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Le halo lumineux du laboratoire de l’Andra projetant son aura à des kilomètres au cœur de la nuit. Les patrouilles et les contrôles d’identité incessants. Le conseil municipal d’un petit village encadré par une centaine de gendarmes et des grilles anti-émeute. Nous avons été happés physiquement par ce qui se jouait sur place.

Après deux ans à vivre dans la Meuse, à quelques kilomètres de Bure, nous avons voulu avec cette bande dessinée retranscrire ce que nous y avions vécu, utiliser l’arme du dessin pour donner à voir ce qui se trame dans une des régions les plus désertées de France. Nous avons habité à côté de la maison de la résistance et participé à la lutte contre ce méga projet industriel.  A l’époque, le bois Lejuc où devaient débuter les travaux était toujours occupé par les opposants avec des cabanes dans les arbres et des barricades à l’entrée. Tout une vie mutine et hors norme s’y développait, en lieu et place du futur projet d’enfouissement des déchets radioactifs.

L’ANDRA – l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs – a l’intention de raser cette forêt pour y stocker 85 000 mètres cubes de déchets extrêmement toxiques, issus du combustible usé de nos réacteurs nucléaires. Elle veut creuser à 500 mètre sous terre, 265 kilomètres de galeries, soit une surface équivalente au métro parisien. Le chantier durera plus de 100 ans et il est indispensable pour l’industrie nucléaire. Sans lui, elle ne peut pas affirmer « boucler la fin du cycle » et se prétendre propre.

Si notre livre est à charge c’est avant tout après une analyse factuelle du projet et de ses risques, c’est suite à une investigation de plusieurs années où nous nous sommes intéressés à la manière dont la filière nucléaire s’est implantée sur le territoire.

La Meuse n’a pas été choisie au hasard. La filière nucléaire y a jeté son dévolu après avoir été expulsée partout ailleurs. On compte dans les environs de Bure 6 habitants au kilomètre carré, avec une population vieillissante. Claude Kaiser, un élu local, raconte souvent cette anecdote : lorsqu’il avait rencontré une conseillère du Premier ministre Lionel Jospin, au début du projet, celle-ci lui avait dit de « mettre 10 000 personnes dans la rue à Bar-le-Duc. A partir de là, on pourra peut-être commencer à discuter ». L’élu local lui a répondu que c’était impossible dans la Meuse. « C’est bien pour cela qu’elle a été choisie », a-t-elle alors rétorqué.

Avec la bande dessinée Cent Mille Ans, ce qui nous préoccupe se situe moins en profondeur qu’à la surface. A Bure, nous avons compris que le nucléaire n’est pas seulement un enjeu technique ou une question d’expertise scientifique. Il est avant tout une manière de gouverner : un ordre social qui achète les populations locales, et réprime ses opposants.

Dans La supplication, l’écrivaine et dissidente biélorusse Svetlana Aleksievitch écrivait « Mon livre ne parle pas de Tchernobyl, mais du monde de Tchernobyl (…) [des] sentiments des individus qui ont touché à l’inconnu. ». Dans cette BD, nous sommes nous aussi partis du sensible, des témoignages des habitants. Notre premier livre, Bure, la bataille du nucléaire, paru en 2017, montrait comment la filière nucléaire tentait « d’aménager les consciences » avec près d’un milliard d’argent public versé en vingt-cinq ans, un million d’euros de budget communication annuel, des visites scolaires, des partenariats avec des youtubeurs, etc.

On racontait aussi la montée de la résistance. A partir de 2016, des dizaines de personnes ont décidé de s’installer sur place pour mieux lutter contre le projet et montrer que d’autres formes de vie étaient possibles, plus résilientes et plus collectives. Certains ont investi des maisons dans les villages pour les retaper. Des jardins potagers ont poussé. Des fournils se sont lancés. Entre les festivals, les manifestations et l’occupation du bois Lejuc, la lutte à Bure est devenue emblématique.

Trois ans plus tard, Cent Mille Ans poursuit cette histoire. Entre temps, des barbelés et des caméras ont poussé sur les grilles du laboratoire. Un escadron de gendarmerie s’est installé sur place, financé directement par l’ANDRA. Une enquête titanesque pour « association de malfaiteurs » s’est ouverte, mettant sur écoute des dizaines d’opposants. En quelques années, Bure est devenu un laboratoire répressif d’une ampleur inédite pour une lutte écologiste. La BD montre comment, pour faire accepter le projet, le bâton a remplacé la carotte.

Nous voilà maintenant à une croisée des chemins. En catimini, l’ANDRA a déposé une demande de déclaration d’utilité publique pendant l’été 2020. Celle-ci ouvre la voie à de futures expropriations et au lancement du chantier. Le temps d’instruction du dossier prendra plusieurs mois. L’industrie nucléaire, elle, essaie de relancer la construction de six EPRs, en se prétendant « bas carbone ». Mais quel modèle énergétique souhaitons-nous soutenir ? Quels mondes voulons-nous habiter ? Quels legs voulons-nous transmettre aux générations et aux « civilisations » futures ?

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À la fin des années 1980, l’Andra prospecte à plusieurs endroits. Partout la population se rebelle contre les projets de poubelle nucléaire.
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