Aux messieurs philosophes nous voulons dire que la civilisation ne nous a rien appris, sinon que la ruine, telle que le feu, se propage1.
Avoir un blanc, il n’y a rien de plus courant : tu te rassures en te disant que ça va revenir, que c’est l’effet de l’émotion ou de la fatigue. Ce nom que tu as oublié et qui se tient là, sur le bout de ta langue, comme pour mieux te narguer, il finira bien par sortir… Mais il arrive parfois que notre vie elle-même nous échappe, qu’elle nous devienne étrangère, comme une chienne que l’on croyait à jamais fidèle, et qui, profitant d’un jour d’orage et de tempête, serait partie rejoindre les loups – partie pour cette vie sauvage qu’un dressage millénaire aurait dû effacer de sa lignée. C’est dans ces moments-là, qu’à toute emprise nous opposons le vide, la défection, la chute, l’inservitude d’un rire qui nous fait voler en éclats tranchants – inassimilables.
Tu ne sais plus quand cela a débuté, ce refus plus ou moins conscient de correspondre au rôle et à la place qu’on t’assignait. Ta révolte était silencieuse et immobile, et relevait moins de l’affrontement que de l’esquive. « Cet enfant est un vrai petit sauvage ! »… Combien de fois as-tu entendu ces mots dans la bouche de grandes personnes dissertant sur ton cas. Tu n’aimais pas parler, tu ne voulais pas te laisser capturer par les termes des autres, ces mailles invisibles qui nous entravent, qui encadrent nos mouvements et nos pensées, et tendent ainsi à déterminer qui l’on est.
La première chose qui t’a plu chez Tarzan, c’est son mutisme : tu avais l’impression qu’il partageait avec toi une même défiance vis-à-vis du langage. On pouvait donc être « homme-singe » et héros ! C’était toi le seigneur de la jungle qui s’élançait de liane en liane, par-delà l’écran, et qui déployait une vie aussi sauvage que libre, sans pantalon, sans chaussures, sans feu rouge ni sens interdit, sans tous ces immeubles qui raturent l’horizon de Paris – une vie qui ne pouvait s’exprimer pleinement qu’au-delà des mots, dans ce cri cyclonique que tu rêvais toi-même de pousser en pleine rue ou dans les couloirs du métro. Mais le lendemain du passage de Tarzan à la télé quelque chose d’étrange t’arriva dans ta petite école du 15e arrondissement, c’était comme si le film se poursuivait ou plutôt te poursuivait : des cris de singes, des « umgawa », des « cheetah », des « bamboula » fusaient de toutes parts. C’est sans doute à ce moment-là que tu as compris que tu ne faisais pas partie du camp des vainqueurs, des Colomb et des Livingstone. Tu aurais voulu disparaître sous terre, frotter, frotter, encore frotter avec du savon, de la lessive, de la javelle cette peau qui ne pouvait être tienne, tu aurais voulu la poncer jusqu’à en ôter toute obscurité, jusqu’à devenir transparent.
Après toute une tranche de vie blanchie à la chaux de l’intégration – à suivre, à ton insu, l’injonction permanente à s’oublier, à s’effacer –, tu n’étais plus qu’un zombi : une créature errante et apathique. Rien d’étonnant donc si, après qu’un ami t’en eût parlé, l’indocilité des « nègres marrons » ait fini par te hanter. A la moindre brise, il te semblait ressentir le souffle rauque de ces hommes et ces femmes qui, dans leur course folle pour échapper aux molosses, arrachaient leur livrée de domestique pour endosser l’ombre striée des feuillages. Depuis, tu ne sais pas vraiment où tu vas, tout ce que tu sais c’est qu’il te faut courir pour ne pas perdre l’équilibre sur le fil tendu : courir et, sous le frottement incandescent du vent, perdre tes peaux mortes – ta peau d’esclave.
En finir avec la forêt vierge
Amazonie, bassin du Congo, archipels de Mélanésie… ; pour l’Occidental, suivre du doigt la ligne de l’équateur, c’est activer tout un imaginaire de la forêt vierge où le cannibale côtoie la vahiné, le bon sauvage la farouche amazone, l’Eldorado l’enfer vert. Derrière cette figure de la « nature sauvage » qui continue à hanter la notion scientifique de « forêt primaire », il y a « un déni d’humanité envers les sociétés forestières autochtones »2). Ce déni n’est pas dissociable d’un déni d’historicité propre à la mécanique coloniale : « Le colon fait l’histoire. Sa vie est une épopée, une odyssée. Il est le commencement absolu. »3, nous rappelle Frantz Fanon. Alors que le « barbare » – qui surgit des steppes ou des déserts – ne se définit que dans le rapport à une civilisation (qu’il cherche à détruire ou à s’approprier), le « sauvage » – l’habitant de la sylve (latin silva, « forêt », racine de « sauvage ») – n’est jamais perçu que sur fond d’une mère nature dont, tel un enfant, il se détache à peine : il « n’est pas assez entré dans l’Histoire »4.
Si les forêts tropicales apparaissent d’emblée comme des terres vierges, c’est parce qu’aux yeux des Européens elles ne comportent aucune inscription, aucune trace d’histoire, de monument, de route, de cité digne de ce nom. A la nudité des corps sauvages – caractéristique récurrente dans les récits coloniaux – répond la nudité des territoires sylvestres. Terre immaculée, l’Amazonie est traitée par les conquérants comme une page blanche où apposer leur marque : chaque plantation gagnée sur la jungle, chaque avant-poste ou ville fondés, chaque route tracée met en scène le grand récit de la « civilisation ».
Il est temps d’en finir avec cette fable de la forêt vierge qui résonne comme un appel au viol5. L’expression « forêt vierge », apparue lors de la conquête des Amériques, renvoie à l’image biblique du jardin d’Eden, à l’idée d’une nature innocente, pure, authentique car n’ayant jamais été pénétrée par l’« Homme ». La forêt vierge n’est pas une métaphore anodine, elle fait écho au principe juridique romain de la terra nullius qui, parce qu’il définissait une terre comme « sans maîtres », en légitimait d’avance la colonisation. La doctrine chrétienne de la « Découverte », formulée à l’occasion de la bulle papale de 1455, stipule que « tout monarque chrétien qui découvre des terres non chrétiennes a le droit de les proclamer siennes car elles n’appartiennent à personne. »
Avant donc d’être un discours idéologique (niant la destruction des Juifs d’Europe, le génocide des Amérindiens ou l’esclavage et la traite négrière), le négationnisme est l’opération même de la colonisation : la négation de l’inscription du colonisé sur son propre territoire, sauf au titre de décor, de faune pittoresque, d’élément accessoire et donc superflu. On comprend pourquoi dans Tarzan les « nègres » n’apparaissent le plus souvent qu’en arrière-plan, presque hors du cadre : créatures taillées dans la nuit de la sauvagerie dont la chute d’une falaise ou la dévoration par les crocodiles ne suscite pas plus de compassion que la mort d’une bête de somme. « Exterminez toutes ces brutes ! », c’est ainsi que se conclut, dans Au cœur des ténèbres6, le rapport sur la mission civilisatrice de l’homme blanc. De l’humanité niée au génocide, le pas est vite franchi comme l’attestent tant d’exemples dans l’histoire récente. Dans des régions comme la Papouasie occidentale (Indonésie) ou l’Amazonie, l’écocide n’est pas dissociable de la tentation du génocide : « Quel dommage que la cavalerie brésilienne ne se soit pas montrée aussi efficace que les Américains. Eux, ils ont exterminé leurs Indiens »7.
Une politique de la mémoire brûlée
La colonisation est « géo-graphie » au sens propre : marquage et modelage d’une terre « païenne » perçue comme vide de sens, comme un néant. « La carte est l’instrument d’une domestication du territoire de l’Autre. (…) Avant la conquête, l’environnement de l’habitant des lieux était encore amorphe. Il appartient au colonisateur, figure quasi divine, de donner forme à l’espace ». La carte coloniale assure la lisibilité des terres sauvages et esquisse leur destinée en mettant en valeur les éléments (routes, ports, forts, rivières navigables, plantations, etc.) qui permettront, à terme, de les apprivoiser, de leur donner forme humaine. Mais dans le même mouvement, elle rejette dans l’angle mort – dans le néant d’un espace blanc – le couplage des mémoires indigènes et végétales : la façon dont les Amérindiens, par exemple, au fil des millénaires, par leurs itinérances, leurs pratiques horticoles, leurs rituels chamaniques, la variété de leurs habitats, etc. ont fait de l’Amazonie non seulement un vaste jardin, mais un cosmos : un monde peuplé d’ancêtres, d’esprits animaux, d’êtres du rêve, de forces élémentaires qui, continuellement, donnent sens à des territoires de vie. La multiplication exponentielle des incendies en Amazonie ne saurait donc se réduire à la destruction d’une « forêt primaire » : elle constitue un véritable cosmocide.
L’incendie, le 2 septembre 2018, du Musée National de Rio8 s’inscrit dans la continuité de ce cosmocide sans fin qui a commencé avec l’arrivée des premiers conquistadores. L’abandon dans lequel était maintenu cet édifice et centre de recherche depuis de nombreuses années, cet abandon n’avait rien de passif ; ce n’était pas le fruit d’une négligence mais d’une politique délibérée (appliquée également à tout ce qui relève du public, en osmose avec la mécanique néolibérale). L’abandon constitue une des modalités du pouvoir du souverain : un droit de mort exercé en différé. L’abandon est bannissement du commun : il expose aux intempéries, aux maladies, à la dislocation, au dépérissement, à la mort ce qui est abandonné ou banni ; que ce soit un individu, un bâtiment historique, des documents et objets supports de mémoire, des populations, etc. Avec cet incendie, ce sont aussi des preuves matérielles de l’inscription territoriale des communautés amérindiennes (mais aussi afrodescendantes) qui sont parties en fumée, fragilisant encore davantage les garanties de leurs droits civils, culturels et territoriaux.
« Avec cette destruction, le Brésil a perdu, le monde a perdu, mais nous, les peuples amérindiens, nous avons perdu beaucoup plus. Le Musée national a toujours été une référence et un refuge pour la recherche. Il contenait la plus importante collection historique amérindienne du Brésil ; là se trouvaient les registres de base pour la délimitation des territoires autochtones ainsi que des enregistrements de peuples considérés aujourd’hui comme disparus. Si ces peuples se sont éteints et que leurs enregistrements ont brûlé, ils pourraient alors définitivement disparaître de l’Histoire » 9.
Aujourd’hui, sous le nom de code « développement », c’est toujours la même « mission civilisatrice » qui dévaste l’Amazonie. Dans la plus pure tradition coloniale, Bolsonaro considère les Amérindiens comme inaptes à mettre en valeur leurs terres. En se les appropriant, grands propriétaires terriens et multinationales ne feraient donc qu’œuvrer pour le bien commun tout en repoussant les frontières de la « sauvagerie ». Cette politique de la terre brûlée est une politique de la mémoire brûlée : la production accélérée d’une surface vierge et homogène prête à être éventrée, balafrée, pressurée jusqu’à la dernière goutte par les conquistadores sans visage du capitalisme globalisé.
Géo-graphie du néant
Il nous faut questionner le « blanc » dans son rapport à l’oubli, à l’extraction des mémoires qu’exige l’extraction des « ressources naturelles » et des « ressources humaines ». Questionner le blanc en tant que modalité d’inscription du pouvoir colonial. Le blanc comme opération de néantisation des mondes autres, comme opération de zombification des corps et des territoires autres. Le blanc est non seulement métaphore du pouvoir, mais aussi géo-graphie du néant. Le colon, dans un même mouvement scripturaire, opère un lessivage des mémoires indigènes et un blanchiment de l’histoire qui l’innocentent de ses crimes tout en le consacrant héros civilisateur. La surface vierge, la terra nullius, l’espace blanc, c’est le mythe par excellence d’un pouvoir colonial ou « moderne » qui n’opère qu’en faisant table rase des forces vives du passé, afin de mieux modeler, assujettir, exploiter corps et territoires indigènes.
« L’éveil de Robinson au travail capitaliste et conquérant d’écrire son île s’inaugure avec la décision d’écrire son journal, de s’assurer par là un espace de maîtrise sur le temps et les choses, et de se constituer ainsi, avec la page blanche, une première île où produire son vouloir »10.
Michel de Certeau voit dans Robinson Crusoé le roman de l’écriture, le roman de ce pouvoir d’inscription proprement capitaliste et colonial qui définit l’Occident. Un pouvoir moderne qui opère d’abord à travers une prise d’écriture sur les terres indigènes et sur les communs11 en général. C’est, en premier lieu, sur une page blanche que le sujet moderne, l’ego conquérant, impose sa volonté, disqualifiant par là même autant les voix indigènes que les savoirs mineurs du paysan, de l’artisan, de la sage-femme (criminalisée en « sorcière »), etc. ; tous relégués dans la pénombre suspecte de l’oralité.
Si le « blanc » en tant qu’oubli constitue une étape essentielle de la fabrique cartographique, c’est parce qu’il participe d’une mécanique du désir, d’une érotique de la prédation : on recouvre une terre indigène d’un voile de virginité – l’innocence de ce qui n’a pas d’histoire – pour pouvoir mieux la violer. Comme le souligne Matthieu Noucher, « les acteurs de la colonisation ont ainsi participé au blanchiment des cartes en effaçant certains repères pour créer de toutes pièces un espace vide qui devenait alors un espace à conquérir. »12 Le blanc des cartes est donc le produit d’une opération stratégique de blanchiment de l’histoire, de lessivage de la mémoire des territoires.
Vivre dans le blanc des cartes
Mais si la carte est l’instrument d’une domestication du territoire, alors vivre dans l’ombre – dans le blanc des cartes –, ce n’est ni être marginalisé ni fuir, mais s’enfouir dans l’humus d’une terre indomptée : faire corps avec elle au point de s’y fondre. Bien qu’ils soient les grands oubliés des projets cartographiques en Guyane, les Businenge – « noirs marrons » de Guyane et du Surinam – ne se présenteront jamais comme les victimes d’une « invisibilisation ». En effet, il y a chez eux une défiance séculaire vis-à-vis des cadres de connaissance et de reconnaissance institués. Dans leur cas, vivre dans le blanc des cartes, c’est s’extirper délibérément de la carte des « Blancs ». Vivre dans le blanc des cartes, c’est rester fidèle à un mode de vie et de résistance furtif qui a permis la survie de leurs ancêtres et l’éclosion d’une culture « ombrophile ». Les frontières des territoires marrons ne pouvaient se maintenir en effet que dans leur propre effacement, que par le brouillage continuel des radars des maîtres.
Avec la sécession marronne, la résistance au système esclavagiste (sabotages, suicides, révoltes, empoisonnements, etc.) change de théâtre d’opérations. C’est une résistance « territoriale » : elle fait corps avec un territoire labyrinthique dont les méandres et accidents constituent autant d’alliés naturels pour les rebelles. Le marron ne fuit pas, il s’esquive, se dérobe, s’évanouit ; et à travers son repli, il déplie des espace-temps inédits : le « quilombo » (Brésil), le « palenque » (Amérique hispanique), le « mocambo » (Sao Tomé, Brésil), le « camp de marron » (colonies françaises), etc. Dans les Amériques, le rapport de soin à la terre est intimement lié chez les Afrodescendants à l’héritage du marronnage (fuites et résistances créatrices des esclaves), à l’usage libérateur de la forêt comme refuge, comme espace de camouflage et de reconstruction de soi. Ici, par « forêt », il faut moins entendre un « environnement » que la poussée indocile du vivant qui, toujours, s’oppose en nous au mouvement courbe de l’humiliation, de la servitude contrainte ou volontaire. Le camouflage – se confondre avec le milieu de vie dans lequel nous évoluons jusqu’à s’y évanouir – suppose une écologie des sens : sentir le vent, le soleil, la pluie, les éléments nous pénétrer par tous les pores et en épouser le cycle des mutations. Percevoir jusqu’à devenir imperceptible.
Le sauvage a toujours eu horreur du « naturel »
Dans mes écrits, c’est à partir de la privation radicale de monde et de corps que constitue l’esclavage (dont l’imaginaire vodou de la « zombification » constitue la contre-anthropologie13) que j’ai été amené à penser les corps en mouvement, et à en méditer les puissances utopiques : la capacité, par exemple, à produire un « dehors » à partir de l’échappée d’un chant ou d’une danse, au sein même d’un dedans asphyxiant (la plantation esclavagiste). A l’origine, dans les îles à sucre espagnoles, « cimarron » (racine du français « marron ») désigne l’animal domestique qui s’enfuit pour retourner à la vie dans les bois. Par extension, les Espagnols qualifiaient les esclaves fugitifs de « negros cimarrones ». Il faut donc voir dans le marronnage un processus de dé-domestication : un « ensauvagement » libérateur. Être marron, c’est épouser le mouvement d’une liane : se laisser traverser par la sylve tout en la traversant. Le mouvement de libération qu’opère le marronnage doit être pris au sens propre : c’est d’abord une libération du mouvement que met en œuvre un corps dansant – tout pas de danse pouvant être l’esquisse d’une frappe14. Une nature vierge est une nature désarmée. Il s’agit donc de réarmer les corps et les territoires dans lesquels ils s’inscrivent, en les réenchantant par les sortilèges d’une « cosmo-poétique du refuge »15.
Rappelons, pour finir, que le « sauvage » a toujours eu horreur du « naturel », il a toujours été « stylé ». Comment des corps tatoués, scarifiés, incisés, peints, huilés, perforés, parés de plumes, pourraient-ils être nus ? Au-delà de l’incorporation de la loi du groupe, de la production d’un corps-mémoire16, le marquage des corps est un acte de stylisation de soi. Pour les dits « sauvages », un corps est en lui-même une surface d’écriture, il ne devient humain qu’à partir du moment où il est ouvragé : un corps qui n’est pas sculpté est un corps vide de sens. De ce point de vue, c’est le colon qui paraît informe et insensé : sous ses vêtements pudiques sa chair a la nudité d’une page blanche.
En 1988, un militant aborigène débarque à Douvres, y plante le drapeau aborigène et déclare : « Moi, Burnum Burnum, noble de l’antique Australie, je prends ici possession de l’Angleterre au nom du peuple aborigène. (…) Nous sommes venus vous apporter les bonnes manières, le raffinement et la possibilité d’un Koompartoo, un nouveau départ. Pour les plus intelligents d’entre vous, nous apportons la langue complexe des Pitjantjatjara ; nous vous apprendrons comment nouer une relation spirituelle avec la terre et comment trouver de la nourriture dans le bush »17. Suivons donc l’enseignement de ce noble aborigène, et invoquons les esprits de la silva, les esprits « sauvages », afin de conjurer les spectres de Colomb et de l’Eldorado qui ne cessent de faire retour, à travers la recrudescence de projets miniers ou agroindustriels dévastant terres et modes de vie coutumiers sur l’ensemble du globe.
Endossons l’ombre striée des feuillages.
Ce texte est la version remaniée et approfondie d’un texte paru initialement dans le numéro 9 de la revue Jardins.
Légende de la photographie en tête d’article : Boni, Ndyuka, Saramaka, Paramaka, les peuples marrons de Guyane et du Surinam ont un flux pour territoire. Bien qu’ils se désignent collectivement comme les Businenge (de l’anglais « bush negroes ») – les « hommes de la forêt » (« Nenge » ne signifie pas « nègre » dans leurs langues mais « humain ») -, ces communautés afro-amazoniennes se considèrent d’abord comme les maîtres des fleuves et rivières parcourus continuellement sur des pirogues effilées. Sur cette photo de Nicola Lo Calzo, un homme en immersion dans le flux de la vie (« liba », « rivière » est très proche de « libi », « vivre »). Adrien Ajintoena, « obiaman » (devin-guérisseur) et rescapé ndyuka de la guerre civile du Surinam, village de Charvein, Guyane française. Série Obia, Nicola Lo Calzo.
Notes
- « Le mandinguêt. Écriture performative message ancestral », Michelle Mattiuzzi, Jota Mombaça, SaraElton Panamby, Multitudes 2016/4 (n° 65).[↩]
- Xavier Amelot, « Démystifier la forêt », in Atlas critique de Guyane, éd. CNRS, à paraître (septembre 2020[↩]
- Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, in Frantz Fanon, Œuvres, Paris, La découverte, 2011.[↩]
- « L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, 26 juillet 2007[↩]
- « L’interdit est là pour être violé », souligne G. Bataille dans L’érotisme. La sacralisation de la « Nature » ne s’oppose donc pas forcément à son exploitation[↩]
- Roman visionnaire de J. Conrad écrit en 1899, quelques années avant le 1er génocide du XXe siècle : une politique d’extermination perpétrée par le 2ème Reich sur les Hereros et les Namas dans la colonie allemande du « Sud-ouest africain » (Namibie), entre 1904 et 1908.[↩]
- Interview donnée par Bolsonaro, en 1998, au journal Correio braziliense.[↩]
- Centre de recherche le plus important du Brésil en anthropologie (Viveiros de Castro y enseignait), fond le plus riche en artefacts, documents ethnographiques et linguistiques concernant les Amérindiens et les Afrobrésiliens : https://www.autresbresils.net/A-propos-de-l-incendie-au-Musee-National[↩]
- Revue Autres Brésils[↩]
- L’invention du quotidien, M. de Certeau, éd. Gallimard, coll. Folio, p. 205.[↩]
- Processus des enclosures en Europe, à partir de la fin du Moyen-âge, qui exproprie les petites communautés paysannes en soumettant les terres communes au droit de propriété privée (et ses clôtures) – pour le plus grand bénéfice des classes dominantes.[↩]
- « Le blanc des cartes : entre soif d’aventure, désir de connaissance et appétit de conquête », in Atlas critique de Guyane, éd. CNRS, à paraître (septembre 2020).[↩]
- Cf. « Chasse à l’homme », in Fugitif, où cours-tu ?, Dénètem Touam Bona, éd. PUF, 2016.[↩]
- Comme le souligne Elsa Dorlin à propos de danses martiales comme le moringe de la Réunion ou la capoeira du Brésil. Elsa Dorlin, Se défendre, éd. La découverte, 2017.[↩]
- https://www.terrestres.org/2019/01/15/cosmo-poetique-du-refuge/[↩]
- Cf. Analyses de Pierre Clastres dans La société contre l’Etat.[↩]
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Burnum_Burnum[↩]