politique présente ?
La peur de la pensée, de la pensée de la pensée, de la pensée de la pensée de la pensée… (Y a d’la ZAD dans l’air !). Le revers de la médaille, c’est que les intellos deviennent accros à la lumière médiatique, « personnalités » signataires de tribunes, « invité·es » des festivals de la fin août, pour refaire le monde – de préférence dans un château recyclé en centre de rencontre. Les concepts n’y ont jamais été aussi créatif !
L’écologie politique, entendue comme dynamique politique et activiste s’opposant à la dévastation du monde et expérimentant d’autres formes de vie, vous semble-t-elle dangereuse ? Pour qui ?
À propos de l’écologie politique, l’ambivalence formulée il y a près d’un quart de siècle par Bruno Latour – « Que faire de l’écologie politique ? Rien. Que faire ? De l’écologie politique. » – n’a pas pris une ride. Si l’on met de côté la version partidaire, malheureusement terne quand elle n’est pas imbécile, depuis, s’est juste un peu compliquée la constellation de savoirs et d’expériences qui peuvent être placés sous cette désignation (serait-ce un espace public oppositionnel ?). Malgré des essais d’appellations alternatives – humanités environnementales ou écologiques… –, « écologie politique » reste le moins mauvais terme pour indiquer la voie du changement de monde : à condition toutefois d’opter pour la perspective d’une écologie pluriverselle, que le zadisme a introduite.
Jean-Louis Tornatore, est anthropologue et professeur à l’Institut Denis Diderot (Université de Bourgogne). Il a notamment dirigé l’ouvrage Le patrimoine comme expérience. Implications anthropologique (Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2019).
Corinne Morel-Darleux, écrivaine
Vous soutenez les Soulèvements de la Terre. Pourquoi ?
Cela fait quinze ans que je milite dans des sphères plus ou moins institutionnelles et navigue entre rapports du Giec, déclin de la biodiversité et ravages du système. J’ai connu dans les rangs militants de grandes et belles choses mais aussi suivi des chemins étroits, navigué à vue et trouvé des impasses parfois. Bref, j’ai accompagné des brouillons plus ou moins réussis. De mon point de vue, l’émergence des Soulèvements de la Terre est une des meilleures nouvelles de la décennie.
Parce qu’on n’y confond pas tactique et stratégie. Parce qu’on n’y confond pas polémique et action politique. Parce qu’on n’y oppose pas le cerveau et les mains, la lutte et la joie, la théorie et la pratique. Parce que l’anonymat y est de mise, parce que c’est clafi de pas-de-côté, de « cesser de nuire » et de refus de parvenir. Parce que les filles y sont belles, fières et radieuses, parce qu’il y a des loutres sur les affiches, et parce que c’est une organisation sérieuse.
Les Soulèvements de la terre sont en train de réussir ce à quoi tout le monde s’essaie depuis des années : archipéliser nos ilots de résistance, réunir dans un même mouvement justice sociale, combat écologique et défense du vivant. Sans organe central, sans bureaucratie et sans sauveur suprême : un mouvement organique et ancré. Même les services de renseignements territoriaux en sont bouche bée.
Les Soulèvements font, sans plus attendre – ni l’impossible ni l’ingérable – ce qui doit être fait : empêcher de bétonner les terres, refuser que l’eau soit accaparée par quelques-uns, cesser de collaborer avec un système délétère, prendre soin. Voilà les grands défis auquel nous avons à faire face : choisir nos dépendances, conserver la possibilité de cultiver pour se nourrir, auto-organiser la solidarité et préfigurer l’avenir.
Nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à nous inquiéter du monde tout en nous en émerveillant, à ne vouloir renoncer ni au pessimisme de la lucidité, ni à la puissance de la volonté, ni à la beauté. A vouloir vivre comme si nous étions déjà libres, à préférer la sobriété à la pénurie, l’autonomie et la subsistance au fric et à la publicité. Nos réponses, nos colères, nos joies, nos inquiétudes sont de plus en plus partagées. Les faits hélas nous donnent raison. Et ils nous donneront raison, de plus en plus, au fil des années.
Mais si nous n’avons jamais été aussi forts, nous n’avons jamais non plus été aussi exposés. Nous devons nous relayer, redoubler d’attention les uns pour les autres. Alimentons les caisses de solidarité et n’attendons rien que de nous-mêmes. Il reste de la beauté à préserver et des horizons à construire. Honnêtement, je ne sais pas si nous gagnerons à la fin, mais je suis sûre d’une chose. La lucidité, la responsabilité, la dignité du présent sont de notre camp.
Il y a des points de bascule, pas seulement pour le climat mais aussi dans l’histoire. Et nous pouvons êtres fier·es, toutes et tous, d’accompagner celui-là.
Corinne Morel-Darleux est une autrice, essayiste, chroniqueuse et militante écosocialiste française. Elle a notamment publié Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce : Réflexions sur l’effondrement (Libertalia, 2019).