De l’importance d’un soutien large de penseur-euses et batisseur-euses de la ville
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Nous, penseur·euses, concepteu·rices, nous habitant·es de quartiers à la recherche de nouvelles manières d’habiter la ville dans un climat d’urgence climatique et sociale, observons avec attention des expérimentations remarquables et inspirantes, à l’instar de celle du Quartier libre des Lentillères. Pour nous, à Dijon comme ailleurs, il s’agit aujourd’hui que les usager·es qui s’approprient la vie de leurs quartiers puissent concrétiser leur inventivité sociale et écologique.
Le Quartier libre des Lentillères s’est constitué dans la défense de 8 hectares de terres maraîchères cultivables contre la bétonnisation. Ce combat s’est notamment traduit par une occupation vivante du territoire au sein duquel se sont déployés – au-delà d’environ 80 jardins potagers et champs communs – une multitude d’autres usages : fêtes populaires, création artistique, accueil de personnes exilé.es, ateliers, artisanat, auto-construction écologique, solidarités concrètes avec diverses luttes. La résistance a fini par porter ses fruits: fin 2019, le maire annonce que le projet d’”éco”quartier en béton qui menaçait les lieux est abandonné. Les Lentillères – dont la réalité déborde de loin le caractère réducteur des zonages cloisonnés du Plan Local d’Urbanisme- proposent alors la création d’un nouvel outil juridique à même de maintenir l’hétérogénéité des usages: la Zone d’Écologies Communale (ZEC). Mais cette tentative d’inventer le droit, de la tordre grâce au réel, qui a suscité tout notre intérêt, est menacée par le revirement politique de la municipalité. Celle-ci a dévoilé un nouveau projet de « front bâti » sur une partie des terres occupées et cultivées. Dans le même temps, elle s’est engagée dans un processus de répression de l’auto-construction de “maisons communes” pour le quartier : des convocations nominatives envoyées par la police ainsi que plusieurs documents administratifs émanant des services de la mairie semblent bel et bien avoir pour objectif de dissuader la poursuite des travaux de ces bâtiments collectifs.
Malgré les menaces actuelles et le mépris affiché de la mairie qui tente de stigmatiser des pans essentiels du quartier en les qualifiant de « bidonville », les Lentillères continuent à s’enraciner en inventant de nouvelles formes architecturales, urbaines et juridiques. Nous jugeons urgent de nous en inspirer et de les soutenir.
Défendre des quartiers qui émanent de celleux qui les habitent
Le « bidonville » des Lentillères devra être nettoyé pour que s’étende l’ « éco-cité des maraîchers ». Mais l’ « écocité » se résume ici à une série de dispositifs techniques d’optimisation à la marge et d’esthétisation des façades et des espaces verts. Continuer de construire à tout prix, même lorsque la demande de logement ne suit pas, est devenu le leitmotiv de nombreuses villes, quitte à sacrifier les dernières terres maraîchères urbaines sur l’autel de l’économie du BTP et de l’ambition « Métropole ». “Construire la ville sur elle-même“, voilà le slogan marketing qui sied à cette politique, en camouflant la destruction des derniers espaces de respiration des centres urbains. Un mot d’ordre hypocrite quand les zones commerciales et industrielles continuent dans le même temps à s’étendre toujours plus loin.
Et si l’ « éco-quartier » s’était déjà réalisé en se passant des aménageurs ? Alors qu’il est difficile pour nous d’échapper aux rouages de la fabrication de la ville par le haut (lobbying,maquettes séduisantes, concertations partielle et autres), la vie du Quartier libre des Lentillères a été élaborée pas à pas, par les habitant·es du coin, les passionné·es de plantes, les féru·es de cultures en tout genre, les individus en recherche de collectif, les voyageur·euses longue et courte distance, etc. Ce tissu a su revitaliser l’ancienne ceinture maraîchère vouée au béton à travers des pratiques d’autogestion quotidiennes : les longues assemblées, les chantiers collectifs, les fêtes, les concerts, les apparitions urbaines, les marchés ont participé entre autres à créer une culture de la multiplicité, propice à l’émergence de communs.
Au fil des années, sur les anciens terrains bâtis et autour des jardins, divers habitats collectifs ou individuels ont vu le jour. Des maisons abandonnées depuis des années ont été rénovées, cabanes et caravanes ont pointé le bout de leur nez. Autant d’habitats réversibles questionnant une époque où l’on doit enfin cesser d’artificialiser. Que ses habitant·es et usagèr.es soient venu·es constituer aux Lentillères une forme d’utopie politique ou un refuge contre la précarité et la brutalité des politiques migratoires, elles et ils sont partie prenante de ce qui fait la force de ce quartier.
Tordre le droit : la zone d’écologie communale-ZEC
La proposition juridique de la Zone d’Ecologie Communale est survenue comme une réponse du quartier face à l’inadéquation entre les possibilités juridiques réservées par les PLU et la réalité empirique. La ZEC est une case inventée de toute pièce pour arracher un peu d’espace au code de l’urbanisme, elle ouvre une bataille sur le terrain de l’imaginaire autant que du droit. Contrairement au PLU qui divise le territoire en plusieurs zones spécifiques (Zones Urbaines, Zones à Urbaniser, Zones Agricoles, Zones Naturelles), la ZEC affirme l’existence et la nécessité de l’entremêlement de divers usages – logement, culture, production, liens sensibles – en un même lieu, avec pour critère transversal le soin de la co-habitation entre humains et non-humains.
Dans la ZEC, c’est l’assemblée des usagèr·es qui doit réfléchir et décider des fonctions des espaces. La prise en charge d’un territoire est alors laissée à celles et ceux qui en dépendent et en prennent soin, assurant ainsi des réponses au plus près des besoins communs.
Proposer un nouveau type de zonage « par le bas » ouvre ici une brèche impertinente et joyeuse. Celui-ci bouscule nos imaginaires trop contenus sur les manières de voir le droit et l’avenir des villes par temps de crise climatique. Partie d’une histoire singulière, la ZEC a l’immense intérêt de proposer un paradigme urbanistique et politique sur lequel il est possible pour d’autres de se projeter et se donner un sens commun.
Extraits : “À l’article 3, la ZEC affirme une nouvelle vision de l’architecture, où, à l’alinéa “façades”, il est indiqué d'”éviter autant que possible l’uniformité des teintes, et tout particulièrement les nuances de gris”, à l’article 5, qui concerne les axes de circulation, “la circulation des véhicules et engins motorisés est interdite” et “une attention sera portée aux sentes en vue de leur préservation”. Cela parle encore d’assainissement, de mixité de l’habitat, d’interdiction d’activités commerciales non coopératives. “
BATIR LES COMMUNS – en défendre la « maison »
En janvier 2021, un chantier a commencé : construire « la maison commune » du quartier. Cet ouvrage est le manifeste d’un bâtir autrement. De l’arbre à la poutre, des discussions aux décisions, il a fallu du temps et des engagements pour définir à différentes échelles – groupes de travail, assemblée de quartier, collectifs de bâtisseur·euses – comment bien construire un espace collectif plus grand, plus confortable et plus identifiable pour répondre au mieux aux besoins multiples des activités du quartier.
La charpente traditionnelle, levée et fêtée, dessine déjà des espaces pour se réunir, s’organiser, banqueter, danser, distribuer les productions maraîchères en direct ou les transformer. Elle clame haut et fort qu’habitant·es et usagèr·es peuvent concevoir et construire une « maison de quartier ».
Les liens quotidiens entre usager·es et bâtisseu·ses et la confrontation de leur exigences ont transformé plusieurs étapes de la construction en un grand chantier-école. Il a fallu mêler conception bioclimatique, sylviculture douce, sciage mobile, charpente et maçonnerie traditionnelles pour produire d’un côté les matériaux et de l’autre une vision écologique du projet avec le quartier. Dans un second temps, des techniques de construction collective ont pu être définies et mises en œuvre. Il a fallu avant tout saisir ce qu il en coûte de bâtir ensemble et selon une volonté propre aux usagèr·es. Différentes associations, constructeurs, constructrices et architectes portent ces manières de faire en divers endroits du pays depuis des années. Continuer à partager ces pratiques, c’est s’extirper progressivement de l’impérialisme du béton et de la binarité entre habitant·es et aménageu.ses. Pour ça, il leur faut trouver des espaces visibles. Les Lentillères en sont un.
Pourtant, la mairie cherche aujourd’hui des voies administratives et légales pour stopper la construction de ce bâtiment, entre autres. Là où devait s’ériger une horde d’immeubles en béton, une maison commune en bois et matériaux bio-sourcés ne serait pour eux pas “constructible” !
Fédérons nos bifurcations
Nous qui écrivons cette tribune souhaitons prendre part aujourd’hui à un réseau de soutien à même de réagir en cas d’attaques diverses sur le Quartier libre des Lentillères, et l’accompagner dans ses propositions de réinvention du rapport à l’urbanisme.
D’entre nous serons présent à la fête des 12 ans du quartier du 26 au 29 mai.
Nous demandons à la municipalité de renoncer à son nouveau projet d’urbanisation d’une partie des terres du quartier. Nous lui demandons de donner la légitimité aux habitant·es, aux usager.ères du quartier et à ses constructions pour penser l’avenir du lieu.
Si nous nous positionnons aux côtés des Lentillères et de la ZEC, c’est pour ce qu’elles augurent de vraies bifurcations, loin des récits biaisés d’une transformation urbaine encore incapable de s’émanciper des logiques délétères de croissance, d’extractivisme et de marchandisation.
Ce texte à été proposé par le comité Défendre.Habiter et signé par 190 personnes, habitant·es de quartier ou professionnel·les impliqué·es.
Signataires :
Bernard Dubois, scieur
Damien Najean, architecte
Tibo Labat, architecte
Barbara Glowczewski, directrice de recherche au CNRS
Josep Rafanell I Orra, psychologue & ecrivain
David Gé Bartoli, philosophe
Alessandro Stella, Directeur de Recherche au CNRS
Marie Menant, architecte
Emilie Hache, philosophe
Camille Louis, philosophe et dramaturge
Yves Citton, professeur à l’Université Paris 8
Stéphane Tonnelat, chercheur
Marielle Macé, enseignante
Claire Mélot, architecte,
Carina Luna, artiste-plasticienne
Pierre Couturier, maître de conférences à l’Université Clermont Auvergne
Geneviève Pruvost, chargée de recherche au CNRS
Catherine Clarisse, architecte enseignante
Benoit Rougelot, architecte du vivant et co-président du RFCP
Éric Olivié-Gaye, néoplouc de 20 ans de cabanes forestières
Paul Lacoste, permanence juridique HALEM
Marie Durand, architecte-Urbaniste / Maître de Conférence Associée
ENSA-Marseille
Christophe Bonneuil, historien
Anahita Grisoni, Sociologue et urbaniste
Noël Barbe, anthropologie
Sabine Guth, architecte enseignante
Tony Savinel, constructions
Jérôme Baschet, historien
Groupe De Recherche Et D’action Sur La Production De L’espace,
architectes agitateur.ices
Perrine Philippe, Architecte
Gilles Clément, paysagiste
Amar Gilles, responsable Bergerie des Malassis
Violaine Mussault, paysagiste et enseignante
Association Les Sapros
Aline Goguel, étudiante en politiques urbaines
Ariane Cohin, architecte et auto-constructrice
Aline Goguel, étudiante en politiques urbaines
Tiffany Timsiline, Architecte
Jean-Louis Tornatore, Anthropologue
Martin Paquot, rhapsode de la revue Topophile
Paul Citron, urbaniste
Laurent Jeanpierre, politiste
Margot Clerc, Architecte
Violaine Mussault, paysagiste conseil de l’Etat et enseignante
Didier Gueston, architecte urbaniste
Perrine Philippe, architecte militante
Laurence Dugand, plasticienne
La Commune De Chantenay, collectif d’habitants
Odile Girod, artiste
Philippe Descola, Anthropologue
Maxime Zaït, juriste, co-fondateur de Communa
Alessandro Pignocchi, auteur de BD
Camille Molle, paysagiste atelier Bivouac
Fanny Taillandier, autrice – membre de la Preuve par 7
Anahita Grisoni, Sociologue et urbaniste
Léna Lazare, membre de Youth For Climate
Geneviève Azam, économiste
Flaminia Paddeu, géographe
Anne Vernaton, citoyenne-voisine-jardinière
Yannick Sencébé, sociologue
Morgane Petiteau, membre de Nantes en commun – mouvement municipaliste
Corinne Morel Darleux, écrivaine
Matthieu Rakotojaona, ingénieur Développement Logiciel
Elisabeth Dau, directrice de recherches programme “municipalisme,
territoires et transitions”
Serge Gutwirth, juriste et professeur
Isabelle Stengers, philosophe
Noémie Régeard, doctorante en géographie
Vinciane Despret, philosophe
Agnès Bonnaud, géographe, université Lyon 2
Olivier Jaspart, juriste en droit administratif des biens communs
Philippe Borrel, auteur & réalisateur de films documentaires
Sylvain Picard, responsable Administratif SCIC
Sylvaine Bulle, enseignante-chercheuse, sociologue
Anne Emmanuelle Berger, universitaire
Arnaud Chiffaudel, Chercheur ,
Yves Cohen, historien, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes
en Sciences sociales
Didier Demorcy, réalisateur
Jean-Baptiste Bahers, chercheur CNRS en géographie
Dehove Claire, directrice de WOS agence des hypothèses
Association Des Ami-Es Des Jardins De L’engrenage
Delphine Plaire, psychotherapeute
Gilles, enseignant chercheur
Eric Dacheux, professeur des universités
François Jarrige, historien
Guillaume Faburel, géographe
Thierry Paquot, philosophe et essayiste
Agnès Sinai, journaliste
Aurélien Gabriel Cohen, chercheur
Alexis Tantet, climatologue
Roxane Schultz, pédagogie et facilitation
Pierre Dardot, philosophe
Alexandre Cheikh, Architecte
La Sève, collectif écoféministe
Ariane Cohin, Architecte – Constructrice
Émilie Deudon, Fondation Un Monde Par Tous
Myriam Bachir, Chercheuse science politique
Patrick Braibant
Hermange Olivia
Chloé Gerbier
Daniel Marsan
Sarah Ador, Architecte
Raphael Pauschitz Rhapsode de la revue Topophile
Lætitia Lebourg, ouvrière agricole
Jean-Claude Grégoire, ingénieur agronome
Hervé Le Crosnier, editeur
Jean-Claude Grégoire, ingénieur agronome
Sébastien Shulz, post-doctorant en sociologie à l’université Paris-Nanterre
Nina Chiron, écoféministe
Dorine Julien, chargé de production en art
Emmanuelle Zelez, monteuse
Oana Bonnaud-Cartillier, etudiante
Michaël Ricchetti, habitant-bénévole
Didier Labertrandie, syndicaliste
Dominique Hébert, connecteur, transitioner, commoneur, entrepreneur
Alessia Tanas, chercheuse
Jérémie Cavé, chercheur
Jonathan Attias, désobéissance fertile
Barbara Métais-Chastanier, autrice & dramaturge
Eric Lesaunier, retraité
Genevieve Manuelian, retraitée
Adrien Pittion-Rossillon, enseignant retraité
Yasmina Krawczyk, kinésithérapeute
Valérie Cordy, directrice d’une institution culturelle
Adrien Pittion-Rossillon, enseignant retraité
Seb Godret, pluriculteur
Marlène Tuininga, journaliste militante
Claire Oberkampf, musicienne
Benoît De Cornulier, associatif
Monique Charles, infirmière retraitee
Monique Charles, infirmière retraitee
Camille Oneglia, chargée de production et d’administration- scic culturelle
Audrey Clavier, adjointe administrative
Martine Dubois, avocate honoraire
André Charles, professeur d’allemand retraité
Corine Luc
Pol Usieto-Dubois, médecin
Jean Pascal Derumier
Pierre Bonneau, enseignant retraité
Morgane Cournarie, citoyenne
Geneviève Biscarros, enseignante retraitée
Benoît De Cornulier, citoyen
Anne-Lise Valla, retraitée
Carole Chaumont
Laurence Pelé
Raphaël Galley
Dauvergne Chloé
Marie-Agnès Poussot
Christine Lesaunier
Christophe Flandrin
Alice Bourgeois
Agnès Salomon
Karima
Mathilde Meignan
Michel Manuelian
Louise Cousyn
Yasmina Krawczyk
Flore Messager
Isabelle Roland
Laura Rodriguez
Nicolas Debaive
Isabelle Roland
Maurice Voineau
Anne Durand
Marie Thérèse Weisse
Jeanne Mourge
Chloé Berger
Christel Grange
Pascal Dub
Christine Badin
Béatrice Seuzaret
Frédéric Sultan
Flore Berlingen
Christine Excoffier
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Bernard Brunet
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