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L’été dernier, à un an des Jeux Olympiques d’été de Tokyo, les médias japonais et internationaux ont relayé des inquiétudes concernant la chaleur torride de Tokyo. Pendant le mois d’août, plusieurs test-events ont eu lieu dans la région tokyoïte et ont prouvé qu’il fait trop chaud pendant cette période pour n’importe quelle compétition sportive. « Des nageurs d’eau libre « en surchauffe », selon le mot du champion olympique tunisien Oussama Mellouli. Une dizaine de participants au Mondiaux junior d’aviron, ainsi que des spectateurs, victimes de malaise. » Entre temps, au cours de la semaine du 29 juillet au 4 août 2019, la chaleur a fait 57 morts au Japon.
Il fait chaud et humide au Japon en été à cause de l’anticyclone du Pacifique Nord. Déjà au XIVe siècle, Yoshida Kenko, auteur et moine japonais écrit :
Dans la façon de construire une maison, il faut surtout penser à l’été. En hiver, on vit n’importe où. Mais à la saison chaude une mauvaise demeure est chose intenable1.
La chaleur de l’été japonais ne date donc pas d’hier. Mais après la modernisation, des villes japonaises ont commencé à subir des îlots de chaleur urbains (ICU) très sérieux. C’est d’ailleurs pour cette raison que, lorsque Tokyo a été élue pour la XVIIIe édition des Jeux Olympiques de 1964, le Comité international olympique (CIO) a choisi le mois d’octobre2.
Par la suite, le phénomène des ICU s’est aggravé, notamment à cause de la banalisation de la climatisation (début des années 1980, 50% des foyers japonais étaient déjà équipés de la climatisation). Lorsque le CIO a choisi Tokyo, en septembre 2013, pour organiser des Jeux Olympiques d’été 2020, chacun savait qu’il ferait extrêmement chaud à Tokyo durant l’été.
Or le CIO insiste pour que les Jeux Olympiques aient lieu entre le 15 juillet et le 31 août, et la date retenue pour 2020 est du 24 juillet au 9 août. En effet, il s’agit d’éviter la compétition avec les sports professionnels très populaires, (National Football League et Major League Baseball aux USA et le football en Europe) donc d’augmenter le prix des droits de diffusion pour rendre l’opération plus rentable pour le CIO3. Cette contrainte n’existait pas dans les années 1960 (où le nombre des récepteurs de télévision était assez limité4).
Pour être juste avec les organisateurs des JO, il faut préciser que lorsque les JO ont été attribués à Tokyo en 2013, le monde n’était pas aussi chaud que maintenant. En 2013, si certains Japonais étaient choqués par l’attribution d’un tel méga-événement à la capitale de leur pays, c’était plutôt parce que ce dernier était encore traumatisé par la catastrophe nucléaire qui avait eu lieu deux ans avant. Parmi les millions de victimes de la pollution radioactive, beaucoup ont compris que le but de l’organisation des JO était précisément de minimiser cette catastrophe. Nombre d’articles et d’ouvrages critiques contre les JO de Tokyo ont mis en avant Fukushima, ainsi que les problèmes habituels liés aux JO comme l’explosion du budget, la corruption, le nationalisme et la gentrification. Un livre intitulé « 反東京オリンピック宣言 (The Anti-Olympic Manifesto: Against Tokyo 2020 Olympics and Paralympic) », écrit par un collectif et paru en 2016, commence avec un rappel de l’indignation largement partagée face à la déclaration mensongère du premier ministre, Shinzo Abe, devant les membres du CIO : « Certains peuvent avoir des inquiétudes au sujet de Fukushima, mais permettez-moi de vous assurer que la situation est sous contrôle. Cela n’a jamais causé et ne causera jamais de dommages à Tokyo. » Sabu Kohso, un écrivain-militant japonais basé à New York, se rappelle ainsi :
Il était prévisible que le premier ministre du Japon mentirait sur le « contrôle de la catastrophe ». Mais la reconnaissance de la candidature de Tokyo par une organisation telle que le CIO, représentant la société internationale, avait une signification cruciale : le CIO a accepté que l’avenir des êtres humains est celui des irradiés5.
Des mesures pour le moins surprenantes
Dans un pays ravagé par une catastrophe nucléaire, le réchauffement climatique et l’enfer caniculaire n’étaient pas une préoccupation majeure. Une des preuves de cet air du temps, c’est le projet du village olympique, dont le coût de la construction estimé était à 105 milliards de yen (882 millions d’euros) dans le dossier de candidature. Ce village n’est pas temporaire, mais il a vocation à être transformé en logements après les Jeux. Pourtant, il sera construit sur le front de mer dans le district de Harumi, de l’arrondissement du Chuo, comme si le niveau de la mer ne monterait jamais. Comme si les typhons ne deviendraient pas plus intenses avec des océans plus chauds. Cinq ans plus tard, durant l’été 2018, le Japon connaîtra l’inondation et la fermeture de l’un des aéroports plus importants du pays, l’aéroport du Kansai, lui aussi situé aussi une île artificielle.
Au Japon en 2013, peu de gens imaginaient qu’il ferait plus chaud si vite, à tel point que l’organisation d’événements sportifs en deviendrait, littéralement, mortelle. Un membre de Han Gorin No kai (反五輪の会), collectif contre les JO 2020, rappelle que les médias japonais ont commencé à parler largement du risque lié à la canicule pendant les JO à partir de l’année 20186, la quatrième année la plus chaude jamais enregistrée dans le monde. En juillet 2017, le Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo 2020 a créé « le comité d’examen des mesures contre la chaleur (暑さ対策検討委員会)» composé des membre du comité d’organisation, des experts et des fonctionnaires du Gouvernement Métropolitain de Tokyo et de l’État japonais. Il existe désormais une catégorie spécifique qui n’a pas été incluse au budget initial7) : elle s’appelle kokusho taisaku, c’est-à-dire des « mesures contre la chaleur extrême ».
Des mesures proposées sont souvent très surprenantes. En été 2018, la gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike a annoncé le plan d’« uchimizu », pratique traditionnelle consistant à asperger d’eau les rues à la main. Non seulement l’efficacité d’une telle mesure semble très limitée, mais des experts signalent que cela pourrait même être contreproductif selon les températures, endroits et heures. Un an plus tard, cette même Koike a dévoilé le prototype des chapeaux-parasols dont l’avant-gardisme a épaté tout le monde. L’idée derrière ce gadget, c’est de proposer des parasols aux hommes qui n’osent pas en utiliser dans l’espace public, en raison de leur connotation féminine.
Si le Gouvernement Métropolitain de Tokyo impressionne beaucoup de gens par ces idées novatrices, le comité d’organisation n’est pas pour autant en reste. Il propose d’implanter des asagao (Ipomoea nil : morning glory en anglais), fleur japonaise d’été très appréciée, autour des sites des épreuves. Un tel choix n’est pas motivé par une photosynthèse ou une énergie de vaporisation exceptionnelle, mais plutôt par l’effet attendu purement visuel et psychologique. Un dispositif de « neige artificielle » a également été mis à l’épreuve. Pourra-t-il rafraîchir les spectateurs ? Raté. Non seulement la température environnante n’a pas changé mais aussi il y a eu des conséquences « inattendues » : « en quelques minutes, les spectateurs étaient trempés et le sol glissant »8.
Les Jeux et le réchauffement climatique
Parallèlement à ces mesures cocasses, les organisateurs des JO 2020 ont également tenté des mesures plus réalistes. Dès 2018, ils ont envisagé de décaler les heures des épreuves pour éviter le plein soleil de la journée. Cela n’est pas idéal pour attirer le plus grand nombre de téléspectateurs européens et américains, mais la santé des athlètes et du public reste considérée comme plus importante que les droits de diffusion audiovisuels. Le problème, c’est que toutes les éditions des JO ne peuvent pas fonctionner sans les bénévoles, qui se comptent, pour 2020, à plus de 110 0009. Or, si une compétition commence avant les premiers trains du matin, beaucoup de bénévoles n’auront tout simplement pas les moyens d’arriver au site.
En outre, éviter le soleil pose des problèmes de luminosité pour filmer et diffuser les images au monde entier. Ceci concerne notamment le marathon pour lequel les médias internationaux utilisent des hélicoptères. C’est une des raisons pour lesquelles le CIO n’a pas souhaité faire débuter le marathon à 3h du matin comme la gouverneure de Tokyo l’avait proposé. Le CIO a plutôt décidé, sans l’accord de cette gouverneure, de délocaliser le marathon et la marche à Sapporo, la cinquième ville japonaise en nombre d’habitant, située à 800 km au Nord de Tokyo.
Cette décision a été prise suite au fiasco des Championnats du monde d’athlétisme 2019 lors desquels 40% des concurrentes du marathon féminin n’avaient pas terminé la course à cause de la chaleur et de l’humidité. Vu les conditions météorologiques de Tokyo en août et des doutes sur l’efficacité des mesures anti-chaleur prévues, le CIO a pensé qu’il faut faire quelque chose mais sans changer la saison de compétition. Heureusement pour le CIO, le Japon est un archipel de 3 300 kilomètres de long : il y a donc une option de délocaliser au nord du pays.
Cette décision unilatérale10 du CIO a montré que sa puissance éclipse celle des élus locaux. Ils sont nombreux à croire que le CIO est une organisation internationale. C’est faux. Le CIO est une organisation non-gouvernementale de droit suisse. La Charte olympique n’est pas un document international mais un accord de droit privé suisse. La source de son pouvoir, c’est – uniquement – l’argent. C’est cette puissance financière qui permet au CIO de conclure un « contrat ville hôte » unilatéral dont le droit applicable est le droit suisse11. C’est grâce à ce contrat unilatéral, que le CIO a pu humilier la gouverneure de la ville hôte, faire une négociation secrète avec quelques intéressés, et prendre une pareille décision sans consulter les habitants de Tokyo et de Sapporo.
Humiliée, Yuriko Koike a résisté jusqu’aux dernier moment, mais elle a finalement consenti : « La décision finale est inacceptable, mais le CIO a le pouvoir sur la situation »12. Elle a été tellement humiliée qu’elle n’a pas pu s’empêcher de pester contre le CIO pendant une conférence de presse post-négociation :
Il est difficile d’organiser les Jeux Olympiques en juillet et en août. En octobre, il y a le risque de typhon. Il faut une discussion sur la manière d’organiser les Jeux Olympiques en tenant compte du réchauffement de la planète, du changement climatique. (…) (Avec le climat actuel), la situation pourrait être difficile partout dans l’hémisphère Nord13.
Pour une fois, Koike a raison. Les lecteurs se souviendront sans doute qu’il faisait très chaud, plus de 40°C, en France durant l’été 2019. Pendant cette canicule, le ministère des Solidarités et de la Santé a recommandé d’éviter les efforts physiques. En outre, tout comme Tokyo de 2013 ne ressemble pas à Tokyo de 2019, le Paris de 2024 pourrait devenir beaucoup plus chaud que le Paris de 2019. Naoki Inose, gouverneur de Tokyo lors de l’attribution des Jeux en 2013, a été obligé de se défendre après cette décision de délocaliser le marathon et la marche à Sapporo. Le dossier de candidature, réalisé sous sa responsabilité, affirmait : « climat idéal (…) avec des températures douces et de nombreux jours ensoleillés ». C’était un mensonge. Mais il n’a pas complètement tort quand il dit qu’il fait plus chaud maintenant qu’en 2013.
Il faut ajouter à cela qu’il n’y a aucun signe de ralentissement du réchauffement climatique et que peu de choses sont entreprises pour le ralentir. D’où vient cette question si évidente et pourtant rarement posée : toutes ces mesures surréalistes que Tokyo prévoit contre la chaleur, ne préfigurent-elles pas l’avenir du comité local d’organisation des jeux olympiques (COJO) en France ?
Il y a une solution simple et efficace pour éviter un tel avenir. C’est de tenir les Jeux Olympiques en automne, comme c’était le cas dans les années soixante. Jusqu’à présent, le CIO n’acceptait pas cette idée pour les raisons médiatiques déjà évoquées. Mais leur attitude pourrait changer après le fiasco des JO 2020. Il est en effet possible que le CIO et le COJO décalent la période des JO 2024.
Le CIO sait très bien qu’il est en crise. Il sait très bien qu’il ne peut pas se permettre tout ce qu’il veut comme à l’époque de Juan Antonio Samaranch [président du CIO de 1980 à 2001, NDLR]. Ces dernières années, il y a de moins en moins de villes souhaitant organiser ces Jeux extrêmement coûteux. Quand une ville organise le référendum sur la tenue des JO, la réponse est presque toujours négative, hormis les deux exceptions du XXIe siècle que sont Vancouver et Oslo14. Avec l’opinion publique peu favorable, certaines villes ont annulé la candidature sans tenir le référendum. Ceci est le cas de Boston, Rome et Budapest, pour ne citer que des anciennes villes candidates pour les JO 2024. Si le pouvoir public des cinq villes hôtes pour les éditions à venir (Tokyo, Beijing, Paris, Milano-Cortina, Los Angeles) a pu décider d’organiser ces Jeux tranquillement, c’est parce qu’il n’a pas organisé consultation citoyenne.
Dans ce rapport de force peu favorable au CIO, s’il y a des morts pendant les JO 2020 à cause de l’inefficacité des mesures contre la chaleur, il se sentirait, naturellement, obligé de faire quelque chose. Il ne pourra pas imposer de continuer les « JO d’été » en basse saison des sports professionnels. Il y a même une étude scientifique qui s’interroge sérieusement sur la possibilité de continuer les JO d’été et elle tire la conclusion que « d’ici 2085, toutes les villes qui étaient ou sont en lice pour les JO d’été de 2020 ou 2024, comme Istanbul, Madrid, Rome, Paris, Budapest, ne seront plus aptes à accueillir les JO »15.
Par conséquent, une question s’impose. Si le CIO abandonne les JO d’été et commence les « JO d’automne » ou les « JO de printemps », peut-on continuer ces méga-événements sportifs comme si rien n’était ?
Les Jeux Olympiques comme green washing-machine
Les organisateurs des JO 2024, notamment la mairie de Paris, promeuvent cet événement comme un accélérateur de la transition écologique. Grâce aux JO, la qualité de l’eau de la Seine serait améliorée pour accueillir les épreuves de triathlon et de nage libre. Grâce aux JO, une « voie olympique » serait réservée aux sportifs et aux délégations sur le périphérique parisien durant les jeux et serait conservée par la suite. « Elle pourrait alors être utilisée par les transports en commun, les véhicules propres et ceux comptant plusieurs passagers »16.
Grâce aux JO, il y aura le Village olympique avec ses forêts urbaines et toitures plantées, qui sera ensuite transformé en « l’un des premiers quartiers bas carbone de France, une préfiguration des futurs standards de la ville à l’heure de l’urgence écologique »17. Au passage, il faut souligner que pour construire cet éco-quartier, la Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO) doit chasser des habitants actuels, notamment des travailleurs migrants du Foyer ADEF de Saint-Ouen. Si les organisateurs sont admettent qu’il y aura quelques impacts négatifs, ils continuent d’assurer que les JO 2024 seront « les Jeux les plus verts de l’histoire », avec pour objectif une diminution de 55 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux JO de Londres de 2012, qui étaient, à l’époque, « greenest olympics ever ».
En réalité, toutes les éditions des JO se sont targuées d’être les Jeux les plus verts de l’histoire, depuis que le CIO a établi, en 1999, « Agenda 21 du mouvement olympique : le sport pour le développement durable ». Selon Jules Boykoff, ancien olympien (football, JO 1992 de Barcelone) converti en politologue et critique acharné contre les JO, ce nouveau langage environnementaliste a été introduit pour compenser le désastre fiscal causé par les JO18.
Cependant, jusqu’à présent, le greenwashing des JO était naïf et transparent, à tel point que l’on éprouve une réticence pour utiliser ce mot. Shell International a soutenu la publication de l’Agenda 21, BP était le sustainability partner des JO 2012 de Londres, Dow Chemical est devenu le partenaire carbone officiel du CIO en 2017.
Cependant, c’est avec les JO 2024, qui tentent de refuser Total parmi les sponsors, que le greenwashing des JO se raffine. Par le passé, les JO ont favorisé le greenwashing des pires pollueurs qui soient. Désormais, dans un climat qui leur est peu favorable, les JO ont besoin de se greenwasher. Pour cela, ils ne peuvent pas se permettre de s’allier, et ainsi de l’aider, un pollueur tel que Total.
Il va sans dire que la solution la plus « verte » pour que les JO ne polluent plus, c’est leur disparition. Avec la fin des JO, plusieurs centaines de milliers de personnes sont affranchies d’un voyage en avion. Avec la fin des JO, fini la neige artificielle, soit pour continuer les JO d’hiver dans un monde qui n’est pas assez froid, soit pour rafraîchir la foule qui est exposée à la chaleur mortelle de l’été.
Il faut ajouter que les JO 2024 entraînent, directement et indirectement, quelques projets fatalement écocides. Une partie du parc Georges-Valbon, « classé Natura 2000, c’est-à-dire en espace naturel identifié par l’Union européenne »19, sera réquisitionnée pour construire quelques sites d’épreuves et le « village média » dont la nécessité est remise en cause par le CIO20. Il faudra artificialiser un vaste terrain du quartier de la Chapelle pour construire Arena II, une salle de 7 500 places d’une surface de 20 000 m2. Il faudra envoyer des tonnes de sables au Champs de Mars, dont 25 % des espaces verts seront rendus inaccessibles aux Parisiens en 2024, pour accueillir des épreuves du beach-volley. Des projets aussi inutiles que la ligne 17 du Grand Paris Express et la tour Triangle21 n’auraient pas pu être possibles sans les JO. L’aménagement du système d’échangeurs de Pleyel (A86) et de porte de Paris (A1) est conçu pour fluidifier la circulation de la « famille olympique », notamment entre le Stade de France et le Village Olympique, au détriment de la santé et le cadre de vie des habitants.
« Parmi les gros soucis que pose ce projet dans sa version actuelle soumise à cette enquête publique, il y a la prise en étau entre deux tronçons de boulevards (6 voies d’un côté et 4 voies de l’autre), d’un groupe scolaire de 700 enfants qui fréquentent les deux écoles qui le constituent : une école maternelle et une école élémentaire »22. Pour approvisionner tous ces travaux (entre autres), le cimentier Calcia est sur le point d’anéantir 100 hectares de terres agricoles dans le parc naturel régional du Vexin. Enfin, loin de la capitale, il y a aussi ce projet aberrant de surf park à Saint-Père-en-Retz (44) : les promoteurs veulent créer des vagues artificielles à 10 km du littoral en espérant que le site permettra aux surfeurs de s’entraîner dans l’optique des JO de 202423.
Au total, les émissions de gaz à effet de serre anticipées pour les JO 2024, dont les organisateurs se gargarisent, s’élèvent à 1.56 Mt CO224. C’est la moitié de celle des Londres 2012, mais le montant est par ailleurs supérieur à l’émission annuelle de pays comme le Mozambique, les Fidji, le Laos ou le Niger.
On peut donc raisonnablement arriver à cette conclusion : les JO n’ont pas leur place dans un monde qui se réchauffe.
En finir avec les JO
Les JO sont devenus de plus en plus impopulaires. Les raisons n’en sont d’ailleurs pas forcément écologiques ou climatiques. Le coût colossal, les déplacements des populations les plus démunies et le renforcement de la sécurité ont suffi à mobiliser le peuple un peu partout dans le monde. La victoire, c’est-à-dire le retrait de candidature, a été remportée dans de nombreux endroits. Quand le peuple n’a pas été victorieux, des opposants déterminés sont apparu comme cela s’est révélé au grand jour lors de la situation insurrectionnelle à la veille des JO 2016 de Rio de Janeiro.
Un des plus grands enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique sera de trouver un équilibre entre les principes de la démocratie et de la liberté individuelle..
Cependant les JO ne fonctionnent pas selon les principes de la démocratie. Le contrat de la ville hôte ainsi que la « loi olympique » établissent des mesures non-démocratiques. Avant la spéculation immobilière et la gentrification de Saint-Denis et Saint-Ouen, Pékin a déplacé plus d’un million d’habitants pour ses JO 2008. A Londres, les habitants de Clays Lane, la plus grande coopérative d’habitation du pays, ont été chassés pour les JO 2012. A Rio de Janeiro, les habitants de la favela nommée « Vila Autodromo » ont eu beau dessiner un contre-projet des JO 2016 et décrocher le prestigieux prix Urban Age Award, ils ont été impitoyablement expulsés. A Tokyo, les habitants d’un complexe de logements sociaux à Kasumigaoka, construit il y a un demi-siècle pour accueillir des populations déplacées pour les JO de 1964, ont dû quitter à nouveau leur habitat parce que les organisateurs ont décidé de construire le nouveau stade olympique national dans leur quartier.
La disparition des JO suppose de très faibles sacrifices. Seuls quelques lobbies sportifs subiront des dégâts conséquents. Il faut donc se demander : si nous ne sommes même pas capables d’en finir avec un tel projet inutile, comment peut-on réaliser des mesures climatiques plus ambitieuses et complexes ?
« NOlympics Anywhere »
Il faut en finir avec les JO. Par le passé, des luttes anti-olympiques se sont achevées une fois le retrait de candidature obtenu ou lorsque les Jeux eux-même touchaient à leur fin. Jules Boykoff a écrit dans un de ses livres : « il n’y a pas de mouvement […] anti-olympique établi, transnational et durable, notamment parce que les villes hôtes ont une date d’expiration, la fin des Jeux25. » Et ces opposants étaient contre la tenue des JO dans leur propre ville : le caractère NIMBY de l’anti-olympisme historique est indéniable.
Mais cette situation est en train de changer en ce moment même. Les opposants de quatre villes (Pyeongchang, Tokyo, Paris et Los Angeles) ont créé le premier réseau anti-olympique transnational en été 2019 à Tokyo et ils ont rédigé une déclaration commune intitulée « NOlympics Anywhere ». Ces gens s’opposent aux JO dans leur ville et toutes les autres, et ils exigent « la fin du Comité international olympique ».
Un des caractères importants de l’anti-olympisme est que des luttes émergent uniquement dans les pays hôtes. Ces luttes sont plus ou moins isolées et ne peuvent pas trouver des alliés dans les pays qui ne sont pas concernés. Cependant, en 2020, on compte quatre pays démocratiques parmi les futurs hôtes : le Japon, la France, l’Italie et les Etats-Unis. C’est une grande chance pour établir une campagne anti-olympique « transnationale et durable » et les opposants l’ont bien compris.
Il y a un moyen concret pour que la dissolution du CIO soit obtenue. Si une des éditions est annulée, le CIO ne pourrait pas se remettre d’un tel préjudice avec l’air du temps actuel. Si l’échéance semble trop courte pour Tokyo, il est encore temps pour Paris, Milan-Cortina et Los Angeles. Lorsque Denver, ville nommée pour les JO d’hiver de 1976, s’est finalement retirée, c’était quatre ans avant la tenue des Jeux. Voici ce qui s’est passé :
Après que le CIO a attribué des Jeux Olympiques à Denver, les activistes se sont rassemblés contre l’organisation des Jeux par crainte de la dégradation écologique qui pourrait en résulter. Des groups comme Protect Our Mountain Environment et le Rocky Mountain Centre on Environment ont envoyé des lettres aux fonctionnaires du CIO pour leur demander de déplacer les Jeux de Denver. Un groupe d’organisations s’est mis au travail sous l’égide du groupe de citoyens Citizens for Colorado’s Future, relançant une campagne de pétition et demandant un référendum sur un emprunt obligataire de 5 millions de dollars pour financer les Jeux. Ils ont gagné le vote du public en novembre 1972 avec 60 % du décompte final, fermant le robinet d’argent potentiel. En réduisant le mécanisme de financement, les militants du Colorado ont repoussé les Jeux d’hiver de 1976. Cela a fait Denver la première ville à rejeter les Jeux après qu’ils lui soient accordés par le CIO26.
Comme le « cas Denver » le montre, l’annulation des JO est juridiquement faisable. Il y a une stipulation concernant le « remboursement complet ou partiel en cas d’annulation totale ou partielle des Jeux » dans le contrat ville hôte des JO 202427. Cette somme s’élève à 1.2 milliards d’euros. Ce qui n’est pas si énorme par rapport au budget prévu, qui ne comprend pas les dérapages inévitables, des JO 2024 qui s’élève à 6.6 milliards d’euros.
Ne serait-ce que pour cette raison, ne serait-il pas temps d’en finir avec les JO une fois pour toutes ?
Notes
- Urabe Kenkô, Les Heures Oisives, traduit par Charles Grosbois, Tomiko Yoshida, 1968, Gallimard, p.74. [↩]
- L’édition suivante, les Jeux Olympiques d’été de 1968 à Mexico a eu lieu en octobre aussi.[↩]
- Malcolm Foster, “Why the Summer Olympics are held in July, August despite heat”, Reuters, July 26, 2018. https://www.reuters.com/article/us-olympics-2020-heat-explainer/why-the-summer-olympics-are-held-in-july-august-despite-heat-idUSKBN1KG17H[↩]
- Isabelle Gaillard, « De l’étrange lucarne à la télévision : Histoire d’une banalisation (1949-1984) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2006/3 (no 91), pages 9 à 23. https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2006-3-page-9.htm#[↩]
- 高祖岩三郎「オリンピック–かくもおぞましきスペクタクル」、『インパクション』2014年4月号 [↩]
- Dans un échange avec l’auteure, le 18 août 2019 [↩]
- S’inscrivant dans la tendance de la plupart des JO, le budget pour les JO 2020 a quadruplé, s’élevant désormais à 25 milliards d’euros et pouvant encore augmenter davantage. Bien des choses participent à cette augmentation. Pour les JO 2020, le budget du transport pour le comité d’organisation a augmenté de 10 milliards de yens (840 millions d’euros)(OCOG and Other Entities Budget , https://tokyo2020.org/en/games/budgets/) ; pour la cérémonie d’ouverture, l’augmentation est de 4 milliards de yens (34 millions d’euros.), voir : 前田大輔「五輪開閉会式、39億円増額 演出を概算したら予算超過」、『朝日新聞』2019年2月15日[↩]
- Philippe Mesmer, « La chaleur, casse-tête des organisateurs des Jeux olympiques de Tokyo », Le Monde, 14 septembre 2019. https://www.lemonde.fr/sport/article/2019/09/14/la-chaleur-casse-tete-des-organisateurs-des-jeux-olympiques-de-tokyo_5510360_3242.html[↩]
- Pour en connaître plus sur le bénévolat, voir : https://tokyo2020.org/en/special/volunteer/[↩]
- Il faut préciser qu’il y a un contexte local. Yuriko Koike n’appartient pas au parti libérale-démocrate, qui gouverne le pays depuis 1955 jusqu’à aujourd’hui, sauf deux brèves périodes (1993-1994 et 2009-2012). Le président du comité d’organisation, Yoshiro Mori, et la ministre chargée des Jeux Olympiques, Seiko Hashimoto, tous deux du parti libérale-démocrate, auraient pu négocier avec le CIO sans Koike.[↩]
- Contrat ville hôte – principes, Jeux de la XXXIIIe Olympiade en 2024, VII DIVERS, 51. Droit applicable et arbitrage [↩]
- Philippe Mesmer, « JO 2020 : Tokyo consent au transfert des épreuves de fond à Sapporo », Le Monde, 1 novembre 2019. https://www.lemonde.fr/sport/article/2019/11/01/jo-2020-tokyo-consent-au-transfert-des-epreuves-de-fond-a-sapporo_6017670_3242.html[↩]
- 「変更決まり小池氏「北半球どこでも過酷」議論求める」、日刊スポーツ、2019年11月1日。https://www.nikkansports.com/general/nikkan/news/201911010000418.html[↩]
- Natsuko Sasaki, « Des villes qui refusent les Jeux olympiques » dans Frédéric Viale (dir.) Paris JO 2024 : miracle ou mirage ?, 2018, Libre et Solidaire [↩]
- Charlotte Anfray, « La plupart des villes seront trop chaudes pour les JO de 2085 », Paris Match, le 27 septembre 2016. https://www.parismatch.com/Actu/Environnement/La-plupart-des-villes-seront-trop-chaudes-pour-les-JO-de-2085-1076977[↩]
- Denis Cosnard , « Des emplois et de l’eau pure : les promesses d’Anne Hidalgo pour les Jeux olympiques », Le Monde, le 25 juin 2019. https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/06/25/des-emplois-et-de-l-eau-pure-les-promesses-d-anne-hidalgo-pour-les-jeux-olympiques_5481354_823448.html[↩]
- Grégoire Allix, « JO 2024 : les premières images du futur village olympique en Seine-Saint-Denis », Le Monde, le 22 novembre. https://www.lemonde.fr/sport/article/2019/11/22/jo-2024-les-premieres-images-du-futur-village-olympique-en-seine-saint-denis_6020131_3242.html?utm_campaign=Lehuit&utm_medium=Social&utm_source=Twitter[↩]
- Jules Boykoff, “Has London 2012 been greenwashed?”, The Guardian, 22 April 2012. https://www.theguardian.com/commentisfree/2012/apr/22/has-london-2012-been-greenwashed[↩]
- Jacques Boutault, « L’horreur écologique », dans Frédéric Viale (dir.) Paris JO 2024 : miracle ou mirage ?, 2018, Libre et Solidaire. [↩]
- « Jeux olympiques 2024 : le comité d’organisation planche avec l’Etat », Le Parisien, le 14 mars 2018. http://www.leparisien.fr/sports/JO/paris-2024/jeux-olympiques-2024-le-comite-d-organisation-planche-avec-l-etat-14-03-2018-7607094.php[↩]
- Sibylle Vincendon, « La Tour triangle, équipement olympique ? », Libération, le 25 février 2019. https://www.liberation.fr/france/2019/02/25/la-tour-triangle-equipement-olympique_1711408[↩]
- https://www.fcpe-saint-denis.org/2019/06/02/reagissez-contre-les-pollutions-a-venir-autour-de-chez-vous-la-zac-pleyel-et-le-systeme-dechangeur-de-pleyel-et-de-porte-de-paris/ [↩]
- Pour en savoir plus : http://terres-communes.zici.fr/[↩]
- Aurélie Delmas, « Paris 2024 : Jeux verts ou greenwashing ? », Libération, le 14 septembre 2017. https://www.liberation.fr/france/2017/09/14/paris-2024-jeux-verts-ou-greenwashing_1596104[↩]
- Jules Boykoff, Activism and the Olympics, 2014, Rutgers University Press, p. 39. [↩]
- Boykoff, Ibid. p. 21 [↩]
- Contrat ville hôte – principes, Jeux de la XXXIIIe Olympiade en 2024, II CONTRIBUTION DU CIO AU SUCCÈS DES JEUX, 9. Contribution liée aux revenus de diffusion.[↩]