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Un mouvement populaire massif et pacifique, des organisations de travailleurs unis contre une réforme injuste et autoritaire, un pouvoir sourd et de plus en plus surplombant, l’histoire de la France n’a cessé d’être tissé d’engagements et de combats dans la rue, entre révolution et manifestations de masse.
Face aux discours autoritaires et à des élites hors-sols, il faut se rappeler et se réapproprier l’histoire sociale oubliée, à l’image des riches heures qui suivent la révolution de février 1848, qui instaura la République démocratique et sociale, mis la question de l’égalité au cœur des débats après des décennies de politiques conservatrices, libérales, incarnées par le juste milieu de Guizot, ancêtre lointain du centrisme autoritaire du gouvernement Macron.
Ce court texte paru le 7 juin 1848 dans le Tocsin des travailleurs illustre une des nombreuses professions de foi démocratiques parues à l’époque. Il rappelle la défense des libertés publiques conquises alors que le pouvoir dénonce l’illégitimité de la foule et s’apprête à faire voter une nouvelle loi, le 7 juin 1848, qui organise la répression des attroupements d’individus « susceptibles de troubler la paix publique ».
Le journal le Tocsin a été fondé quelque jours plus tôt, le 1er juin 1848 par des ouvriers-poètes et féministes. Comme de nombreux autres journaux rouges, plus ou moins éphémères qui se sont multipliés au cours du printemps 1848, il manifeste et accompagne l’immense prise de parole populaire qui traverse alors la France.
Il s’agit d’un quotidien qui publia 24 numéros au total, vendu un sou (5 centimes), pour une page recto-verso, et tirant à 20 000 exemplaires, avant de disparaître le 24 juin, interdit et fermé autoritairement après la répression des journées de Juin qui se terminent par l’un des pires massacres de l’histoire de la France (4 000 morts parmi les insurgés, 1 600 du côté des forces de l’ordre).
Alors que la répression du mouvement ouvrier et de la République sociale s’engage et s’accentue au début du mois de juin 1848, le journal entend préserver les acquis de la révolution et se fait le défenseur acharné des libertés publiques. Les rédacteurs s’engagent notamment dans la lutte contre la loi sur les attroupements, moquant le maire de Paris, Armand Marrast, qui ne peut « tolérer un rassemblement inoffensif après avoir été l’avocat de l’émeute et le complice de toutes les insurrections » (6 juin). C’est pourquoi le journal lance « Peureux, il n’y aura pas d’émeute ! » (7 juin). Les rassemblements dénoncés comme séditieux, réprimés comme illégitimes par le pouvoir sont au contraire « le forum du peuple » (7 juin), des « clubs en plein vent » (8 juin), de « légitimes conférences » (11 juin) où s’énoncent les droits légitimes des travailleurs.
Alors qu’un pouvoir autoritaire tente à nouveau de disqualifier le mouvement social en mobilisant le spectre de l’anarchie et de la violence, ces travailleurs de 1848 nous rappellent combien la démocratie est affaire de place et de rue, d’engagements réels, de mobilisations collectives.
L’idéologie développée par Le Tocsin de travailleurs, repérable à son titre même, mêle la tradition républicaine de mise sous surveillance du pouvoir par le peuple et l’identification des travailleurs au peuple souverain. Pour ces ouvriers, l’exercice de la souveraineté est indissociable de la revendication de leurs droits. Ils dénoncent la bourgeoisie, affirment la nécessité de surveiller les pouvoirs institués en créant un peuple ouvrier actif. Il s’agit de sonner le tocsin face aux menaces de trahison des représentants élus et de la bourgeoisie qui sait si bien se maintenir au pouvoir en maniant la parole et la matraque.
« Peureux il n’y aura pas d’émeutes », 5 juin 1848, Le Tocsin des travailleurs
Nonobstant la fameuse proclamation du maire de Paris, peut-être même à cause de cette proclamation, les rassemblements populaires n’ont pas cessé.
La garde nationale est sur pied ; hier soir elle était accompagnée d’un régiment de ligne, et le commissaire de police a fait les trois sommations, au roulement du tambour. La foule s’est dispersée en criant : « A bas les mouchards, vive la ligne ».
Pourquoi faut-il que la couardise de nos gouvernants fatigue la ligne et la garde nationale en patrouilles qui ne servent qu’à attirer la masse des curieux sur le point où la réunion est déjà compacte ?
En vérité, il vous fâche que le peuple prenne la liberté de respirer par nos chaudes soirées d’été, et de causer, en respirant au grand air, de tout ce qui intéresse son pain de chaque jour ? A-t-il donc une enceinte assez vaste pour contenir ses flots innombrables et agités ? Nos salles de club sont les parloirs de la bourgeoisie ; les boulevards et les places publiques, voilà le forum du peuple, en attendant qu’il en ait d’autres.
Et vous avez la bonhomie de vous en alarmer ? Rassurez-vous, le peuple ne songe pas à l’émeute et il y songe d’autant moins que les réactionnaires ne seraient pas fâchés peut-être de le voir en faire une. Ces messieurs s’en passeront, le peuple n’est pas si bête.
Que fait donc le peuple dans ses attroupements, s’il n’a pas au fond du cœur quelque projet d’évasion ou barricades ? Il cause, nous vous l’avons dit, et, pour vous mieux tranquilliser, nous allons vous dépeindre au vrai son attitude.
C’est l’attitude d’un parterre immense qui s’entretient de la façon dont ses gouvernants remplissent leurs rôles. Sans doute le spectateur n’est pas émerveillé des acteurs, il n’est pas moins curieux de voir comment finira la pièce. Très souvent il siffle, mais il ne veut pas sauter sur le théâtre pour mettre la comédie et les acteurs en déroute. Fi donc ! l’on crierait à la cabale, et cela ne se passerait pas sans tumulte.
Sa fantaisie est de laisser tomber l’ouvrage, s’il est décidément mauvais : peut-on faire preuve de plus justice et de patience !
Le peuple, comprenez-le bien, n’a plus le goût des émeutes ; il préfère les révolutions, ce qui est plus rare. Quand on a sa force et son intelligence, on ne s’amuse pas à tirailler derrière les buissons, on frappe un coup de foudre.
Références :
– Samuel Hayat, “Les journaux rouges du « printemps 1848 ». Le Journal des travailleurs et Le Tocsin des travailleurs”, in Thomas Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward Castleton, Ludovic Frobert et François Jarrige (ed.), Quand les socialistes inventaient l’avenir (1825-1861), La Découverte, 2015, p.293-306.
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