Temps de lecture : 15 minutes

C’est simple : sans votre soutien, Terrestres ne pourrait pas exister et vous ne pourriez pas lire cet article.

Aujourd'hui, nous avons besoin de 500 donateur·ices régulier·es pour pérenniser notre modèle économique. Par un don mensuel ou ponctuel, même pour quelques euros, vous nous permettez de poursuivre notre travail en toute indépendance.

Merci ❤️ !


Chaque grand projet industriel commence par l’accaparement et la colonisation d’une terre. Se focaliser sur ces terres avant de se focaliser sur les projets en tant que tels nous amène à multiplier les angles d’attaques, à anticiper et à bloquer les projets avant même qu’ils ne soient validés. Or l’heure est grave et les signaux sont clairs : EDF achète des terres un peu partout sur le territoire et prépare ainsi en catimini le renouvellement de la filière nucléaire. Il ne faut plus attendre pour s’opposer et agir dès que possible contre cet accaparement de terres agricoles et naturelles par un modèle industriel obsolète qui, depuis 70 ans, hypothèque notre avenir en achetant les consciences à tous les niveaux de l’appareil d’État, méprise les populations locales et colonise les terres par la construction, à coups de matraques si nécessaire, d’infrastructures polluantes et mortifères.

C’est pourquoi il nous semble urgent de faire un état des lieux précis de ce que nous savons des rachats de terre en cours par EDF. En effet, nous sommes inquiet-e-s de constater leur nombre et leur concomitance, ainsi que l’opacité de la stratégie industrielle dans laquelle ils s’inscrivent. En difficulté financière, à l’aube d’une restructuration historique, pilotée par un gouvernement déterminé à poursuivre le nucléaire – maillon indispensable à une production énergétique industrielle « décarbonée » pour lutter contre le climat – EDF prépare, par la constitution d’une réserve foncière, de nombreux nouveaux projets catastrophiques pour les années 2020.

Nous faisons le constat que les luttes actuelles contre les grands et les petits projets destructeurs inutiles et imposés ont souvent plusieurs coups de retard au moment où elles se mettent en place. L’efficacité du mouvement zadiste, qui peut pourtant constituer un rapport de force rapide, sur le terrain comme dans les médias et les tribunaux, s’en trouve parfois malheureusement réduite. Car pour parvenir à créer de tels points de fixation, il faut auparavant lutter contre le silence médiatique et se renseigner par nous-même pour accéder aux informations concrètes et essentielles : quelles sont les parcelles concernées ? Pour quoi faire ? Combien ça coûte ? Selon quel calendrier ? Quelles zones naturelles « protégées » vont être compensées ? A qui profite réellement ces opérations ? Quels sont les dangers encourus ? Quelles entreprises seront sollicitées ? Pour la logistique, la conception, les études d’impacts ? Qui seront les nouveaux esclaves sous-traitants, la chair à neutron de la Machine-Travail-Energétique1 ? Qui paiera les pots cassés du progrès renouvelable à marche forcée ? 

Ces vingt dernières années, le nucléaire s’est concentré sur une région particulière, le Grand Est, qu’elle a entièrement colonisée par un accaparement foncier considérable au profit de l’Agence Nationale de Gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA). Pour le seul Centre Industriel de Stockage Géologique (CIGEO), ce sont plus de 3000 hectares accaparés à Bure et aux alentours. Un accaparement aux méthodes mafieuses, avec la complicité des élus locaux, de la Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (SAFER) et de sbires de l’ANDRA pour diviser et mettre la pression pendant des mois sur les habitant.e.s, propriétaires et agriculteurices du coin2. Mais l’accaparement ne se limite pas à Bure, il suffit de jeter un œil à la carte ci-dessous pour se rendre compte que la région Grand Est, après avoir été le tombeau des déchets de la première guerre mondiale, est en train de devenir le tombeau de notre modèle de société atomisé, en même temps que le laboratoire du futur qu’il nous réserve3. Nous recommandons à chacun.e d’aller faire un tour aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne pour voir en direct la réalité de ce que ce modèle orwellien nous réserve.

sites nucleaires du grand est

Fort.e.s de l’expérience de la lutte récente contre CIGEO, nous sommes convaincu.e.s qu’habiter sobrement la terre et enquêter sur le terrain pour mieux comprendre et se relier les un.e.s aux autres sont les deux faces d’une même pièce. Trop souvent, que nous soyons activistes, journalistes, artistes ou chercheureuses, nous nous enfermons dans des formes d’entre-soi corporatistes. Alors que nous pourrions fonctionner de manière coordonnée et ainsi mettre au jour de nouvelles alliances et de réelles complémentarités, nécessaires pour faire face à l’ampleur de ce qui nous menace. C’est pourquoi cet article constitue également un plaidoyer pour de nouvelles formes d’enquêtes militantes contre les industries de la catastrophe, car il n’y a pas d’échelle industrielle sans pollution ni corruption, et pas de luttes contre ces échelles sans une connaissance fine et technique des réseaux qui les soutiennent.

L’enquête de terrain

La séquence que nous allons évoquer commence en février 2018. Le journal Reporterre vient de révéler le projet d’EDF de créer une immense poubelle radioactive, appelée pudiquement « piscine d’entreposage centralisé (PEC) » de combustibles usés « valorisables » à Belleville sur Loire, à côté du Centre Nucléaire de Production d’Électricité (CNPE) dans le Cher. Débute alors localement la résistance avec la co-organisation d’un événement de quatre jours, Tchernoville sur Loire, par le groupe SDN local et les comités de soutien à Bure du centre. Et également en petit groupe, une réflexion collective quant au rôle de cette nouvelle poubelle. Ce projet, véritable antichambre de CIGEO, géographiquement bien située entre La Hague, le Rhône et la Meuse, doit entreposer en piscine pendant « 100 ans » des combustibles nucléaires usés. Mille questions se posent alors à nous et “connais ton ennemi pour mieux le combattre”, constitue dès lors à la fois notre maxime et notre fil d’Ariane pour ne pas nous perdre dans les méandres du labyrinthe de la nucléocratie. Le récit qui suit relate comment, depuis cette enquête au niveau local, nous avons réalisé l’ampleur des rachats de terre en cours par EDF sur l’ensemble du territoire.

En mars 2018, l’ancien maire de Beaulieu-sur-Loire fait le lien dans la presse entre l’achat récent de 40 ha de terres jouxtant la centrale nucléaire de Belleville et le projet de centre d’entreposage de matières radioactives. Le travail d’investigation que nous menons révélera, à travers le plan d’emprise du projet d’achat réalisé par la SAFER Centre-Val de Loire et envoyé aux propriétaires des parcelles convoitées, qu’en fait 140 nouveaux hectares sont concerné.

projet edf a bellevile-sur)loire et sury pres lere

Rapidement, nous réalisons à quel point les rachats de terres supposent de la part d’EDF une véritable anticipation. En effet, un agriculteur nous signale qu’avant même le projet d’achats en cours, EDF avait acquis, en 2018, à l’issue de tractations qui avaient donc dû démarrer bien en amont, 80 ha dispersés sur deux communes riveraines du site nucléaire. Ces 80 ha pourront servir de monnaie d’échange dans les stratégies de compensation proposées aux propriétaires qui refuseraient de vendre. Autre exemple : nous découvrons que, sur les 140 ha, environ 30 d’entre eux, en toute bordure de Loire, appartiennent à une zone Natura 2000, censée préserver les « ressources » en matière de biodiversité. Si un projet industriel devait voir le jour sur ces terres, EDF devrait prouver qu’il aura bien respecté les 3 étapes : « éviter, réduire, compenser » préconisées par les directives Natura 2000… Nous  découvrons alors qu’un inventaire de la biodiversité a déjà été commandé et qu’un bureau d’études a déjà été mandaté par EDF pour étudier la question, sous l’égide de la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement). Ce bureau d’études serait « Thema Environnement », basé à Chambray lès Tours. Tout cela, comme d’habitude, alors que ce projet de poubelle nucléaire, ou tout autre projet sur la Loire, est encore loin d’être validé. Pourtant, EDF agit déjà comme si c’était le cas.

Quelques mois plus tard, en septembre 2018, des agriculteurs – ayant reçu des courriers identiques de la Safer – manifestent devant la mairie de St Laurent-Nouan (41) contre le projet d’EDF d’acheter 116 ha de terres agricoles proches de la centrale. A la différence des propriétaires des 73 petites parcelles autour de Belleville qui, pour la plupart, n’exploitent pas eux-mêmes leurs terres, à St-Laurent, les agriculteurs, exploitants propriétaires et peu nombreux, se mobilisent fortement.

projet edf a saint-laurent-nouan

Toujours en septembre 2018, autour de la centrale de Chinon-Avoine (37), lors d’une réunion de la Commission Départementale pour la Protection des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (CDPENAF), il apparaît qu’une importante acquisition de terres agricoles envisagée par EDF avec l’aval de l’État, soustrait environ 120 ha à la gestion de la commission. Les opérations sont visiblement déjà entamées depuis plusieurs mois. 

projet edf site d avoine

A l’automne (Journal de Gien du 22/11/2018), nous apprenons également que le CNPE de Dampierre-en-Burly, dans le Loiret, cherche à obtenir 80 ha, ce dont nous obtiendrons la confirmation par un propriétaire en juin 2019.

projet edf a dampierre-en-burly

Toutes ces informations, issues d’échanges d’informations entre des militants du réseau Loire Vienne – collectif d’associations en lutte pour la sortie du nucléaire sur le bassin-versant de la Loire – permet de réaliser qu’une stratégie concertée, qui ne se dévoile que fortuitement, est bel et bien à l’œuvre. Des démarches communes auprès de la SAFER, afin de connaître la teneur de la convention qui la lie à EDF, demeurent sans réponse. Celles auprès du directeur régional d’EDF, quant aux projets qui pourraient voir le jour sur ces terres, ne permettent d’obtenir qu’une réponse très évasive :

EDF souhaite compléter sa réserve foncière afin d’anticiper la réalisation éventuelle de nouveaux projets sur ses sites de production et ainsi se donner les moyens de pérenniser l’implantation locale du groupe EDF”

Quels projets? Motus et bouche cousue : si la loi de 2006 oblige EDF à la Transparence en matière de Sûreté Nucléaire (loi TSN), ce n’est pas le cas en matière de stratégie industrielle et foncière. Nous apprenons cependant, grâce à un syndicat agricole, que la région Centre serait “pilote” pour une convention entre SAFER et EDF qui s’étendra bientôt à toutes les autres régions hébergeant des CNPE. Cette convention prévoit de mener des études foncières en trois phases :

  • 1) Étude de faisabilité (il semble que cette étape soit finalisée pour les sites de la région Centre)
  • 2) Ingénierie foncière: proposer des solutions opérationnelles pour libérer le périmètre “projet”
  • 3) Maîtrise foncière : acquisition de terrains et accompagnement des échanges avec les propriétaires qui

souhaitent une compensation.

D’autres sites sont concernés. Au Bugey, dans l’Ain, les militant.e.ont été contacté-e-s fin octobre 2018 par des propriétaires démarché-e-s par la SAFER Rhône-Alpes. Celle-ci, présentant les ambitions d’EDF, propose l’achat de leur terrain à bon prix. EDF, d’ores et déjà propriétaire de plus de 77 hectares en dehors de son site actuel, convoiterait l’achat de 336 hectares supplémentaires. Cette ambition aurait, depuis, été revue à la baisse et ne concernerait plus que 137ha.

Dans la Moselle, Cattenom aussi serait concernée (6 ha pour le moment mais 20 ha visés), ainsi que Civaux dans la Vienne, à hauteur de 40 ha achetés, soit-disant pour un projet photovoltaïque alors que la réserve foncière déjà acquise y suffirait largement, sans oublier Golfech dans le Tarn-et-Garonne (40 ha selon la Dépêche du Midi). Sur tous ces sites, le même discours creux sur la « pérennisation de l’implantation nucléaire au niveau local » sera tenu par les directeurs des CNPE aux journalistes et aux militant.e.s. 

Où en sommes-nous aujourd’hui du total connu de surfaces agricoles en cours d’accaparement par EDF autour de ses sites nucléaires ? En excluant le périmètre temporairement abandonné autour de St-Laurent, mais en augmentant celui de Chinon à 137ha, conformément au nouveau Plan Local d’Urbanisation Intercommunal (PLUI), nous arrivons à un total de 580 ha dont les opérations foncières en cours d’étude par la SAFER sur le territoire français.

Mais ces achats de terres proches des centrales nucléaires existantes constituent la partie émergée de l’iceberg : à l’automne 2018, un entretien publié dans Paris-Normandie avec le délégué régional d’EDF laisse entendre que ce sont en réalité 30 000 ha qui sont convoités par la politique foncière d’EDF. Ces achats de terres ne peuvent pas concerner seulement les entours des sites nucléaires, car même avec une moyenne de 100 ha environ par site on arriverait au maximum à 2000 ha et pas à 30 000. Ce différentiel s’explique sans doute par les ambitions du “Plan solaire” d’EDF qui nécessiterait 25.000 à 30.000 ha de terres. Fait confirmé par un article publié en août 2019 dans Les Échos, qui nous apprend que le Ministère des Armées, grand propriétaire foncier (265.000 ha) va mettre à disposition 2.000 ha pour contribuer à constituer la surface qui reste à mobiliser d’ici à 2028 . Ces terres sont elles des friches, des terres abandonnées, naturelles ou agricoles ? Probablement un peu de tout ça. Dans tous les cas, dans une audition récente au Sénat, le président d’EDF fait part des difficultés rencontrées par l’entreprise à mobiliser du foncier à cet égard4. Ce sujet mériterait un travail d’investigation militant, région par région, en fonction des terrains disponibles et des scénarios énergétiques territoriaux.

A l’issue de cette séquence, une question reste en suspend au vu de l’instabilité politique et économique actuelle : comment tout cela va t-il tenir ?

Ces acquisitions de terres coïncident très bien avec ce qui se trame dans les hautes sphères : « continuer à pédaler » 5 par la préparation de la relance de la filière nucléaire grâce au démantèlement du service public de l’énergie. Il s’agit là d’une litote de Macron depuis des années, très contesté au niveau syndical : la scission d’EDF en deux, avec le bien nommé plan « Hercule »6 et ses impossibles travaux de sauvetage. D’une part sanctuariser le nucléaire par la nationalisation définitive de la filière et du transport énergétique de RTE, et d’autre part booster les renouvelables et déréguler la commercialisation grâce à une ouverture large à la capitalisation.

Le gouffre financier du nucléaire serait en effet théoriquement renfloué par la principale révolution du plan Hercule : la dépossession d’EDF de la maîtrise de la revente de sa propre production électrique par l’ouverture à la capitalisation d’Enedis et de toute la partie commerciale d’EDF. Cette privatisation partielle serait concomitante avec l’obtention à Bruxelles de l’augmentation du prix de l’électricité nucléaire jusqu’ici régulée au niveau européen7. Une autre manne financière serait de profiter des financements européens pour la neutralité carbone, bien que, malgré les tentatives de Le Maire auprès de Bruxelles, nous apprenons le 14 janvier 2020 que le nucléaire ne bénéficiera pas du « label écologique ».

Mais c’est surtout l’appui du géant électricien chinois CGN – dont les deux EPR à Taishan fonctionnent – à nombre de projets d’EDF, et tout particulièrement à celui, stratégique, des deux EPR d’Hinkley Point en Angleterre, qui semble rassurer la nucléocratie française. Ce après dix années de multiples chantiers, certes désastreux à tous les niveaux8, mais qui auront eu comme conséquence une forme de relance et de remise en ordre de bataille de la filière. Celle-ci se trouve désormais être organisée autour de pépinières régionales hyperconnectées9, et autour d’un projet : « l’usine nucléaire du futur », embryon d’une université des métiers du nucléaire10.

Quoi qu’il en soit, il reste à faire dès que possible, dans le cadre d’une enquête militante, un état des lieux précis de la stratégie et des difficultés d’EDF. Cela nous semble être un enjeu important pour entrer lucidement, et s’opposer plus efficacement que ces dernières années, dans la décennie qui s’annonce.

S’opposer à l’accaparement

Dès l’automne 2018, des représentant.e.s des collectifs présents autour des CNPE concernés échangent des informations et imaginent des actions sur le sujet. D’abord, ils rédigent un texte de pétition : « Des terres, pas du nucléaire », pas tant dans l’espoir de récolter des milliers de signatures que pour diffuser l’information. Cette pétition11 a recueilli environ 5500 signatures en ligne et sur papier.

Ensuite,  se tissent des liens avec le monde agricole, concerné au premier chef. Quelques exemples d’actions conjointes au fil des mois: pose de banderoles sur des terres concernées, le long des axes routiers autour de St-Laurent dès novembre 2018, manifestation autour de Chinon en janvier 2019, intervention organisée par la Confédération paysanne et soutenue par des antinucléaires lors du salon de l’Agriculture en février 2019 avec irruptions sur les stands d’Enedis, des Safer et du Ministère de l’Agriculture, mobilisation en juin autour de Belleville

Parallèlement, les directeurs des centrales et les directeurs régionaux d’EDF sont interpellés lors de Commission Locale d’Information (CLI) ainsi que par des courriers en recommandé. Les SAFER (Centre et Rhône-Alpes) aussi ont reçu des courriers leur réclamant les conventions les liant à EDF : en pure perte… et les saisines de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) n’ont rien donné à ce jour.

La médiatisation a fonctionné sur le plan local avec des articles et des reportages dans les médias régionaux, le plus souvent suscités par des interpellations de la part de militant.e.s. Ces informations sont reprises par quelques organes à diffusion nationale : en octobre un communiqué de presse du Réseau Sortir du Nucléaire, suivi le 6 novembre d’une vidéo du Parisien. Le 8 novembre, c’est au tour de Reporterre de publier un article assez renseigné, qui sera suivi d’ une brève le 14 novembre dans le Canard Enchaîné. Terre de Liens publie un article dans son bulletin national le 21 janvier 2019. Le 26 février, le Parisien donne la parole aux agriculteurs de Saint-Laurent tandis que le 7 mars, Challenges dévoile une carte de France des ambitions d’EDF. La France Agricole se fait l’écho, sur une double page de son numéro du 8 mars de ce que les paysans de la Confédération Paysanne ont dénoncé au Salon de l’Agriculture. La revue du Réseau SDN consacre également à la question une double page de son numéro de printemps… Puis l’intérêt pour le sujet faiblit, débordé par l’actualité foisonnante. 

Malgré tous nos efforts, et malgré le projet de loi que beaucoup appellent de leurs vœux, qui viserait à obtenir la transparence sur les opérations foncières, la mobilisation n’a guère franchi l’échelle locale. On constate cependant que celle-ci peut s’avérer payante : ainsi en Mai 2019, EDF annonce renoncer temporairement à son projet autour de la centrale de St Laurent des Eaux, conséquence de l’opposition conjointe des agriculteurs concernés – brandissant la menace d’une ZAD – et des antinucléaires. C’est seulement alors qu’on apprend l’intention du CNPE de préparer la construction d’un nouvel EPR… 

Après quelques mois de répit médiatique, la situation continue d’évoluer : à Belleville sur Loire, la SAFER est en train de rencontrer, une seconde fois, un.e à un.e, les propriétaires pour leur faire comprendre qu’iels ont tout intérêt à accepter de vendre ou d’échanger leurs terres agricoles. EDF aussi : en transformant des terres agricoles, achetées à trente centimes le mètre carré, en zones à urbaniser qui, autour du CNPE, vaudraient plutôt vingt-neuf euros le mètre carré, l’entreprise réalise une opération foncière plus qu’intéressante. Les agriculteurices et les propriétaires réticent.e.s, s’iels refusaient de vendre, ne seraient pas lésé.es financièrement mais seraient bloqué.es devant le manque des terres dans les communes alentours, EDF ayant tout racheté pour faire des échanges… Du côté de Chinon,  la Confédération Paysanne de Touraine alerte sur la modification du Plan Local d’Urbanisation Intercommunal (PLUI) : 137 hectares de terres jouxtant la centrale,  auparavant classées “Naturelles” et exploitées par des agriculteurs, seraient reclassées en « Zone à Urbanisation Différée ». Le texte qui accompagne ce PLUI est pour une fois sans ambiguïté, ce reclassement est réalisé « afin de préserver un potentiel d’évolution au site du CNPE dans le cadre des choix stratégiques qui vont être faits à l’échelle nationale en terme de production d’énergie ». Un rassemblement tente de le dénoncer.

Se relier à la terre, devenir autochtone

Dans son texte de 2003 Vers des humanités écologiques12, l’anthropologue australienne Deborah Bird Rose, parle de la « connexion avec le local comme un processus « d’autochtonisation » (nativisation) », citant une autre anthropologue australienne elle affirme que « tout être humain a le droit de résister à l’aliénation existentielle de la modernité ou de la surmonter ». En sachant que surmonter l’aliénation dépend du droit « à préserver ou restaurer la relation d’appartenance au monde à travers un lieu particulier ».

En novembre dernier avait lieu à Tours des auditions pour un Parlement de Loire, organisé par le POLAU13. Bruno Latour, invité d’honneur, rappelait alors que les autres exemples de création de personnalité juridique pour des fleuves avaient toujours été ancrés dans des luttes autochtones et décoloniales. Il avait réagi à la lecture d’un communiqué du groupe SDN Loire-Vienne14 en signifiant que les antinucléaires du bassin-versant étaient ainsi peut-être le meilleur exemple d’autochtones ligériens, éventuellement légitimes à porter un tel imaginaire juridico-politique.

C’est en effet ce que nous ressentons chaque jour un peu plus : en prenant soin de ces terres, autour desquelles nous vivons et cultivons quotidiennement de multiples relations singulières, par notre travail d’enquête et les rencontres qu’il suscite, nous espérons ouvrir le chemin à des résistances autochtones à venir. Ainsi qu’à d’autres futurs possibles et décolonisés, car en parallèle, chaque jour un peu plus s’impose le renouvellement du modèle totalitaire de la société nucléaire. Opposons-nous à son déploiement. Car il se pourrait bien que la renouvelabilité de ce modèle de société, dopée par des énergies elles-mêmes dites « renouvelables », soutenue par la locomotive électrifiée d’une deuxième génération de réacteurs nucléaires « décarbonés », ait des conséquences irréversibles pour les générations futures, comme l’enfouissement des déchets radioactifs à Bure.

à propos de Comité Centrales


Comité Centrales est un collectif d’enquête, de production et de diffusion de contenus théoriques, informatifs et artistiques contre le nucléaire, ses réseaux intelligents et son monde atomisé. Contre la folie des échelles industrielles, pour des autonomies énergétiques, alimentaires et politiques locales. Résolument situé.e.s, c’est depuis la Loire et les terres de son bassin-versant que nous nous ancrons dans les luttes écologiques et sociales de la région. N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez enquêter avec nous !


Contact: comitecentrales@tutanota.com
Nous suivre: https://twitter.com/centralescomite

Notes

  1. En référence au chef d’oeuvre communaliste des années 80 BoloBolo, dont l’un des concepts majeurs est celui de Machine Travail Planétaire (MTP) []
  2. Nous recommandons vivement la lecture de cet état des lieux de l’accaparement foncier de l’ANDRA, fruit du travail du collectif Terres de Bure, daté de 2016 https://bureburebure.info/wp-content/uploads/2018/12/Etat-des-lieux-foncier-2015-A4-PPP.cleaned.pdf[]
  3. Nous vous recommandons d’organiser près de chez vous des projections du film remarquable d’Isabelle Masson-Loodts qui raconte cette histoire des déchets en Meuse, de Verdun à Bure : Un héritage empoisonné. https://www.lesechos.fr/2017/12/les-projets-de-stockage-se-multiplient-dans-le-grand-est-180379[]
  4. On appréciera dans cette audition la maîtrise de la novlangue de la transition énergétique du président directeur général d’EDF. Sur le sujet on pourra lire également cet article récent : La Tribune, 12/12/2019[]
  5. comme le résumait si bien le président d’EDF en juin 2018 lors d’une audition à l’assemblée nationale[]
  6. voir La Trinube 11/12/2019 et Usine Nouvelle, 02/12/2019 []
  7. La Tribune, 11/12/2019, Le Monde, 28/01/2020[]
  8. Et en particulier à Flamanville, voir le récent rapport Folz sur ce fiasco[]
  9. Nucleopolis en Normandie et Nuclear Valley dans le sud-est[]
  10. Cf. le plan « excell », 100 millions d’euros pour pallier aux erreurs de Flamanville ![]
  11. Petition : Stop à l’achat de terre par EDF, 09/12/2018[]
  12. Récemment traduit aux éditions Wildproject[]
  13. Le blog du POLAU sur Mediapart.[]
  14. La Rotative, 01/11/2019[]