Depuis une semaine la France est entrée dans une nouvelle réalité vertigineuse. Le Covid-19 n’est plus une « petite grippe », selon nos gouvernants, mais la « pire crise sanitaire depuis un siècle ». Un choc intime qui nous fait trembler pour nos proches et toutes les personnes particulièrement fragiles. Une secousse géopolitique qui fait s’effondrer la mondialisation néolibérale comme un château de cartes. 2019 avait été une année d’incendies ravageurs en Australie, Amazonie et ailleurs, et d’immenses soulèvements populaires. 2020 a d’ores et déjà les traits d’une paralysie totale, une crise systémique majeure.
Cette pandémie achève de rendre irrespirable la vie dans un système politique et économique délirant, néfaste, mais surtout inutile au moment où un immense besoin de soin se fait sentir. Après être resté attentiste pendant un mois et demi, Emmanuel Macron a promis, pour ne pas perdre la face, que « l’État paiera […] quoi qu’il en coûte ». La « mobilisation générale » est décrétée. « Nous sommes en guerre », paraît-il, contre un « ennemi invisible ».
Face à cette rhétorique militariste, nous affirmons une autre logique. À « l’union nationale » nous préférons l’entraide générale. À la guerre, nous opposons le soin, de nos proches jusqu’aux peuples du monde entier et au vivant. En France, comme dans les autres pays, nous allons tenir ensemble pour faire face à l’épidémie. Nous allons transformer l’isolement imposé en immense élan d’auto-organisation et de solidarité collective.
Avec nos voisin.e.s, nos ami.e.s, nos familles, nos proches, nos collègues ; dans nos immeubles, nos rues, nos quartiers, nos villes et nos villages ; notamment en utilisant les réseaux sociaux, nous allons construire l’entraide à la base. Pour aider les plus fragiles qui ne peuvent pas sortir à obtenir de la nourriture. Pour garder les enfants de celles et ceux qui doivent continuer de travailler. Pour partager des informations vérifiées sur la situation. Pour se donner des nouvelles et se réconforter dans cette situation déchirante. Pour soutenir les plus précaires dans leurs luttes pour vivre. Pour faire face à une crise économique, bancaire et financière qui s’annonce dévastatrice malgré les annonces faussement rassurantes des banques centrales. En restant chez nous pour le moment, mais dans la rue dès que possible.
Face à l’ampleur du bouleversement, même Emmanuel Macron appelle à « innover dans la solidarité ». Mais nous ne sommes pas dupes du fameux « en même temps » : l’entraide que nous construisons n’est pas l’auxiliaire d’un État néolibéral défaillant. Elle ne sera pas le cheval de Troie d’une future « stratégie du choc » à base de télétravail, de « volontariat citoyen » dans des services publics détruits, et de poursuite dans la destruction des acquis sociaux au nom de « l’état d’urgence sanitaire ».
Notre solidarité est celle du peuple, de ceux d’en bas, qui se serrent les coudes pour survivre et pour vivre dignement. Elle n’a rien à voir avec celle des élites mondiales – facilement dépistées, elles -, qui se retranchent dans leurs palais dorés, protégés et désinfectés pendant que les soignant-e-s sont « au front » sans moyens et fabriquent leurs propres masques de protection en prenant tous les risques.
Pendant que les travailleurs sociaux et les institutrices gardent leurs enfants, sans consigne officielle pour se protéger, s’exposant à une contamination. Pendant que les plus précaires, les sans logis, sans papiers, sans réseaux sociaux, les intérimaires sans chômage partiel, les « indépendants » contraints au travail en danger ou sans activité, seront encore plus frappé.e.s par la crise. Pendant que les personnes âgées dans les EHPAD, les personnes handicapé-e-s à mobilité réduite, les personnes internées en hôpital psychiatrique se voient encore plus privés de liens sociaux. Pendant que les « déjà confiné.e.s », les migrant.e.s enfermé.e.s en centres de rétentions et les prisonnier-e-s voient leur situation encore aggravée. Pendant que les habitant.e.s des quartiers populaires et les personnes racisé.e.s sont parmi les premier.e.s visé.e.s par la répression liée au confinement.
Jamais l’alternative n’a été si claire, le scandale si palpable : nous jouons notre vie pendant qu’eux gèrent l’économie.
L’entraide que nous allons construire s’inscrit dans le sillage du soulèvement des peuples partout dans le monde au cours des derniers mois, du Chili au Liban, de l’Algérie au Soudan. Cette vague a répandu sur la planète la nécessité de mettre nos corps en jeu. Le Covid-19 rend indispensable, pour l’heure, leur confinement. Mais révoltées ou confinés, nous mourrons d’un système qui recherche le profit et l’efficacité et pas le soin, le pouvoir et la compétition et pas l’entraide.
Cette épidémie ravageuse n’est pas une simple réalité biologique. Elle est amplifiée par les politiques néolibérales, la destruction méthodique de l’hôpital et de l’ensemble des services publics. Si ce virus tue autant, c’est aussi parce qu’il n’y a plus assez de soignant.e.s et de lits, pas assez de respirateurs ou parce que l’hôpital tend à devenir une entreprise à flux tendu. Et si nous applaudissons chaque soir à 20h les soignant.e.s, c’est aussi pour contenir notre colère contre les gouvernants qui savaient que la tempête arrivait depuis deux mois sans rien faire.
Nous appelons donc à renforcer la solidarité et l’auto-organisation pour faire face à la pandémie et la crise systémique, partout où c’est possible, sous toutes les formes imaginables, tout en respectant la nécessité absolue du confinement pour freiner la propagation. Plus particulièrement, nous appelons à rejoindre le réseau de solidarité auto-organisé #COVID-ENTRAIDE FRANCE (https://covid-entraide.fr/) qui se constitue dans des dizaines de lieux depuis une dizaine de jours. Nous invitons à créer des groupes d’entraides locaux en ligne et sur le terrain, de notre hameau à notre village, de notre immeuble à notre ville. Nous appelons à recenser les centaines d’initiatives qui se créent à travers une cartographie collaborative (https://covidentraide.gogocarto.fr).
Ne restons pas sidéré.e.s face à cette situation qui nous bouleverse, nous enrage et nous fait trembler. Lorsque la pandémie sera finie, d’autres crises viendront. Entre temps, il y aura des responsables à aller chercher, des comptes à rendre, des plaies à réparer et un monde à construire. À nous de faire en sorte que l’onde de choc mondiale du Covid-19 soit la « crise » de trop et marque un coup d’arrêt au régime actuel d’exploitation et de destruction des conditions d’existence sur Terre. Il n’y aura pas de « sortie de crise » sans un bouleversement majeur de l’organisation sociale et économique actuelle.
Il y aura un avant et un après. Nous sommes pour l’instant confiné-e-s, mais nous nous organisons. Et, pour sûr, nous reprendrons les rues, les jardins, les outils de travail, les moyens de communication et les assemblées, ensemble.
La stratégie du choc doit s’inverser. Cette fois-ci le choc ne servira pas à affermir le contrôle, le pouvoir central, les inégalités et le néolibéralisme, mais à renforcer l’entraide et l’auto-organisation. À les inscrire dans le marbre.
INFOS :
- Site internet : https://covid–entraide.fr
- Inscrivez votre groupe local ici : https://covidentraide.gogocarto.fr
- Contact : covidentraidefrance@riseup.net
LIEN VERS LA PÉTITION (pour signer) : https://covid-entraide.fr/signe-la-petition-pour-lentraide/
Signature pour les associations et organisations : merci d’envoyer votre signature à entraidepandemie@riseup.net (en précisant l’organisation dans l’objet du mail)
PREMIER.E.S SIGNATAIRES :
Corinne Morel-Darleux, autrice, élue régionale et militante éco-socialiste
Pablo Servigne, chercheur in-terre-dépendant
Éric Beynel, co-délégué général de Solidaires
Cécile Gondard-Lalanne, co-déléguée générale de Solidaires
Hugo Huon, pour le Collectif Inter-Urgences
Karim Khelfaoui, médecin généraliste à Marseille
Adrien Parrot, anesthésiste-réanimateur et informaticien
Matthieu Bellahsen, psychiatre et praticien hospitalier
Sarah Kilani, médecin anesthésiste-réanimateur
Benoit Blaes, président du Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes (SNJMG)
Sayaka Oguchi, médecin généraliste, trésorière du SNJMG
Emmanuelle Lebhar, interne en médecine générale, chargée de mission au SNJMG
Julien Aron, médecin néphrologue, chargé de mission au SNJMG
Vladimir Adrien, interne de l’AP-HP
Jonas Pochard, anesthésiste réanimateur
Amaury Delarge, réanimateur
Françoise Brun, infirmière
Catherine Fayet infirmière
Benjamin Royer, psychologue clinicien
Franck Prouhet, médecin généraliste
Claire Bourgogne, médecin généraliste
Marcy Pondi, anesthésiste-réanimatrice
Joachim Müllner, médecin psychiatre
Amina Ben Salah,
médedecin doctorante en Neurosciences
Sabrina Ali Benali, médecin à Paris
Ben Omrane Choukri,
médecin à Paris
Stéphane Lerivray, infirmier anesthésiste
Michel Robin, infirmier
Marie Llorens, infirmière urgences
Mathilde Martinot, psychiatre en hôpital public
Dominique Seydoux, médecin retraité
Aurélien Barrau, astrophysicien
Annick Coupé, secrétaire générale d’Attac
Aurélie Trouvé, porte parole d’Attac
Raphaël Pradeau, porte parole d’Attac
Maximes Combes, porte parole d’Attac
Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération Paysanne
Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du Droit au Logement
Khaled Gaiji, président des Amis de la Terre France
Cyril Dion, réalisateur
Geneviève Azam, essayiste
Thomas Coutrot, économiste
Benoît Teste, secrétaire général de la FSU
Annie Déan, porte-parole du MAN
Jean-François Pellissier, porte-parole d’Ensemble!
Josep Rafanell i Orra, psychologue et écrivain
Patrick Farbiaz, cofondateur du collectif Pour une Ecologie Populaire et Sociale (PEPS)
Virginie Maris, philosophe
Christophe Bonneuil, historien
Leslie Kaplan, écrivaine
Mathilde Larrère, historienne
Dominique Méda, sociologue
Céline Pessis, historienne
Baptiste Monsaingeon, sociologue
Ludivine Bantigny, historienne
Johan Badour, éditeur
Cervaux non Disponibles
Vincent Verzat, Partager c’est Sympa
Victor Vauquois, Partager c’est Sympa
Miguel Benasayag, philosophe
François Cusset, philosophe
Dominique Bourg, philosophe
Jean Gadrey, économiste
Samuel Hayat, politologue
Isabelle Cambourakis, éditrice
Jean-Marie Harribey, économiste
Audrey Vernon, comédienne
Xavier Ricard Lanata, essayiste et haut-fonctionnaire
Yves Cochet, président de l’institut Momentum
Pierre Khalfa, économiste, Fondation Copernic
Catherine Zambon, autrice
Serge Quadruppani, écrivain
Nathalie Quintane, écrivain
Sezin Topçu, sociologue
Alain Damasio, écrivain
Jérôme Baschet, historien
Bernard Friot, sociologue
Stéphane Lavignotte, théologien
Elise Lowy, cofondatrice de PEPS
“L’1consolable”, rappeur
Kolin Kobayashi, journaliste in-terre-dépendant
Jean-Jacques Delfour, philosophe
Gauthier Chapelle, chercheur in-Terre-dépendant et co-auteur
Paul Ariès, politologue,
Dénètem Touam Bona, écrivain-artiste
Vincent de Gaulejac, président du réseau international de sociologie clinique
François Jarrige, enseignant-chercheur en histoire
Arnaud Muyssen, médecin à Lille