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Plus de trente ans après, la très controversée « sociobiologie » fait encore parler d’elle. Les débats autour des origines des comportements coopératifs dans le monde vivant ont été ravivés par le récent revirement scientifique du père fondateur de la sociobiologie, Edward O. Wilson lui-même. Ce dernier a carrément renversé le paradigme ! Selon lui, l’origine de la socialité ne serait plus causée par la proximité génétique entre individus mais par les conditions du milieu. Le choc est rude : plusieurs générations de sociobiologistes — qui ont bâti leur carrière sur l’ancienne sociobiologie « génétique » — subissent la puissance médiatique et scientifique de E.O. Wilson. Voici l’histoire d’un paradoxe, d’une trahison et d’un changement de paradigme.

Tremblement de terre au pays de la sociobiologie1

Les mécanismes de la sélection naturelle sont assez évidents à saisir. On comprend spontanément pourquoi les girafes ont des longs cous, les poissons des formes si profilées, les prédateurs des dents si acérées. C’est une question de survie et d’adaptation. Il faut surprendre la proie, échapper au prédateur, s’adapter aux conditions du milieu… pour finalement prolonger la vie. Les individus ayant les bons atouts ont simplement laissé plus de descendance que leurs congénères moins bien pourvus.

Avec cette logique, il est en revanche beaucoup moins évident de saisir pourquoi certains animaux, et même les humains, ont développé des comportements coopératifs et altruistes, allant jusqu’à se sacrifier pour leurs pairs au détriment de leur propre survie. Pourquoi ces individus « naïfs » n’ont-ils pas été éliminés par la sélection naturelle ? Ainsi les abeilles se sacrifiant en laissant leur dard sur l’ennemi, les fourmis ouvrières (stériles !) travaillant toute leur vie pour la colonie, ou certains oiseaux mâles célibataires protégeant le nid d’autres couples… Cet altruisme, si fréquent dans le monde animal, était pour la théorie darwinienne comme un caillou dans la chaussure, elle n’empêchait pas d’avancer, mais elle gênait. Voilà pour le paradoxe.

A l’époque déjà, Darwin proposa une explication : l’apparition de ces traits coopératifs était la résultante d’une survie des groupes les plus aptes, et non des individus les plus aptes. Autrement dit, les groupes dont les individus interagissent bien ensemble ont un avantage sur les groupes moins coopératifs. Ainsi, l’idée était née. La sélection naturelle pourrait donc agir à plusieurs niveaux : sur les individus et aussi sur l’ensemble d’un groupe.

Plus d’un siècle et demi plus tard, les modèles et les expériences donnent amplement raison à Darwin. Mais cela n’a pas été sans heurts. Ce que l’on nomme aujourd’hui la sélection de groupe, ou sélection multi-niveaux a eu une histoire tourmentée, entre bannissement, mauvaise foi, ressentiment et trahisons2. Comme le remarque justement le journaliste Jonah Lehrer dans un remarquable article du New Yorker3, il y a une certaine ironie à voir tous ces chercheurs se quereller… sur les origines de la coopération !

Le secret devait se trouver dans les gènes

A la fin des années 70, un professeur de l’Université Harvard, Edward O. Wilson, créé la sociobiologie4, une nouvelle discipline scientifique qui se proposait d’étudier les comportements sociaux en utilisant des méthodes issues de l’éthologie, de la génétique et de la science de l’évolution. Outre une synthèse de l’état des connaissances expérimentales, il cimente son propos par une simple équation mathématique supposée expliquer l’évolution des comportements sociaux et empruntée à un jeune et brillant étudiant britannique, William Hamilton. L’idée est simple, mais il fallait y penser : un individu qui se sacrifie pour son frère transmet quand même une partie de ses gènes via son frère, puisqu’ils partagent de nombreux gènes en commun. Plus généralement, un individu a tout intérêt à aider d’autres individus proches de lui génétiquement, car c’est finalement une garantie de la bonne diffusion de ses gènes. Les comportements altruistes ne seraient donc qu’une façade dissimulant un égoïsme génétique. C’est ce que l’on a appelé la sélection de parentèle (kin selection).

La conjonction de plusieurs facteurs explique le succès de cette hypothèse sociobiologique dans les laboratoires de biologie du monde entier dès les années 1970 : la simplicité de l’équation de Hamilton, l’aura et la puissance académique d’Edward O. Wilson, l’ampleur médiatique de la polémique autour de la sociobiologie, et la publication au même moment du très influent best-seller Le gène égoïste de Richard Dawkins5. Ainsi ont débuté quatre décennies d’hégémonie de ce qu’on pourrait appeler la sociobiologie génétique.

Deux ou trois générations de chercheurs se sont donc appliquées à mettre en évidence les corrélations génétiques entre des individus qui coopéraient. Dans l’euphorie du début, croyant tenir là une équation universelle (et diaboliquement simple, donc belle), certains éthologues et anthropologues ont alors tiré le fil jusqu’à oser expliquer les comportements altruistes humains6 avec ces arguments de proximité génétique, puis dans une confusion de liens de causalité, à en déduire que l’altruisme était naturellement réservé aux personnes génétiquement proches… On voit aisément pourquoi l’extrême droite (La Nouvelle Droite) s’est emparée d’une telle théorie (elle pensait tenir enfin les preuves scientifiques de l’origine et de la valeur des inégalités et du racisme), et pourquoi les sciences humaines et les militants d’extrême gauche se sont indignés en critiquant violemment la sociobiologie. Mais la polémique médiatique et idéologique n’a nullement freiné l’enthousiasme des chercheurs dans leurs laboratoire, qui ont continué à étudier les comportements sociaux du monde animal avec cette vision essentiellement centrée sur le gène et l’individu.

Cette période d’hégémonie génétique a été marquée par le rejet radical et brutal de la théorie de la sélection de groupe dans les années 60-70. D’abord initiée par Darwin, puis acceptée par les architectes de la nouvelle synthèse de la théorie de l’évolution dans les années 50 (Haldane, Wright, Huxley, Simpson, Mayr, etc.) comme l’un des niveaux de sélection, la sélection de groupe a été défendue ardemment après la guerre par un ornithologue du nom de Vero Copner Wynne-Edwards (1906-1997). Malheureusement, sa vision quelque peu naïve de la sélection de groupe7 s’est avérée fatale à une époque où le gène prenait le pouvoir en biologie avec une incroyable arrogance. Ainsi, la sélection de groupe a purement et simplement disparu des manuels universitaires8. Un bannissement scandaleux pour le paléontologue Stephen J. Gould : « j’ai été trois fois le témoin de dogmes généralisés dans ma carrière d’évolutionniste, et rien en science ne me dérange plus que cette attitude ignorante et ridicule basée uniquement sur le désir ou sur la prétendue nécessité de suivre une mode. La première fois a été le renvoi hululant de Wynne-Edwards et de la sélection de groupe durant les années 1960 et 1970. »9

photographie edwar o wilson
 

La lente trahison du père fondateur

En réalité, depuis les années 1970, quelques rares chercheurs ont continué à travailler discrètement sur l’hypothèse de la sélection de groupe. Bien sûr, ils n’avaient pas accès aux revues prestigieuses et faisaient l’objet d’un certain mépris de la part de la sociobiologie dominante. Parmi ces rebelles figurait un certain évolutionniste du nom de David S. Wilson (à ne pas confondre avec Edward O.).

Toujours durant ces années, l’autre Wilson (Edward O., donc), le père fondateur de la sociobiologie, émet quelques doutes sur la sélection de parentèle, mais n’écrit pas d’articles, car il n’a pas de preuves, juste des intuitions, jusqu’en 2004, lorsqu’il lâche un premier pavé en exposant ses doutes dans un petit article d’une revue à l’impact assez modeste pour les biologistes10. Un an plus tard, associé à son ami entomologiste Bert Hölldobler (une légende lui aussi), il publie dans la prestigieuse revue PNAS11 à laquelle il a facilement accès grâce à son statut de membre de l’Académie des Sciences des Etats-Unis. Ils exposent une nouvelle hypothèse sur l’apparition de la socialité qui réhabilite la sélection de groupe et critique sévèrement la sélection de parentèle, qui selon eux n’a jamais démontré le lien de causalité entre proximité génétique et socialité (juste démontré des corrélations). Les réactions sont peu nombreuses mais on grince déjà des dents parmi les collègues sociobiologistes.

Parallèlement, Edward O. Wilson s’associe à David S. Wilson, qui a amassé depuis 30 ans quelques preuves expérimentales solides de la sélection de groupe et fabrique des modèles mathématiques de plus en plus convaincants. Ensemble, ils publient dans une autre revue prestigieuse (The Quarterly Review of Biology) un très long article décrivant avec un ton défensif et légèrement amer l’histoire tumultueuse de la sélection de groupe ainsi que les principes de la nouvelle sociobiologie12. David S. tient enfin sa revanche sur 30 années d’isolement ! Les deux compères, par ailleurs talentueux écrivains, occupent le champ médiatique en publiant simultanément dans les plus importantes revues de vulgarisation scientifique (New Scientist, BioScience, American Scientist, etc.). Les sociobiologistes patentés peinent à réagir, entre dédain, incompréhension et difficulté à publier, car l’accès aux revues prestigieuses est difficile… Les réactions restent donc confinées à des revues scientifiques mineures et totalement invisibles pour le grand public et les médias.

L’idée principale de cette « nouvelle sociobiologie » est que la sélection de groupe est loin d’être une force négligeable. En effet, le rejet de la théorie de la sélection de groupe était basé sur l’idée que la sélection au sein d’un groupe (entre les individus) était toujours plus forte que la sélection entre les groupes, autrement dit que si la sélection de groupe existait, elle était totalement négligeable par rapport à la sélection individuelle. Or, des expériences récentes sur des animaux différents (scarabées, bactéries, poulets, etc.), couplées à des modèles mathématiques robustes, ont montré à quel point cette force pouvait être puissante (voir chapitre 6). De manière générale, l’entraide apparait dans un groupe lorsque la sélection au niveau supérieur (intergroupe) prévaut sur la sélection entre les individus (intragroupe). Voici comment D.S. Wilson & E.O. Wilson résument la nouvelle sociobiologie : « L’égoïsme supplante l’altruisme au sein d’un groupe. Les groupes altruistes supplantent les groupes égoïstes. Tout le reste n’est que commentaire. »13

Mais le bulldozer E.O. Wilson n’en reste pas là. Sachant les preuves biologiques de la sélection de parentèle assez faibles, il ressent le besoin de s’attaquer à l’équation mathématique, qu’il imagine solide. Au même moment, dans la même université (Harvard), l’un des plus grands mathématiciens de la biologie, Martin Nowak, trouvait depuis longtemps ridicule cette vieille équation de la parentèle mais n’osait pas s’y attaquer car il l’imaginait étayée par des preuves biologiques solides… Leur rencontre fut donc fertile ! Quelques mois plus tard paraissait une bombe atomique éditoriale qui remit en question la sélection de parentèle de Hamilton14 dans la plus prestigieuse des revues scientifiques, Nature, puis simultanément dans les revues de vulgarisation à grande audience comme Scientific American15.

L’idée principale est cette fois que la proximité génétique n’a pas pu être à l’origine de l’apparition de l’eusocialité (le degré le plus élevé de socialité dans le monde animal). L’article montre que l’équation de Hamilton ne sert à rien : elle n’est mathématiquement qu’un cas particulier de la théorie de la sélection naturelle, elle requiert tellement de conditions initiales qu’elle en devient inutilisable, elle ne peut pas faire de prédictions, et enfin elle ne peut pas être testée empiriquement16. Rien que ça ! En fait, selon Wilson et Nowak, 40 ans de sociobiologie génétique ont certes mis en évidence des corrélations, mais n’ont jamais réussi à montrer le lien de cause à effet entre la proximité génétique et l’apparition de l’eusocialité17.

Dès lors, toutes les bases de l’ancienne sociobiologie s’effondrent et renaissent dans un nouveau cadre. Pour Wilson et Nowak, l’eusocialité apparaitrait plutôt sous la pression de facteurs écologiques (conditions difficiles du milieu) et non génétiques, dans le cadre de la sélection de groupe, puis se stabiliserait par la création d’un nid (protection contre les conditions difficiles). C’est ce nid qui favoriserait alors la coexistence de plusieurs générations… et donc l’apparition d’une certaine proximité génétique. Ainsi, cette dernière ne serait plus une cause de la socialité, elle en serait une conséquence18 ! Le retournement est total. On peut parler d’un véritable changement de paradigme, d’un tremblement de terre dans les paisibles laboratoires.

En réalité, Wilson et Nowak vont même plus loin en avançant que la proximité génétique créée par l’apparition de sociétés serait au contraire un facteur de distension et de conflits au sein des groupes ! Ce retournement est cocasse lorsqu’on songe à la polémique idéologique qui a eu lieu dans les années 80 autour de la sociobiologie. Le retournement de paradigme, qui réduit à néant les fondements de cette idéologie raciste, doit laisser certains idéologues quelque peu pantois…

La puissance d’un seul homme

Dans une large majorité de laboratoires de sociobiologie, ce retournement est considéré comme scandaleux par ces générations de chercheurs ayant bâti leurs prestigieuses carrières sur l’ancienne hypothèse. L’article de Nature a déclenché de la part des sociobiologistes une vague d’indignation sans précédent (et cette fois coordonnée) sous la forme d’un article au ton agressif et autoritaire, cosigné par 137 chercheurs du monde entier, soit le plus grand rassemblement VIP de ce qui se fait de mieux en sociobiologie19.

N’ayant pas (encore) le temps de répondre aux dizaines de pages de démonstrations mathématiques de E.O. Wilson, D.S Wilson et Nowak, les arguments des critiques volent évidemment assez bas et les insultes fusent parfois. Deux camps se sont formés, les pro et les anti Wilson. Aujourd’hui, la polémique est quelque peu retombée mais on attend que les travaux théoriques et expérimentaux tranchent la question…

En attendant, les trois compères publient chacun leur livre sur cette histoire, prétendant évidemment détenir le secret des origines de la coopération20. Des best-sellers assurés ! Comment lutter contre cette incroyable machine de guerre médiatique ? E.O. Wilson, en vieux roublard sait que la polémique joue en sa faveur : plus les critiques sont virulentes, plus la presse en parle, plus son hypothèse se fait connaitre. C’est précisément ce qui a lancé la sociobiologie dans les années 1970. Du haut de ses 85 ans, il reste serein et s’amuse de cette polémique. « Lorsque Einstein a publié sa théorie de la relativité, une centaine de physiciens ont écrit un article pour la condamner. La réponse d’Einstein a été merveilleuse. Il a dit ‘Si ma théorie était fausse, un seul auteur n’aurait-il pas suffi ?’ Je ressens la même chose.»21

Ce retournement est un cas d’école en sociologie des sciences. On y apprend comment retourner un paradigme en un temps record et en utilisant tous les moyens médiatiques, académiques ou éditoriaux imaginables. E.O. Wilson dispose d’une rare autorité dans le champ de la biologie et d’une puissance éditoriale monstrueuse. Professeur à Harvard, brillant entomologiste, talentueux écrivain, responsable du succès du terme « biodiversité » dès la fin des années 80, créateur de deux disciplines (la sociobiologie et la biogéographie), il a été considéré en 1995 comme l’un des 25 Américains les plus influents par le Time magazine et en 2005 comme l’un des 100 plus importants intellectuels par Foreign Policy. Il a reçu tous les prix qu’un biologiste peut espérer recevoir, plus deux prix Pulitzer. Wilson convertit en or tout ce qu’il touche. Et c’est à la lumière de ce parcours qu’il convient d’apprécier son changement de cap.

sociobiology edward o wilson
Couverture de la première édition de Sociobiolody d’E. O. Wilson en 1975

Les diverses forces évolutives à l’origine de l’entraide

Au début du 20e siècle, il n’y avait que la théorie de Darwin (et ses intuitions) pour penser l’évolution de l’entraide. L’essentiel de la science consistait à réunir des observations et essayer de les faire entrer dans le cadre conceptuel de la sélection naturelle. Au milieu du siècle, la théorie synthétique de l’évolution a permis d’agrandir et de préciser le cadre darwinien. La théorie de l’évolution s’est vue alors renforcée par la génétique, la paléontologie, les modèles mathématiques, la dynamique des populations, etc. La biologie a fait un bond en avant considérable, mais l’évolution de l’entraide et de la socialité animale semblait encore floue. Leur apparition restait un mystère pour la science anglo-saxonne, largement basée sur une vision du monde vivant égoïste et impitoyable, essentiellement centrée sur les gènes. Ce n’est que dans les années 70 que l’étude systématique des sociétés animales a réellement démarré, sous l’impulsion d’Edward O. Wilson et du livre de Richard Dawkins, Le gène égoïste22.

A l’origine de la sociobiologie : sélection de parentèle et altruisme réciproque

Au début, la sociobiologie se fonde sur deux postulats : 1. les comportements animaux sont déterminés génétiquement ; et 2. un comportement peut être assimilé à n’importe quel trait morphologique (comme la taille, la couleur de peau ou le groupe sanguin), il peut donc être sélectionné par l’évolution lorsqu’il augmente les chances de succès reproducteur. Dès lors, logiquement, les chercheurs se sont mis à chercher des gènes de l’entraide (de l’altruisme, de la coopération, etc.), inventant des hypothèses (histoires, scénarios) qui racontaient comment ces gènes avaient pu donner un avantage reproductif aux individus qui en étaient porteurs. L’idée sous-jacente était que tout individu au comportement altruiste (dans les faits) ne faisait qu’obéir à une « stratégie » — une ruse — de la part de ses gènes alors considérés comme « égoïstes » (puisqu’ils ne cherchaient qu’à maximiser leur propre reproduction).

Telles étaient les bases de la sélection de parentèle, appuyée par la petite équation mathématique du jeune Hamilton : il y a évolution de l’entraide lorsqu’il y a proximité génétique. Des centaines de biologistes, pendant des décennies, ont donc réalisé des expériences pour montrer que plus des individus étaient proches génétiquement, plus ils s’entraidaient. Cela est très bien documenté chez les animaux : il y a bien souvent une corrélation entre proximité génétique et entraide. Mais comme mentionné ci-dessus, le lien de causalité n’a jamais été démontré.

Chez l’espèce humaine, étrangement, les études sur la sélection de parentèle sont très rares23. Peut-être est-ce simplement dû au fait qu’une grande partie des relations d’entraide entre humains ont lieu entre non-apparentés (c’est un fait indiscutable), ce qui rend absurde une théorie qui voudrait expliquer l’apparition de l’entraide par la proximité génétique. Par ailleurs, au sein des familles — où chacun sait que l’entraide est très fréquente et puissante —, il est très difficile de différencier les effets de la proximité génétique de ceux de la réciprocité directe. Ceci étant posé, dans une des rares études sur le sujet, il s’avère qu’il n’y a pas eu de corrélations observées entre les degrés d’altruisme et la proximité génétique24.

Si la théorie de la sélection de parentèle s’avérait valable pour expliquer l’apparition de l’entraide et de l’altruisme chez les animaux au cours de l’évolution (ce qui doit encore être démontré), on pourrait très bien imaginer que chez l’humain, elle aurait été une force évolutive majeure il y a des millions d’années, au début de l’hominisation (et même avant). Pourquoi pas. Mais ce qui est clair, c’est qu’elle n’explique absolument pas l’entraide humaine d’aujourd’hui (la réciprocité étendue et la réciprocité invisible). De plus, et parallèlement, les chercheurs ont accumulé depuis 40 ans nombre d’observations d’entraide entre animaux non-apparentés25.

Il fallait donc trouver d’autres explications, d’autres hypothèses, d’autres cadres théoriques que la sélection de parentèle…

C’est au sociobiologiste Robert Trivers que l’on doit la théorie — publiée dans les années 1970 — de l’altruisme réciproque, et qui tente d’expliquer pourquoi il y a chez les animaux des comportements de réciprocité entre individus non-apparentés. Trivers postule que deux conditions sont nécessaires à l’apparition de la réciprocité animale : 1. un système cognitif assez développé pour permettre la reconnaissance des « tricheurs » (= un individu qui recevrait sans jamais donner), et 2. un ratio coût / bénéfice26 suffisamment faible (inférieur à 1) pour que l’avantage de l’altruisme soit significatif. Nous devons l’exemple le plus célèbre de réciprocité à l’éthologue Gerald Wilkinson, qui a étudié les vampires d’Azara (Desmodus rotundus) depuis près d’un demi-siècle. Il s’agit d’une espèce sociale de chauve-souris tropicales qui sucent le sang de certains mammifères et dont les individus qui reviennent à la colonie gavés de sang peuvent le partager avec ceux qui sont rentrés bredouille. Détail particulièrement bien vu : la quantité de sang qui est échangée ne fait perdre que 6 heures de vie à un vampire rassasié, alors qu’elle en fait gagner 18 au vampire affamé27. Autrement dit, le bénéfice de ce don est plus grand que le coût pour le donneur28. Bingo !

Les premiers sociobiologistes conçurent dès le début de leur discipline des modèles évolutionnaires afin de comprendre les mécaniques plus fines de leurs théories. Par exemple, la théorie des jeux (créée durant la guerre froide pour contrer les stratégies de l’ennemi soviétique)29 a été abondamment utilisée par les économistes, les informaticiens, les mathématiciens et les biologistes depuis un demi-siècle pour tester les tendances à la coopération et l’altruisme. L’un des résultats les plus marquants et des plus influents a été la découverte dans les années 1980 de la stratégie du « donnant-donnant » (Tit-for-tat) par le chercheur en sciences politiques Robert Axelrod30. Cette stratégie très simple s’est avérée être la plus efficace à long terme pour faire émerger la coopération dans un groupe, surtout lorsque les interactions sont répétées (comme dans la vie réelle). Elle se résume ainsi : « je coopère au premier contact et ensuite j’imite ce que tu fais (si tu coopères, alors je coopère, sinon, j’arrête) ». Remarquez à quel point elle ressemble furieusement au double mécanisme qui compose l’heuristique sociale vue au chapitre 2 (l’entraide spontanée au premier contact) suivie par l’obligation de réciprocité que nous décrivons au chapitre 3 (je te redonne car tu m’as donné). Le modèle informatique du « donnant-donnant », et bien d’autres qui ont suivi, montrent comment la réciprocité directe (le nom récent donné à l’altruisme réciproque) représente une force évolutive puissante chez notre espèce (et au passage comment l’évolution a sélectionné des comportements d’entraide spontanée)31. D’autres modèles et expériences montrent également que les interactions répétées sont primordiales à l’apparition de l’entraide : « Les gens apprennent à plus coopérer lorsque la probabilité d’interaction future est plus élevée »32.

Toutefois, ces deux théories — la sélection de parentèle et la réciprocité directe — ne sont pas des forces évolutives assez puissantes pour expliquer l’ultra-socialité humaine (au sein de grands groupes d’inconnus). Certains chercheurs ont donc développé d’autres théories connexes…33

La découverte d’autres voies : réciprocité indirecte et sélection spatiale

Comme chez les humains, existe aussi chez les animaux une forme assez rudimentaire de réputation, autrement dit de réciprocité indirecte (= aider n’importe qui, tant qu’on est aidé en retour par n’importe qui d’autre de la même espèce). C’est par exemple le cas chez le labre nettoyeur, un petit poisson tropical dont la fréquence des comportements altruistes augmente avec le nombre de ses petits camarades qui regardent la scène34. Voilà un poisson qui soigne sa réputation ! On signale aussi un phénomène chez le rat baptisé la réciprocité généralisée, qui consiste à avoir plus tendance à aider un rat inconnu (+ 20 %) après avoir reçu de l’aide d’un autre rat inconnu35. Dans ce cas, ce système de réciprocité n’a même plus besoin de système cognitif complexe, ce qui laisse penser qu’il est probable que ce ne soit pas le seul cas dans le monde animal…36 Mais même si des phénomènes de réputation existent chez les singes ou les poissons, cela n’a rien à voir avec ce qui se passe chez nous.

Chez notre espèce, les interactions peuvent être asymétriques (lorsqu’on n’a pas la possibilité de rendre la pareille) ou fugaces (lorsqu’on se ne rencontre qu’une seule fois). Comme nous l’avons vu au chapitre 3, la réputation est ce qui sert, dans ces cas de figure, à la fois de marqueur pour rendre un service à une personne inconnue que l’on sait coopérative, et d’incitant à se comporter de manière pro-sociale. De plus, il y a deux raisons pour laquelle on coopère volontiers avec une personne à la bonne réputation : parce qu’on les considère comme plus fiables ; et parce qu’à leur contact, nous améliorons notre réputation37. Ces deux raisons rendent le mécanisme de réputation très robuste dans le temps, et très efficace pour maintenir un climat pro-social. Les simulations mathématiques et informatiques confirment que la réputation est aussi une force évolutive décisive38. Voilà peut-être d’où vient notre gout prononcé pour les ragots et les « qu’en dira-t-on »39

La plupart des études sur l’évolution de l’entraide sont des modèles mathématiques et informatiques, eu égard à la difficulté de tester les théories en conditions réelles. En farfouillant dans leurs équations et leurs modèles, en les complexifiant toujours un peu plus, les évolutionnistes ont découvert une autre voie d’apparition de l’entraide, qu’ils ont nommé sélection spatiale, et dont le fonctionnement repose sur le grégarisme des individus qui se comportent de manière semblable.

En effet, d’habitude, par souci de simplification, les modèles de génétique des populations prennent pour hypothèse que les populations sont homogènes et composées d’individus qui se déplacent librement (ce qui est rarement le cas dans le monde réel). En ajoutant aux modèles un paramètre de « viscosité » (la difficulté pour les individus de se déplacer), ils ont remarqué que les individus coopérateurs avaient tendance à se regrouper entre eux, favorisant des « agrégats » ou des « réseaux » d’entraide, bien plus résistants à l’invasion de « tricheurs » ou de « profiteurs », et qu’ils se répandaient ainsi dans la population entière bien plus facilement que dans une population homogène (et finalement peu importe que la transmission soit génétique ou culturelle)40. Il s’agit donc d’un mécanisme évolutif qui ne fait appel ni à la réputation ni à la réciprocité, qui a été observé expérimentalement chez des microbes, et qui semble également à l’œuvre chez les humains41.

Vers une sociobiologie plus ouverte et plus complexe

Au chapitre 6 [du livre L’entraide, l’autre loi de la jungle], nous avons vu que deux forces évolutives majeures de l’apparition des comportements altruistes (et par extension de la socialité animale et humaine) étaient la sélection de groupe42 et l’influence d’un milieu hostile43. Si nous y ajoutons les quatres autres forces que nous venons de décrire, nous ne pouvons que constater la complexification du tableau44. Nous comprenons ici que chaque modèle a ses limites, et que c’est l’ensemble des théories qui permet d’expliquer les évolutions de l’entraide (polyphylétisme), et d’apercevoir l’ensemble de ce « buisson sociobiologique ».

Il n’est aujourd’hui plus question de trouver le secret de l’« autre loi de la jungle » dans une petite équation mathématique totalisante, mais dans un approfondissement de la complexité, c’est-à-dire dans l’étude des interactions entre ces différentes forces évolutives, comme nous l’avons brièvement mis en évidence au chapitre 6.

Encore une fois, la vie surprend par la diversité et la finesse des mécanismes en jeu. Les nombreuses voies d’apparition de l’entraide dépendent fortement du contexte et des espèces concernées, et mènent finalement à cette formidable symbiodiversité (l’ensemble des mécanismes d’entraide présents dans l’éventail du vivant)45.

Les forces évolutives décrites ci-dessus sont probablement universelles, mais chaque espèce les subit en proportions variables. Ainsi l’espèce humaine, qui se distingue aujourd’hui par la prédominance de l’évolution culturelle, se trouverait plutôt façonnée par la sélection de groupe et un milieu hostile, mais aussi par la réciprocité directe et indirecte, ainsi que par la sélection spatiale. Autrement dit, le développement des dynamiques d’évolution culturelle semble avoir récemment (depuis au moins 70 000 ans) inhibé l’influence des facteurs génétiques dans l’apparition de l’entraide humaine.

Les prochaines années seront décisives. Le rythme actuel des publications dans ce domaine laisse présager des découvertes foisonnantes et passionnantes. N’en déplaisent à certains, la sociobiologie est morte… et n’en déplaisent à d’autres, vive la sociobiologie !

*

Ce texte a initialement été publié comme annexe dans notre livre L’entraide. L’autre loi de la jungle (LLL,2017). Nous remercions les éd. LLL de nous autoriser à le reproduire.

Notes

  1. Cette section, légèrement remaniée, est parue en 2013 sous la forme d’un article : Servigne P. (2013) « La trahison d’Edward O. Wilson », La Revue du MAUSS, n°42, p.97-104.[]
  2. Borrello M (2010) Evolutionary Restraints. The contentious history of group selection, The University of Chicago Press[]
  3. Lehrer J « Kin and kind ». The New Yorker, 5 mars 2012[]
  4. En publiant une impressionnante synthèse scientifique intitulée Sociobiology: the new synthesis, Belknap Press, 1975. Cet ouvrage créera une intense polémique à cause de son chapitre 23 sur les humains, tous les autres chapitres étant consacrés aux autres qu’humains.[]
  5. Livre qui a fortement contribué a concevoir une biologie centrée sur le gène. Dawkins R (2003[1976]) Le gène égoïste, Odile Jacob.[]
  6. Et par extension tous les comportements humains, y compris l’inceste, le viol et l’homosexualité. Ce fut le principal sujet de polémique dans les années 70-80.[]
  7. Il développait l’idée que si certains oiseaux d’un groupe n’avaient pas de descendance, c’était parce qu’ils l’avaient choisi « pour le bien du groupe ». En effet, la surpopulation réduisait les chances de survie du groupe en cas de disette. Renoncer individuellement à une descendance était donc considéré par Wynne-Edwards comme un acte altruiste. Il est très difficile de montrer de telles intentions et de prêter aux oiseaux de tels calculs abstraits.[]
  8. L’évolutionniste Georges Williams, dont le livre Adaptation and Natural Selection (Princeton University Press, 1966) est devenu un manuel de référence très influent dans les universités, écrit : « Les adaptations acquises au niveau du groupe, en réalité, n’existent pas. »[]
  9. Gould SJ (1982). The Uses of Heresy: An Introduction to Richard Goldschmidt’s The Material Basis of Evolution, pp. xiii–xlii, Yale University Press.[]
  10. Wilson EO (2005). « Kin selection as the key to altruism: its rise and fall ». Social Research: An International Quarterly, 72(1), 1-8.[]
  11. Wilson EO et Hölldobler B (2005). « Eusociality: origin and consequences ». Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 102(38), 13367-13371.[]
  12. Wilson DS et Wilson EO (2007). « Rethinking the theoretical foundation of sociobiology ». The Quarterly review of biology, 82(4), 327-348.[]
  13. Wilson DS et Wilson EO (2007). « Survival of the selfless ». New Scientist, 196(2628), 42-46.[]
  14. Et plus largement ce qu’on appelle l’inclusive fitness theory, mais nous n’avons pas la place de détailler ici.[]
  15. Nowak, M. A., Tarnita, C. E. & Wilson, E. O. (2010) « The evolution of eusociality ». Nature 466, 1057–1062 ; Nowak, M.A. (2012) « Why we help ». Scientific American, p 34[]
  16. Voir le développement de cette idée dans Nowak et al (2017) « The general form of Hamilton’s rule makes no predictions and cannot be tested empirically », Proceedings of the National Academy of Sciences USA, in press, 2017[]
  17. L’eusocialité est un cas particulier de socialité animale, très présent chez les insectes sociaux, où la reproduction est devenue la spécialité d’une caste au sein de la colonie. La théorie de la parentèle prétendait expliquer l’apparition de l’eusocialité. L’article de Nowak et Wilson se concentre sur les origines de l’eusocialité.[]
  18. Pour préciser cette hypothèse, l’eusocialité apparaîtrait donc au sein de groupes qui font face à des conditions écologiques bien spéciales. que la proximité génétique des individus, loin d’être l’origine de la socialité, est au contraire à l’origine de conflits au sein d’une société.[]
  19. Abbot, P. et al. (2011). « Inclusive fitness theory and eusociality ». Nature, 471(7339), E1-E4. De nombreux partisans de la sociobiologie génétique, constatant la faiblesse théorique de l’équation de Hamilton, se rabattent alors sur la théorie de l’« inclusive fitness » (une variante de l’équation de Hamilton mathématiquement plus crédible). Mais de récentes publications remettent aussi sévèrement en question l’utilité de cette variante mathématique… Voir Allen B et Nowak M (2017) « There is no inclusive fitness at the level of the individual », Current Opinion in Behavioral Sciences, n°12, pp. 122–128.[]
  20. Wilson EO (2012). The social conquest of earth. WW Norton & Company, traduit en français en 2017 aux éditions Flammarion (La conquête sociale de la terre) ; Nowak M A et Highfield R (2011) Supercooperators : The Mathematics of Evolution, Altruism and Human Behaviour (Or, Why We Need Each Other to Succeed), Free Press. ; Wilson DS (2015). Does altruism exist? Culture, genes, and the welfare of others. Yale University Press.[]
  21. Lehrer J (2012), op. cit.[]
  22. Portée également par une époque où l’éthologie gagnait ses lettres de noblesse, en 1978 lors de l’attribution du prix Nobel de physiologie à Konrad Lorenz, Karl Von Frisch et Niko Tinbergen pour leur travaux sur le comportement animal.[]
  23. Une équipe a par exemple trouvé des preuves de reconnaissance de la parentèle, c’est-à-dire un lien entre la reconnaissance de la proximité génétique avec une autre personne grâce à des signaux extérieurs, et les comportements altruistes envers cette personne. Voir Lieberman D et al (2007) « The architecture of human kin detection ». Nature 445, 727–731.[]
  24. Par exemple avec les expériences d’altruisme de paroisse, voir Bernhard H et al. (2006) « Parochial altruism in humans ». Nature, 442(7105), 912-915.[]
  25. Très récemment encore, on a découvert que deux espèces d’araignées distinctes (a fortiori donc sans accointance génétique) coopéraient pour le soin maternel ; ou que deux colonies de termites sans relation génétique avaient fusionné pour ne former qu’un super-organisme. Voir Grinsted L et al (2012). « Subsocial behaviour and brood adoption in mixed-species colonies of two theridiid spiders ». Naturwissenschaften, 99(12), 1021-1030 ; Johns PM et al (2009). « Nonrelatives inherit colony resources in a primitive termite ». Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 106(41), 17452-17456.[]
  26. Voilà l’un des nombreux exemples qui montrent comment les sciences économiques ont largement influencé les théories biologiques…[]
  27. Après une nuit de chasse, ils ne peuvent revenir bredouilles au nid plus de deux fois, sinon ils meurent d’inanition. Voir Wilkinson GS (1984). « Reciprocal food sharing in the vampire bat ». Nature, 308(5955), 181-184 ; Wilkinson GS (1985). « The social organization of the common vampire bat ». Behavioral Ecology and Sociobiology, 17(2), 123-134.[]
  28. Il existe par ailleurs de très nombreux exemples de réciprocité directe dans le monde animal, dont le soin mutuel (sessions d’épouillage, de toilette, etc.) chez les ongulés ou les primates, les coalitions chez les babouins mâles, le soutien mutuel chez les femelles primates, ou encore l’échange de nourriture chez les chimpanzés. Chez ces derniers, par exemple, les individus ouvrent spontanément la porte à un membre de leur groupe qui leur a déjà précédemment ouvert la porte. Voir Dugatkin LA (1997) Cooperation Among Animals: An Evolutionary Perspective (Oxford Univ. Press ; Melis AP et al (2008) « Do chimpanzees reciprocate received favours? » Animal Behaviour 76, 951–962.[]
  29. La théorie des jeux a été appliquée à la biologie pour la première fois en 1982 par Maynard Smith, et sous la forme du dilemme du prisonnier par Axelrod et Hamilton en 1981. Ces modèles décrivent un monde d’égoïstes rationnels en compétition permanente qui n’auraient d’autre choix que de coopérer pour survivre. Voir Maynard Smith J (1982) Evolution and the Theory of Games, Cambridge University Press ; Axelrod R et Hamilton WD (1981) « The Evolution of Cooperation ». Science, 211, 1390-1396.[]
  30. Axelrod a demandé à des scientifiques du monde entier de réfléchir à ce qu’ils pensaient être la meilleure stratégie individuelle pour que se généralisent les comportements coopératifs dans une population. Il a ensuite encodé ces stratégies dans son ordinateur et a organisé un grand tournoi (informatique) entre elles pour voir laquelle était la plus efficace. C’est la stratégie qu’il a appelé « tit-for-tat » (traduit en français par « donnant-donnant ») qui a battu toutes les autres. Voir le livre qui synthétise ses recherches : Axelrod R (1984), paru en français sous le titre Donnant donnant (Odile Jacob, 1992).[]
  31. Il est aussi intéressant de constater que dans ces relations par binômes, les comportements de punition active (je paie pour que l’autre soit puni, à la différence de la punition passive où on cesse simplement d’interagir) sont toxiques car elles entraînent le binôme dans une spirale de la vengeance.[]
  32. Rand DG et Nowak MA (2013), « Human cooperation », Trends in Cognitive Sciences, n° 17 (8), p. 413-425, p 416.[]
  33. Un article scientifique résume bien les différentes voies que prend l’évolution de l’entraide (appelée par l’auteur « coopération »), voir Nowak MA (2006). « Five rules for the evolution of cooperation ». Science, 314(5805), 1560-1563.[]
  34. Voir Bshary R et Grutter AS (2006). « Image scoring and cooperation in a cleaner fish mutualism ». Nature, 441(7096), 975-978 ; Pinto A et al (2011). « Cleaner wrasses Labroides dimidiatus are more cooperative in the presence of an audience ». Current Biology, 21(13), 1140-1144.[]
  35. Rutte C et Taborsky M (2007). « Generalized reciprocity in rats ». PLoS Biology, 5(7), e196.[]
  36. A ce stade, on peut se demander si la punition ne serait pas aussi un mécanisme d’évolution de l’entraide. La réponse est non. La punition sert bien à améliorer les niveaux d’entraide dans un groupe (temps court), mais dont les principaux moteurs évolutifs (temps long) sont la réciprocité indirecte, la sélection de groupe ou la sélection spatiale.[]
  37. Voir Pfeiffer T et al (2012). « The value of reputation ». Journal of the Royal Society Interface, 9(76), 2791-2797. Par exemple le fait de ne pas hésiter à coopérer lorsqu’on vous le demande (ce qui est risqué d’un point de vue évolutif), est compensé par le fait que c’est un fort signal de confiance et que cela joue sur votre réputation à long terme. Voir Jordan JJ et al (2016). « Uncalculating cooperation is used to signal trustworthiness ». Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 113(31), 8658-8663.[]
  38. La bibliographie est abondante. Voir Barclay P (2006). « Reputational benefits for altruistic punishment ». Evolution and Human Behavior, 27(5), 325-344 ; Boyd R et Richerson PJ (1989). « The evolution of indirect reciprocity ». Social Networks, 11(3), 213-236 ; Leimar O et Hammerstein P (2001). « Evolution of cooperation through indirect reciprocity ». Proceedings of the Royal Society of London B, 268(1468), 745-753 ; Nowak MA & Sigmund K (1998). « Evolution of indirect reciprocity by image scoring ». Nature, 393(6685), 573-577 ; Nowak MA et Sigmund K (2005). « Evolution of indirect reciprocity ». Nature, 437(7063), 1291-1298 ; Wedekind C et Milinski M (2000). « Cooperation through image scoring in humans ». Science, 288(5467), 850-852 ; Milinski M et al (2002). « Reputation helps solve the ‘tragedy of the commons’. » Nature, 415(6870), 424-426 ; Panchanathan K et Boyd R (2004). « Indirect reciprocity can stabilize cooperation without the second-order free rider problem ». Nature, 432(7016), 499-502.[]
  39. Dunbar RI et al (1997). « Human conversational behavior ». Human Nature, 8(3), 231-246 ; Sommerfeld RD et al (2007). « Gossip as an alternative for direct observation in games of indirect reciprocity ». Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 104(44), 17435-17440.[]
  40. Ohtsuki H et al (2006). « A simple rule for the evolution of cooperation on graphs and social networks ». Nature, 441(7092), 502-505.[]
  41. Dans le monde réel, des expériences avec les chasseurs cueilleurs ont montré que les liens sociaux prédisaient les relations d’entraide. Une autre étude sur un échantillon de population d’adultes aux Etats-Unis a constaté, que conformément aux modèles théoriques de réseaux, une personne qui montrait plus de comportements prosociaux avait plus de contacts sociaux. Voir Apicella CL et al (2012) « Social networks and cooperation in hunter-gatherers ». Nature 481, 497–501 ; O’Malley AJ et al (2012) « Egocentric social network structure, health, and pro-social behaviors in a national panel study of Americans », PLoS ONE, 7, e36250 ; Voir aussi Rand DG et al (2011) « Dynamic social networks promote cooperation in experiments with humans ». Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 108, 19193–19198 ; Shirado H et al (2013). « Quality versus quantity of social ties in experimental cooperative networks ». Nature communications, 4.[]
  42. Cette théorie de la sélection naturelle appliquée simultanément à tous les niveaux est appelée la sélection multi-niveaux. Son principe général est le suivant : « une adaptation à un niveau X nécessite un processus de sélection correspondant au niveau X, et tend à être sapé par la sélection aux niveaux inférieurs. » DS Wilson & EO Wilson (2008) op. cit.[]
  43. Sur ce dernier point, voir aussi les travaux de Warder Clyde Allee (1885-1955), ainsi que la socioécologie développée par Jean-Yves Gauthier (1939-2000). Alors que les expériences sur l’influence du milieu commencent à apparaitre chez les animaux, les microbes ou les plantes, nous n’avons pas trouvé de modèles évolutifs qui mesurent l’influence du milieu sur l’évolution de l’entraide humaine. C’est un grand champ de recherche qui s’ouvre, et qui permettra sûrement de faire coopérer paléontologues, anthropologues et évolutionnistes.[]
  44. Il existe aussi d’autres petits modèles annexes, que nous n’avons pas pu décrire, comme des petites extensions des principales théories. C’est le cas des théories de la « Pseudo reciprocity », « Kinship deceit », « Parceling », etc. Voir Connor RC (1995). « The benefits of mutualism: a conceptual framework ». Biological Reviews, 70(3), 427-457.[]
  45. Petit détail : Rand et Nowak (2013) op. cit. suggèrent de bien distinguer d’une part les mécanismes de l’évolution de l’entraide (les forces) et d’autre part les comportements que l’on observe au quotidien (les récompenses et les punitions, l’altruisme de paroisse, etc.). Ces derniers, que nous avons décrits aux chapitres 2, 3, 4 et 5, sont des adaptations qui sont issues des six forces évolutives décrites.[]