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Mercredi 13 avril 2022 – 17h30-20h30 à La Parole Errante (9 rue François Debergue, 93100 Montreuil)
Entrée libre – Pas de visio-conférence ni d’enregistrement – Inscription nécessaire ici.

Présentation de la séance

La tragique guerre en Ukraine et ses conséquences sur les approvisionnements d’énergie ou de denrées alimentaires ont brutalement rappelé l’ampleur des dépendances des sociétés industrielles. Nous sommes ligoté·es par ces « attachements », concrètement tissés de nos infrastructures nationales et transnationales, de nos modes d’habiter et de consommation, de stratégies énergétiques et d’imaginaires de prospérité matérielle. Ce sont ces mêmes dépendances que les multiples rapports climatiques ou écologiques pointent depuis longtemps : mais la situation géopolitique d’aujourd’hui nous fait un peu plus concrètement sentir ce que signifierait une sortie complète des énergies carbonées. Et, partant, ce que pourrait signifier prendre au sérieux une limite. 

Le thème des limites matérielles possède certes une longue histoire dans la modernité industrielle : qu’il s’agisse de celle de l’exploitation forestière au XVIIIe siècle, du charbon dès le XIXe siècle, ou de celle des peurs de pénuries de ressources au début du XXe siècle. Mais, précisément, l’histoire nous montre que, tendanciellement, chaque phase de conscientisation environnementale ne s’est pas accompagnée d’une autolimitation, mais au contraire d’un approfondissement des causes et des effets du ravage écologique. 

La tendance historique majoritaire relève aujourd’hui de multiples formes de greenwashing, c’est-à-dire de techniques de gestion du désastre écologique et climatique qui permettent de conserver les structures essentielles de la société industrielle et de son économie capitaliste. Greenwashing donc, non pas seulement pour faire passer des services ou des objets comme écologiques alors qu’ils ne le sont pas, mais comme diversion politique généralisée : faire croire qu’en branchant notre vie quotidienne sur la 5G, en achetant des voitures électriques, en créant un marché carbone, en compensant des milieux écologiques détruits, en capturant du CO2 dans l’atmosphère, en financiarisant les risques climatiques et les écosystèmes, il s’agit bien de changer le système et non pas le climat ou la biosphère1.

Pour prendre la mesure du scandale, regardons seulement la question climatique. Le dernier rapport du GIEC préconise une ascèse de CO2 dès 2025, pour atteindre une diminution de près de 90% de gaz à effet de serre par rapport aux émissions actuelles. Or, jetons un rapide coup d’œil vers le passé : la crise de 1929 provoqua une diminution d’environ 30% des émissions de CO2 aux Etats-Unis et de 23% de l’Europe continentale (1929-1932). Entre 1943 et 1945 les émissions du vieux continent sont divisées par deux. Entre 1990 et 1997, les émissions soviétiques chutent de 40%. Ces quelques éléments laissent entrevoir l’ampleur de la tâche à accomplir… et de l’abîme qui nous en sépare2

Deux questions découlent d’une telle situation. Tout d’abord, comment démasquer et abattre l’imaginaire techno-solutionniste encore dominant, dès lors qu’il prend la forme de la défense de l’écologie, des humains, voire de notre santé et de notre survie ? Comment contourner la gestion de la catastrophe par la croissance verte ?

Ensuite, quel imaginaire lui substituer dès lors qu’on prend acte du fait que, dans le contexte actuel, il nous faudrait laisser dans le sol presque la totalité des énergies carbonées ? Autrement dit, comment se saisir de notre situation si nous ne devons pas faire une transition énergétique mais bien une amputation énergétique ? Cette question se double d’une autre, qui n’est pas moins importante : comment dépasser l’hypothèse de la généralisation des marginalités dissidentes et penser une transformation socio-écologique accessible au plus grand nombre ?

Afin d’explorer ces questions, nous accueillons l’économiste Hélène Tordjman, enseignante-chercheuse à l’université Sorbonne Paris-Nord au sein du laboratoire Centre de recherche en économie de Paris Nord, et l’historien Jean-Baptiste Fressoz, chargé de recherche au CNRS et rattaché au Centre Alexandre Koyré. Chaque intervenant·e fera une présentation d’une trentaine de minutes, puis nous ouvrirons directement les discussions avec les personnes présentes.

Quelques publications des intervenant·es

Jean-Baptiste FRESSOZ, L’Apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique, Paris, Seuil, 2012

Jean-Baptiste FRESSOZ, « La main invisible a-t-elle le pouce vert ?. Les faux-semblants de « l’écologie industrielle »au xixe siècle », Techniques & Culture. Revue semestrielle d’anthropologie des techniques, no 65‑66, 2016, p. 324‑339

Jean-Baptiste FRESSOZ, « Pour une histoire des symbioses énergétiques et matérielles », Annales des Mines – Responsabilite et environnement, vol. 101, no 1, 2021, p. 7‑11

Jean-Baptiste FRESSOZ et Fabien LOCHER, Les révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècles, Paris, Seuil, 2020

Hélène TORDJMAN, « The construction of a commodity: The case of seeds », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 63, no 6, 2008, p. 1341‑1368

Hélène TORDJMAN, La croissance verte contre la nature, La Découverte, 2021

Hélène TORDJMAN et Valérie BOISVERT, « L’idéologie marchande au service de la biodiversité ? », Mouvements, vol. 70, no 2, 2012, p. 31‑42

Articles connexes dans Terrestres

François Jarrige et Alexis Vrignon, Défataliser l’histoire de l’énergie, mars 2020

Frédéric Durand, Nucléaire : une fausse solution pour le climat ?, 16 fevrier 2022

Jean-Baptiste Fressoz, Bolsonaro, Trump, Duterte… La montée d’un carbo-fascisme ?, 12 octobre 2018

Jean-Baptiste Vidalou, Démanteler la technosphère, 30 septembre 2020

Notes

  1. Voir ouvrage récent par Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières, Greenwashing, Seuil, coll. Anthropocène, 2022[]
  2. cf. https://ourworldindata.org/ ou www.globalcarbonaltlas.org[]