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Opposée à l’écologie résignée des ONG, une génération a pris pour mot d’ordre : « pas de compromis dans la défense de la terre ! ». Blocages de pelleteuse, bris de vitrine, randonnées illégales, occupations de bureaux, ouvertures de squats, amourettes ensoleillées, vie dans les arbres – tout cela a été le quotidien de dizaines de milliers d’écologistes. Rédigé par un membre d’Earth First, ce récit de ces années intenses est riche d’enseignements politiques.

Les luttes territoriales étaient contagieuses, et l’on assista au cours de la période suivante à une explosion d’activités. Des réseaux relativement solides de militants anti-route de longue durée (ALARM UK), un réseau national de groupes d’EF ! et, plus important encore, une « tribu » sans cesse croissante de personnes disposées à voyager à travers le pays ; telle était la combinaison gagnante.

Bienvenue dans les zones autonomes

Alors que l’État avait reculé à Oxleas, il avait l’intention d’avancer à toute vitesse dans la construction de la route M11 à l’est de Londres. Les bureaucrates et les politiciens du ministère des Transports pensaient probablement que le mouvement ne se rassemblerait pas pour lutter contre la destruction de quelques arbres et de quelques centaines de maisons ouvrières. Ils avaient tort.

Bien avant d’avoir été achetées d’office, des centaines de ces maisons étaient déjà squattées. Cet espace dynamique fut rejoint par des militants de Jesmond et de Twyford. Une grande partie de la route étant appelée à détruire une vieille communauté de squatteurs et une zone ouvrière solidement implantée, cette campagne ne nous engageait pas seulement à défendre la faune sauvage, elle nous engageait également à défendre des vies humaines plus qu’aucune autre campagne antérieure. Mais son itinéraire était également parsemé de superbes terrains vagues et de petits bosquets. La lutte s’inscrivait donc bel et bien aussi dans le contexte écologique national.

« En suspendant la construction de la route à Londres nous pouvons sauver des forêts, des rivières et des landes jusqu’en Écosse, sans pour autant qu’il soit nécessaire de combattre des centaines d’agents de sécurité et de policiers avec des projectiles de boue, ce qui mettrait en danger leurs écosystèmes. »

La première véritable étincelle eut lieu à proximité d’un marronnier à George Green, un terrain communal situé au cœur de Wanstead. Les palissades d’environ 3 mètres de haut qui y avaient été dressées pour clôturer ce commun furent abattues par une joyeuse foule de jeunes, de militants et d’habitants du coin. Au milieu de la pelouse, une femme voûtée de plus de 80 ans pleurait. Elle s’était toujours sentie impuissante, mais lorsqu’elle fit tomber les clôtures avec des centaines d’autres personnes, elle se sentit forte pour la première fois de sa vie. Cette sensation de puissance émancipatrice fait partie de la magie de l’action directe, dont les charmes ne cessaient de se répandre.

« Une cabane fut construite dans les branches du marronnier. […] Au cours du mois suivant, le feu du camp devint un point de ralliement. […] Des personnes issues de milieux différents commencèrent à faire connaissance, à passer de longues soirées ensemble, à parler, à tisser de nouvelles amitiés. Une chose nouvelle et magnifique avait été créée dans la communauté. De nombreux habitants du coin disaient que leurs vies avaient été totalement transformées par cette expérience. »

L’expulsion eut lieu en décembre et elle fut menée par 400 policiers. Face à la résistance de 150 personnes, il fallut neuf heures pour abattre un arbre ! Le sabotage joua également un rôle, les deux plateformes hydrauliques de l’entreprise ayant été saccagées la nuit précédente.

earth forst a bas l empire vive le printemps

« L’expulsion avait obligé le ministère des transports à s’humilier en public. Le jour où l’arbre fut abattu fut à la fois tragique et magnifique. Il enfonça un énorme clou dans le cercueil du programme de constructions de routes. »

L’État espérait que la mobilisation contre la route M11 s’achèverait, mais elle ne faisait que commencer. D’autres tronçons étaient d’ores et déjà occupés, et des actions contre les entreprises continuaient à avoir lieu régulièrement. La seconde année d’actions concertées contre les routes se terminait en beauté.

Le premier janvier 1994, au Mexique, les indigènes zapatistes firent irruption sur la scène de l’histoire mondiale, s’emparant de plusieurs villes, libérant des prisonniers, redistribuant la nourriture, proclamant leur autonomie vis-à-vis du nouvel ordre économique. Mais ils ne redistribuèrent pas seulement la nourriture ; ils permirent également à l’espoir d’essaimer à travers le monde et ils eurent un impact significatif sur notre mouvement.

En même temps, en Grande-Bretagne, il s’en fallut de peu pour que la nouvelle année débute au bruit des explosifs. En janvier, quelques rares journaux de qualité rapportèrent que la police avait désamorcé un engin explosif sous le pont principal de Twyford Down. L’on rapporta également qu’une bombe avait été retrouvée au siège de l’entreprise Tarmac.

À la faveur du printemps, des camps apparurent un peu partout, contre les routes de contournement de Wynondham près de Norwich, de Leadenham dans le Lincolnshire, de Batheastern-Swainswick à la périphérie de Bath et de Blackburn dans le Lancashire. Dans le centre-ville de Manchester, un parc local menacé à Abbey Pond entraîna un bon nombre d’actions écolos.

À l’extrémité est du pays, le printemps fut également le théâtre d’importantes actions défensives et offensives contre des routes. Une rangée de grandes maisons Edouardiennes se trouvait sur le passage d’une route en projet. Elles furent barricadées, et c’est ainsi que naquit Wanstonia : « la zone fut déclarée autonome et libre. Les gens faisaient des blagues sur les passeports et ce genre de trucs. Nous creusions une immense tranchée tout autour du site. D’un point de vue tactique, cette action n’avait probablement aucune efficacité, mais elle nous donna véritablement l’impression de matérialiser le lieu où la Grande-Bretagne s’arrêtait et où commençait notre propre espace. » L’État n’aime pas du tout perdre du territoire

« La scène n’était pas sans rappeler un siège médiéval ; près de 800 policiers et huissiers de justice soutenus par des nacelles d’élévation et des pelleteuses assiégèrent l’État indépendant de Wanstonia. Après avoir bouclé le périmètre avec un ruban, les envahisseurs prirent d’assaut les cinq maisons. Pour s’en approcher, les policiers devaient franchir des barricades, et ils découvraient alors que les escaliers avaient été détruits, ce qui les obligeait à pénétrer dans les maisons par les toits ou par les étages supérieurs. Certains protestataires étaient sur les toits, enchaînés aux cheminées, tandis que les entreprises du chantier commençaient souvent à détruire les maisons alors que celles-ci étaient encore occupées par de nombreux militants… Il fallut 10 heures pour expulser 300 personnes. »

Cette expulsion impressionnante et coûteuse fut suivie par l’Opération Roadblock (Blocage de Route), un mois d’actions directes quotidiennes organisées en rotation. Chaque groupe réservait à l’avance la journée où il entrerait en action. Cela fonctionna remarquablement bien, et tous les jours du mois de mars furent le théâtre d’importantes perturbations. Ailleurs, des techniques de résistance qui avaient été élaborées pour défendre des maisons et des arbres pendant la lutte contre la route M11 étaient désormais utilisées contre d’autres projets.

Le progrès fait vomir : il est temps de retourner dans les arbres

Les tactiques évoluaient rapidement. À Desmond, des hamacs embellissaient temporairement les arbres. À George Green, une maison avait été construite dans un arbre. À Bath, le premier véritable réseau de maisons perchées se dessina à l’horizon. À Blackburn, ce fut le premier village perché complètement construit dans le style des Ewoks de la Guerre des Étoiles. N’étant pas en mesure de défaire les huissiers au sol, la résistance s’était déplacée vers le ciel.

« Nous nous réunissions auprès du feu une fois la nuit tombée, et c’était la première et la seule fois de la journée que nous étions au sol. Lorsque nous regardions au-dessus de nous, il y avait tous ces petits scintillements des bougies. […] Comment allaient-ils faire pour nous expulser? […] Je ne pense pas qu’il soit possible ici de décrire à quel point il est extraordinaire de dormir et de se réveiller dans les branches d’un arbre. De voir les étoiles et la lune. De sentir le soleil et la pluie. »

Des centaines de personnes vivaient désormais sur les lieux de lutte à travers le pays, et bien d’autres encore venaient le week-end ou à l’occasion d’une journée d’action. La plupart des campagnes donnaient lieu à l’installation de différents camps, chacun d’entre eux prenant une forme légèrement différente en fonction de la configuration du territoire. Auparavant, des barricades avaient été construites autour des maisons et des forêts. Désormais, celles-ci étaient elles-mêmes transformées en barricades et formaient un réseau complexe de sentiers, de maisons perchées, de passages bloqués défendus avec une détermination sans faille.

La quatrième expulsion de Solsbury Hill à Whitecroft fut la première à s’en prendre exclusivement à un camp d’occupation perché à la cime des arbres. Des nacelles d’élévation furent utilisées et des bûcherons munis de tronçonneuses mobilisés, mais le shérif ne parvint pas à abattre un seul arbre. Il avait été défait… temporairement. Le coût de cette victoire fut élevé, puisque l’un des protestataires fut hospitalisé avec des lésions médullaires et un pneumothorax. Dix jours plus tard, le shérif revint, accompagné cette fois d’huissiers enragés et de cascadeurs professionnels. Ceux-ci étaient bien plus fous, musclés et disposés à prendre des risques non seulement avec leurs propres vies, mais avec celles des personnes qui étaient perchées dans les arbres. À la fin de la journée, Whitecroft n’existait plus. Il s’agissait alors d’un conflit parmi bien d’autres, même si c’était indéniablement le plus spectaculaire. Le coût de ces expulsions était de plus en plus élevé, pour les entreprises, pour l’État et pour la stabilité de la société. À l’époque, des actions offensives continuaient à avoir lieu sur la plupart des sites, et la recette était désormais bien connue : retourner les pelleteuses, occuper des bureaux et des grues, réaliser des actions de sabotage au grand jour ou en secret. L’État était contesté, et sa réaction n’allait pas tarder à s’intensifier.

À chaque campagne, la force du mouvement donnait l’impression de s’amplifier, à une exception près : Leadenham. Un camp y avait été installé, obligeant le Ministère des Transports à reconnaître que le projet devait être revu. Pourtant, il n’aboutit pas à une victoire. Les entrepreneurs lancèrent une attaque surprise dans un moment de « répit », tandis que ceux qui continuaient à occuper le site furent agressés par des voyous du coin quelques semaines plus tard. Il y avait toujours eu des attaques occasionnelles de miliciens sur les sites, mais elles étaient généralement de faible ampleur. À Leadenham, en revanche, un groupe significatif d’habitants locaux favorables aux routes était disposé à passer à l’action.

« L’attaque eut lieu suite à une manifestation d’habitants locaux favorables à la route. Dans leur infinie sagesse, les villageois de Leadenham décidèrent qu’une route était préférable à la présence de ‘quelques arbres’. Des miliciens masqués armés de tronçonneuses arrivèrent au camp vers 5 heures du matin. Ils se dirigèrent vers des arbres qui avaient été occupés par des protestataires pour les couper. Toute personne qui s’interposait recevait un coup de poing et était violemment agressée. »

Suite à cette attaque, l’occupation sur le lieu du projet prit fin, même s’il y eut encore quelques journées d’action. Leadenham nous montra qu’il était absolument nécessaire de bénéficier d’un soutien significatif au sein de la communauté locale pour installer un camp. Dans le cas contraire, nous courions le danger d’être pris pour cible pendant les occupations ou même pendant notre sommeil. Heureusement, aucun autre site ne fut attaqué de cette façon par un groupe important de miliciens locaux au cours de ces années-là.

Dans cet article, j’ai essayé de donner une vue d’ensemble de cette période, mais ce type de vision surplombante ne permet pas de tenir compte des détails. Ce sont pourtant les détails qui comptent le plus : les moments incroyables, la passion, l’euphorie, l’attente, les personnes étonnantes, parfois quelques cons. En un mot, la tribu. Pour ne rien dire de la Sainte Trinité : les chiens, la boue et le cidre. Sur les lieux de lutte et dans les arbres, ce sentiment où se mêlaient camaraderie et altérité ne cessa de croître. Lorsque l’on quitte ces lieux pour acheter de la nourriture ou retirer de l’argent, on est frappé de plein fouet par la dureté et la vitesse du monde industriel. Vivre quotidiennement dans la résistance est une manière de riposter.

Chasser les machines

Tous les mois, des nouvelles témoignant d’une augmentation des actes de sabotage nous parvenaient, et ce alors même que ces actions n’étaient pas vraiment couvertes par les médias, qu’ils soient traditionnels ou radicaux, notamment parce qu’il était rare que des communiqués leur soient envoyés. Les actes de sabotage se concentraient principalement dans des lieux où des campagnes d’occupation quotidienne étaient en cours, même s’il arrivait aussi qu’ils soient réalisés en solidarité avec des campagnes plus lointaines. Mais les groupes luttant contre différents projets défendus par les mêmes entreprises étaient si nombreux que leurs actions finissaient souvent par avoir une portée aussi bien au niveau local qu’au niveau national. L’entreprise ARC, pour ne prendre que cet exemple, avait fourni du matériel pour la route de Twyford Down et essayait désormais d’agrandir des carrières dans le nord du pays de Galles et dans le Somerset.

« Après être entrés par effraction dans la salle de contrôle (de la carrière d’ARC à Penmaemawr), les envahisseurs brisèrent une cloison vitrée avant de provoquer des dommages à hauteur de 10 000 livres dans le matériel informatique. »

On oublie souvent l’ampleur des actions de sabotage réalisées au cours des luttes territoriales des années 1990. La somme des coûts directs de remplacement et de réparation sur les sites de construction s’est probablement élevée à plusieurs dizaines de millions de livres. Des personnes fantaisistes pourraient penser que ces actions furent l’œuvre de cellules anonymes et extrêmement organisées, frappant leurs cibles avant de s’évanouir dans la nature, alors qu’en fait elles furent pour la plupart réalisées par des personnes qui campaient sur place, soit de façon discrète lorsque les pelleteuses étaient retournées, soit bruyamment lorsque la foule s’y livrait, soit secrètement après de grosses beuveries autour du feu de camp. En réalité, dès qu’ils en avaient l’occasion, les gens foutaient des trucs en l’air. Ces actions n’ayant la plupart du temps pas été revendiquées, par prudence et par modestie, elles ont souvent été occultées par les clichés médiatiques présentant les militants comme des personnes souriantes perchées dans des arbres. Mais ces sourires étaient souvent ceux de malicieux briseurs de machines ; à proximité des feux de camp, aucun monstre jaune n’était à l’abri d’une attaque.

Quelques libéraux célèbres affirmèrent que les « dommages criminels » ne devraient pas avoir leur place dans les campagnes, au prétexte que cela éloignerait les « personnes normales ». Cette idée ridicule était d’autant plus stupide que des actions de sabotage étaient systématiquement réalisées par des habitants locaux. Or ceux-ci avaient des jobs, des familles, ils ne pouvaient pas être présents sur le site en journée et une arrestation pour retournement de pelleteuse aurait pu les exposer au chômage et à des problèmes familiaux. Pour beaucoup de « personnes normales », il était moins risqué de saboter en secret que de participer à des actions de désobéissance civile en public. Parmi les habitants locaux, les jeunes étaient également toujours les plus prompts à se lancer dans le « vandalisme écologique » (on aurait dit des canards se jetant à l’eau). Ils formaient toujours la section la plus rebelle de la communauté, et ils étaient souvent ceux dont la relation avec l’environnement local était la plus intime.

Bien sûr, et en dépit de ce que je viens de dire, certaines actions d’éco-sabotage étaient réalisées dans le secret le plus complet et suivant un mode opératoire emprunté au Front de Libération Animale (Animal Liberation Front : ALF).

« La police pense qu’un incendie sur un site de construction dans l’Essex, dont les dégâts s’élèveraient à 2 millions de livres, pourrait être l’œuvre de militants écologistes. Le feu s’est déclenché à travers les dépôts de granulats et un broyeur à déchets de l’entreprise Cory Environmental à Barling, près de Southend, détruisant quatre bulldozers, deux pelleteuses, et un parc de six camions appartenant au principal entrepreneur. La police affirme que les analyses scientifiques confirment qu’il s’agit d’un incendie criminel ».